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Peut-on être condamné à la fois pour escroquerie et des faits de faux et d’usage ? Par Cyril de Guardia de Ponte, Avocat.
Parution : mercredi 16 septembre 2020
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En vertu du principe ne bis in idem, « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement (une seconde fois) à raison des mêmes faits ». Ainsi, ce principe s’oppose au cumul de plusieurs qualifications pour les mêmes faits au sein d’une même poursuite de la part du ministère public. Ce principe classique de la procédure pénale, était déjà connu du droit romain.

Ainsi, en vertu des dispositions de l’article 368 du Code de procédure pénale, une personne acquittée légalement ne peut plus être reprise ou accusée à raison des mêmes faits, même sous une qualification différente. Enfin, l’article 6 du Code de procédure pénale fait de la chose jugée une cause d’extinction de l’action publique.

Un récent arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation [1] vient apporter un éclairage supplémentaire sur sa jurisprudence en matière de principe ne bis idem et de cumul de qualifications.

Des caisses d’assurance maladie et des mutuelles, alertées par une forte progression d’activité de son cabinet, ont porté plainte contre une infirmière libérale, après avoir constaté la déclaration d’actes fictifs ou surcotés en vue d’obtenir le remboursement indu de prestations et ce, via un système de transmission dématérialisée ou l’établissement de feuilles de soins papier, pour un montant global de l’ordre d’un million d’euros.

Mise en examen par un Juge d’instruction, et à l’issue de l’information judiciaire, la mise en cause a été renvoyée devant le tribunal correctionnel pour y être jugée des chefs d’escroquerie, de faux et d’usage de faux.

Le tribunal correctionnel l’a déclarée coupable des faits reprochés et condamnée.

La prévenue a interjeté appel de cette décision, estimant que le principe ne bis idem avait été violé et, qu’en conséquence, des faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes.

Sur les manœuvres frauduleuses à l’origine des qualifications de faux, d’usage et d’escroquerie.

Il s’avère qu’elle avait facturé, au préjudice des caisses d’assurance maladie et des mutuelles, constituées parties civiles, un grand nombre d’actes infirmiers fictifs, surcotés ou comportant une modification du taux de prise en charge.

En vue de caractériser l’escroquerie, les juges du fond ont retenu le fait que l’utilisation des cartes vitales des patients tend à accréditer et conforter la réalité de soins fictifs facturés et constitue une manœuvre frauduleuse.

En effet, l’intéressée avait demandé, dans un premier temps, le remboursement des soins par le réseau Sésame grâce auxdites cartes vitales. Il s’avère qu’elle avait également récupéré les cartes vitales en vue d’établir sa facturation sans que ses patients ne soient en mesure de vérifier la réalité des prestations.

Cette captation des cartes vitales participait à la manœuvre frauduleuse, laquelle a été repérée par les caisses d’assurance maladie, ces dernières ayant réagi et obtenu le blocage de son compte.

Décidée à ne pas en rester là, elle a sollicité le paiement direct des assurés qui devaient requérir un remboursement, l’envoi de feuilles de soins papier étant constitutif, également, d’une manœuvre frauduleuse.

Les juges du fond ont, enfin, relevé que la prévenue avait commis d’autres manœuvres frauduleuses, en modifiant le taux de prise en charge des malades et en surcotant des actes réalisés, et qu’elle a eu recours à plusieurs fausses ordonnances médicales ayant eu pour seul objet de permettre des facturations fictives.

Ils ont retenu, concernant les délits de faux et d’usage, la réalisation et l’utilisation de fausses prescriptions censées avoir été rédigées par des médecins.

La question qui se pose à ce stade de l’analyse, est de savoir si les faits de falsification d’ordonnances médicales, caractérisant le délit de faux, ainsi que leur d’utilisation aux fins d’escroquerie, consistant en la facturation de soins fictifs, peuvent être cumulés ou bien procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable.

Le cumul de qualifications est possible lorsqu’elles sont fondées sur des faits dissociables.

Pour les juges de la Haute juridiction, les juges du fond ont justifié leur décision sans méconnaître, s’agissant du cumul critiqué de qualifications de faux et d’escroquerie, le principe ne bis in idem.

La chambre criminelle retient que les juges se sont fondés, au titre du faux, sur des faits de falsification d’ordonnances médicales qui sont distincts des faits d’utilisation de ces documents retenus comme élément de l’escroquerie à des fins de facturation de soins fictifs.

Ainsi, il s’évince de ce raisonnement que le principe ne bis in idem n’empêche pas de retenir deux qualifications lorsqu’elles sont fondées sur des faits dissociables.

Une jurisprudence constante.

Si la Cour réaffirme régulièrement, au visa du seul principe ne bis in idem, que « les faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes » [2], elle estime de manière constante, depuis lors, que rien ne s’oppose au cumul lorsque les faits sont dissociables et que les différentes qualifications reposent sur des faits distincts.

Rien ne s’oppose au cumul d’une infraction commise pour préparer la commission d’une autre infraction avec cette dernière, les deux qualifications reposant alors sur des faits distincts.

Il s’avère que le raisonnement retenu ayant fondé l’arrêt soumis à la présente analyse n’est pas nouveau. La chambre criminelle l’avait déjà retenu à propos du cumul du faux et de l’escroquerie dans l’hypothèse particulière où le faux, en plus d’avoir été utilisé pour commettre l’escroquerie, a également été utilisé à une autre occasion [3].

Par Cyril de Guardia de Ponte Avocat associé au Barreau des Pyrénées-Orientales [->cyrildeguardia.avocat@gmail.com] https://www.cyrildeguardia-avocat.fr/

[1Arrêt n°1520 du 9 septembre 2020 n°19-84.301.

[2Crim. 26 oct. 2016, n° 15-84.552.

[3Crim. 16 janv. 2019, n° 18-810.566.

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