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Le lanceur d’alerte de bonne foi peut se méprendre sans risque. Par Charles-Elie Martin, Avocat.
Parution : mardi 15 septembre 2020
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Une question légitime n’avait pas encore été tranchée par la Chambre sociale de la Cour de cassation. La protection juridique d’un lanceur d’alerte le couvre-t-elle même si les faits ne sont pas du tout avérés ?
Les juges du Quai de l’Horloge ont tranché cette question à travers le prisme de la notion de bonne ou mauvaise foi.

La loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 a créé l’article L1132-3-3 du Code du travail afin de protéger les salariés ayant été témoins d’un délit ou d’un crime durant l’exercice de leurs fonctions, en s’inspirant fortement des dispositions relatives aux harcèlements moral et sexuel.

Dans cette lignée, la loi Sapin II, n°2016-1691 du 9 décembre 2016 a étendu la protection dudit article plus spécifiquement aux lanceurs d’alerte.

L’article 6 de la loi Sapin II définit le lanceur d’alerte comme :

« une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance ».

Ainsi, le salarié lanceur d’alerte est protégé par le législateur s’agissant entre autres du recrutement, d’une sanction, de mesures discriminatoires ou, bien évidemment, d’un licenciement.

Le critère déterminant dans la protection du salarié lanceur d’alerte est sa bonne foi, exigée par le texte.

Selon l’article L1132-3-3 du Code du travail, la mauvaise foi du salarié résulte de sa connaissance de la fausseté des faits qu’il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

En l’espèce, un vérificateur-vendeur avait été licencié pour faute grave aux motifs qu’il avait dénigré son employeur dans des courriers adressés au directeur de région et déposé plainte contre le responsable d’une agence de l’entreprise.

La Cour d’appel avait validé le licenciement du salarié en jugeant que le salarié était de mauvaise foi puisque la plainte qu’il avait déposée n’avait pas abouti à des poursuites pénales et surtout, que ce dernier ne pouvait ignorer que sa plainte allait déstabiliser l’entreprise.

La Cour de cassation casse ce syllogisme et revient à une définition classique de la mauvaise foi, à savoir, l’obligation pour les juges du fond de caractériser que le salarié avait connaissance de la fausseté des faits qu’il avait dénoncés et non la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

En effet, comme en matière de harcèlement pour lequel le législateur avait repris et adapté la protection et la charge de la preuve, la Cour de cassation transpose les conditions de la mauvaise foi du harcèlement moral au lanceur d’alerte ; une accusation mal fondée n’est donc pas synonyme ipso facto de mauvaise foi.

Ainsi, peu importe les dommages de réputation causés à la société et même si les faits ne sont pas avérés pour autant que la mauvaise foi n’est pas caractérisée, le salarié sera entièrement protégé contre la réaction de son employeur à son alerte.

Cette précision importante de la Cour de cassation tend vers une protection juridique encore plus optimale des lanceurs d’alerte et inversement contraignante pour les employeurs.

Soc., 8 juill. 2020, pourvoi n°18-13.593, FS-P+B

Charles-Elie MARTIN Avocat au Barreau de Paris [->contact@cem-avocat.fr] www.cem-avocat.fr