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Offre de vente acceptée : le vendeur peut-il se rétracter ? Par David Amanou, Avocat.
Parution : lundi 14 septembre 2020
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Nombre de propriétaires de biens immobilier se croient pieds et poings liés lorsqu’ils ont établi une offre de vente et que celle-ci a été explicitement acceptée par un potentiel acquéreur. Pourtant, la réalité jurisprudentielle est plus nuancée qu’il n’y paraît de prime abord. Une offre de vente acceptée n’induit en effet pas nécessairement une obligation de céder son bien immobilier.

Eclairage sur un distinguo pas toujours bien appréhendé par le justiciable.

Qu’est-ce qu’une offre dite « parfaite » ?

L’article 1113 du Code civil rappelle que « le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager ».

L’article 1583 du Code susvisé précise que l’offre « est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payé ».

Plus encore, l’article 1589 du même Code énonce que « la promesse de vente vaut vente, lorsqu’il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix ».

Il s’évince des dispositions précitées qu’une offre est réputée parfaite - et donc irrévocable pour le vendeur à moins qu’il n’engage sa responsabilité extra-contractuelle - dès lors que les parties ont convenu de l’objet et du prix de vente.

Toutefois, en dépit de cette apparente simplicité, les magistrats ont opéré un distinguo selon qu’il existe ou non un intermédiaire à la vente.

Très concrètement, cela signifie que le droit n’est pas la même selon que la vente se réalise directement entre particuliers ou par l’intercession d’un mandataire immobilier (agent immobilier, administrateur de biens, Notaire, avocat…).

L’offre de vente entre particuliers.

Dans le cas où un propriétaire met en vente son bien sans donner mandat à un intermédiaire, professionnel de l’immobilier et publie lui-même une annonce dans laquelle il y mentionne sans équivoque le bien vendu et son prix, cela constitue une offre ferme à personne indéterminée.

Ainsi, si un potentiel acquéreur (dit bénéficiaire) formule explicitement une offre d’achat au prix, son offre rencontre directement la proposition de l’offrant (dit pollicitant).

De facto, au sens des articles 1583 et 1589 du Code civil, il y a acceptation de l’offre de vente et les parties sont donc contractuellement liées.

La jurisprudence a régulièrement rappelé ce principe [1].

Concrètement, cela signifie que si plusieurs acquéreurs font une offre d’achat au prix, le contrat de vente sera formé avec celui qui a adressé la première offre [2].

Autrement dit, si le vendeur reçoit une offre au prix, puis une nouvelle offre à un prix plus élevé, il n’aura guère d’autre alternative que d’accepter la première, à moins d’engager sa responsabilité extra-contractuelle et de s’exposer au versement de dommages-intérêts en cas d’instigation d’une procédure judiciaire.

La solution est en revanche bien plus nuancée dans l’hypothèse où le vendeur a confié mandat à un intermédiaire.

L’offre d’achat dans le cadre de la mise en vente d’un bien immobilier par le biais d’un mandataire.

Ici, il faut rechercher la nature du mandat conféré par le vendeur mandant au mandataire professionnel.

Par principe, les articles 1984 et suivants du Code civil confèrent au mandataire le pouvoir d’engager son mandant, et donc de vendre, s’il recueille l’accord univoque d’un acquéreur sur la chose et le prix.

Toutefois, en matière immobilière, ce texte ne trouve à s’épanouir qu’exceptionnellement du fait d’une réglementation spécifique, à savoir la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce, dite loi « Hoguet », et son décret d’application n° 72-678 du 20 juillet 1972.

La Haute Cour a fait sienne ce texte depuis un arrêt de janvier 1985, dont le considérant est désormais de principe : « sauf clause expresse conforme aux exigences du troisième alinéa de l’article 72 du décret n°72-678 du 20 juillet 1972, le mandat même exclusif donné à un agent immobilier lui confère seulement une mission d’entremise et n’a pas pour objet de le substituer à son mandat pour la réalisation de l’opération envisagée » [3].

Ainsi, en vertu de cette jurisprudence, il existe deux types de mandats pour les professionnels de l’immobilier :
- un mandat de représentation, uniquement si une clause expresse de représentation est insérée au mandat ; le vendeur accorde à l’intermédiaire pouvoir de le représenter, de choisir l’acquéreur et de conclure la vente s’il recueille l’accord sur la chose et le prix ;
- un simple mandat d’entremise, le rôle de l’intermédiaire se bornant à rechercher un acquéreur, le vendeur étant, pour sa part, libre de choisir l’acheteur comme bon lui semble.

Le principe c’est donc le mandat d’entremise, l’exception le mandat de représentation.

Autrement dit, en pratique, la plupart du temps les professionnels mandataires et agents immobiliers ne disposent que d’un mandat d’entremise.

Lorsqu’une clause de représentation expresse est stipulée au mandat, de fait nécessairement exclusif, le mandataire est réputé agir comme s’il était lui-même le vendeur.

Aussi, s’il recueille une offre au prix, elle vaut offre parfaite liant les parties, à l’instar de ce qui a été précédemment développée dans le cadre d’une vente entre particuliers.

A contrario, à défaut d’une clause expresse dans le contrat de mandat, comme c’est le cas pour des mandats non exclusifs, le vendeur n’est pas engagé par le premier offrant au prix ni même d’ailleurs par les termes du mandat.

Il reste ainsi pleinement libre de choisir entre tous les potentiels acquéreurs ayant fait une offre, peu important la chronologie et le montant desdites offres.

De même, il peut rechercher de son côté des acquéreurs et établir un compromis de vente avec eux.

La Cour de Cassation censure avec constance les Cours d’appel qui ne s’attacheraient pas à scrupuleusement vérifier l’existence d’une clause expresse par laquelle le mandant donne pouvoir au professionnel de le représenter pour conclure la vente :
- « le mandat d’entremise donné à une personne se livrant ou prêtant son concours de manière habituelle à une opération visée à l’article 1er de la loi du 2 janvier 1970 ne lui permet pas d’engager son mandant pour l’opération envisagée à moins qu’une clause de ce mandat ne l’y autorise expressément » [4] ;
- « le mandat donné à l’agence était un mandat d’entremise au sens de l’article 1° de la loi du 2 janvier 1970 qui en l’absence d’une clause expresse ne conférait à l’agent immobilier ni le pouvoir d’aliéner le bien ni celui de représenter le vendeur pour conclure la vente, qu’un tel mandat ne pouvait constituer pour cette même raison une offre ferme de vente à l’adresse de tout acquéreur » [5] ;
- « viole les articles 1 et 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 et l’article 72, alinéa 3, du décret n° 72-678 du 20 juillet 1972, la Cour d’appel qui, pour valider un compromis de vente, retient qu’aux termes des conditions générales du mandat, le vendeur s’était engagé à signer toute promesse de vente ou tout « compromis » de vente aux prix, charges et conditions du mandat donné à l’agent immobilier, sans constater l’existence dans ce mandat d’une clause expresse par laquelle le mandant donnait pouvoir à l’agent immobilier de le représenter pour conclure la vente » [6].

Un arrêt de la Cour de cassation [7], tout en réitérant la jurisprudence antérieure, a apporté un nouvel éclairage en insistant sur la potentielle responsabilité du Notaire rédacteur, au titre des informations à délivrer aux parties.

En l’espèce, en 2006, un mandant avait chargé une agence immobilière de mettre en vente son appartement.

Cette agence lui a adressé un courrier recommandé pour lui indiquer qu’un couple formulait une offre aux conditions définies par mandat.

Néanmoins, le vendeur a concurremment fait ratifier un compromis de vente avec un second couple puis a fait dresser un acte authentique de vente par Notaire.

Le premier couple a alors assigné le vendeur en exécution forcée de la vente et en octroi de dommages-intérêts, le second couple sollicitant quant à lui le versement de dommages-intérêts par le Notaire.

La cour d’appel a écarté la responsabilité du Notaire indiquant qu’il n’avait pas connaissance d’un différend entre les premiers époux et le vendeur au jour de la signature de l’acte authentique.

Elle a, en revanche, condamné le vendeur, estimant qu’il engageait sa responsabilité dès lors que la première offre était au prix et que la vente serait conséquemment réputée parfaite.

La Cour de cassation a infirmé sans ambages l’arrêt de la Cour d’appel mettant en exergue la violation des articles 1583 et 1589 du Code civil ; la Cour d’appel aurait dû rechercher, dans le contrat de mandat, l’existence d’une clause expresse de représentation.

En synthèse, que faut-il retenir ?

Contrairement à une idée répandue, il n’est pas systématique de devoir vendre alors même que l’offre de vente a été acceptée.

Plus encore, dans toutes les hypothèses - les plus fréquentes en pratique - où l’offre de vente n’a pas été faite par le propriétaire lui-même mais par une agence immobilière mandatée, le vendeur n’est pas tenu de donner suite aux offres d’acquisition qui lui sont faites.

Ce n’est qu’au stade du contreseing du compromis de vente, lorsque l’acquéreur et le vendeur auront apposé leur signature sur l’acte, que l’offre sera réputée parfaite, le vendeur ne pouvant plus revenir sur sa décision à moins d’engager sa responsabilité.

Maître David AMANOU Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine ldda-avocats.fr

[1Par exemples, Cass. 3ème civ., 1er juillet 1998, n° 95-20605 ; Cass. 3ème civ., 9 mai 2001, n° 00-10129.

[2Par exemple, Cass 3ème civ., 12 février 1975, n° 73-14407.

[3Cass. 1ère civ., 5 janvier 1985, n° 83-13560.

[4Cass. 1ère civ., 27 juin 2006, n° 04-20693.

[5Cass. 3ème civ., 12 février 2008, n° 06-21709

[6Cass. 3ème civ., 12 avril 2012, n° 10-28637.

[7Cass. 3ème. civ., 26 février 2013, n° 11-18552.

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