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La nouvelle composition de la commission départementale d’aménagement commercial est-elle illégale ? Par Ludovic Delajoie, Juriste.
Parution : lundi 3 août 2020
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Le décret n° 2019-331 du 17 avril 2019 relatif à la composition et au fonctionnement des commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) et aux demandes d’autorisation d’exploitation commerciale en tant qu’il prévoit la présence de personnalités qualifiées représentant le tissu économique est sujet à critiques.

Le Conseil national des centres commerciaux conteste cette présence qu’il estime contraire au droit de l’Union européenne et pousse ainsi le Conseil d’Etat a poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’union européenne (CE, 15 juill. 2020, n° 431703).

Deux recours pour excès de pouvoir sont formés contre le décret n° 2019-331 du 17 avril 2019 relatif à la composition et au fonctionnement des commissions départementales d’aménagement commercial (CDAC) et aux demandes d’autorisation d’exploitation commerciale.

Le Conseil d’Etat statue sur ces recours dans une décision rendue le 15 juillet 2020 [1].

Le décret du 17 avril 2019 a été pris en application des articles 163 et 166 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018, codifiés aux articles L751-2 et L752-6 du Code de commerce. Les dispositions en cause et qui nous intéressent ici sont celles relatives à la composition des CDAC. A l’appui du recours l’un des requérants invoque par voie d’exception l’illégalité des dispositions législatives relatives à la nouvelle composition de la CDAC.

La loi du 23 novembre 2018 prévoit que la CDAC doit comporter désormais trois personnalités qualifiées représentant le tissu économique : une désignée par la chambre de commerce et d’industrie, une désignée par la chambre de métiers et de l’artisanat et une désignée par la chambre d’agriculture. La loi précise que ces personnalités qualifiées ne prennent pas part au vote. Les personnalités désignées par la chambre de commerce et d’industrie et la chambre de métiers et de l’artisanat présentent la situation du tissu économique dans la zone de chalandise pertinente et l’impact du projet sur ce tissu économique. La personnalité désignée par la chambre d’agriculture présente l’avis de cette dernière lorsque le projet d’implantation commerciale consomme des terres agricoles.

Les moyens soulevés à l’appui des recours sont tous écartés par la Haute juridiction administrative. La décision du Conseil d’Etat est dans la lignée de celle du Conseil constitutionnel [2]. Le Conseil d’Etat consacre notamment la conventionnalité de l’analyse d’impact. Auparavant, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le nouveau dispositif en place.

Pour rappel la loi du 23 novembre 2018 a introduit la nécessité pour les demandeurs d’autorisation d’exploitation commerciale de présenter une étude d’impact réalisée par un organisme indépendant habilité par le représentant de l’Etat dans le département. Cette étude d’impact doit évaluer les effets du projet sur l’animation et le développement économique du centre-ville de la commune d’implantation, des communes limitrophes et de l’EPCI dont la commune d’implantation est membre, ainsi que sur l’emploi, en s’appuyant notamment sur l’évolution démographique, le taux de vacance commerciale et l’offre de mètres carrés commerciaux déjà existants dans la zone de chalandise pertinente, en tenant compte des échanges pendulaires journaliers et, le cas échéant, saisonniers, entre les territoires. En outre, elle doit démontrer que le projet ne peut s’implanter sur une friche existante en centre-ville ou en périphérie (art. L752-6 du Code de commerce).

Seul un moyen de légalité va néanmoins justifier de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

En effet, le Conseil d’Etat décide de surseoir à statuer sur les conclusions de la requête n° 431724 du Conseil national des centres commerciaux, en tant qu’elle demande l’annulation des articles 1er à 3, 10 et 11 du décret n° 2019-331 du 17 avril 2019 et présente des conclusions au titre de l’article L761-1 du Code de justice administrative, jusqu’à ce que la Cour de justice de l’Union européenne se soit prononcée sur la question de savoir si le paragraphe 6) de l’article 14 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur doit être interprété en ce sens qu’il permet la présence, au sein d’une instance collégiale compétente pour émettre un avis sur une autorisation d’exploitation commerciale, d’une personnalité qualifiée représentant le tissu économique, dont le rôle se borne à présenter la situation du tissu économique dans la zone de chalandise pertinente et l’impact du projet sur ce tissu économique, sans prendre part au vote sur la demande d’autorisation.

L’un des deux requérants, le Conseil national des centres commerciaux, soutient que la présence de personnalités qualifiées représentant le tissu économique désignées par les chambres consulaires au sein des commissions départementales d’aménagement commercial méconnaissent le paragraphe 6 de l’article 14 de la directive Services.

Le paragraphe 6 précité prohibe « l’intervention directe ou indirecte d’opérateurs concurrents, y compris au sein d’organes consultatifs, dans l’octroi d’autorisations ou dans l’adoption d’autres décisions des autorités compétentes, à l’exception des ordres et associations professionnels ou autres organisations qui agissent en tant qu’autorité compétente », étant précisé que « cette interdiction ne s’applique ni à la consultation d’organismes tels que les chambres de commerce ou les partenaires sociaux sur des questions autres que des demandes d’autorisation individuelles ni à une consultation du public ».

Ces personnalités qualifiées peuvent donc apparaître comme des concurrents potentiels du demandeur.

Quelles sont les chances de succès du moyen soulevé ?

Le rapporteur public M. Raphaël Chambon dans ses conclusions sur la décision commentée dresse un panorama de la jurisprudence de la CJUE en la matière.

Au préalable, il rappelle qu’avant la loi du 4 août 2008 le président de la CCI et celui de la chambre des métiers étaient membres des CDAC. Dans un avis rendu le 12 décembre 2006 la Commission européenne avait émis un avis motivé critiquant cette présence.

Aussi, il indique que la CJUE n’a pas encore fait application de l’article 14 paragraphe 6 de la directive Services qui paraît plus sévère que la jurisprudence actuelle de la Cour de justice. Toutefois, la jurisprudence actuelle de la Cour veille à ce que les membres d’organismes compétents pour délivrer des agréments ou des autorisations ne comportent pas des concurrents potentiels [3].

Le rapporteur public rappelle que les personnalités qualifiées ne prennent pas part au vote.

Une telle garantie n’est pas sans rappeler toute la jurisprudence européenne relative au commissaire du gouvernement près de la juridiction administrative, devenu le rapporteur public [4]. A l’époque, la Cour européenne sanctionne le rôle du commissaire du gouvernement, plus précisément sa présence au délibéré au nom de la théorie des apparences. Alors même qu’il ne vote pas, par sa présence, il exerce une influence en faveur de l’une ou l’autre des parties au litige. Cette position semble revue depuis la décision de 2013 (voir supra).

Dans ce contexte, on peut se dire que les apparences sont contre le dispositif en cause en favorisant l’intervention même indirecte d’opérateurs concurrents dans le processus d’autorisation. L’objectif de la loi du 23 novembre 2018 est bien de renforcer l’information à destination des membres de la CDAC et de permettre un éclairage complet de la situation économique afin que les membres votants puissent voter en toute connaissance de cause. Il va de soi que les informations communiquées par les personnalités qualifiées vont exercer une influence sur les membres.

En réalité, à mon sens, les garanties existent. Elles résident dans la désignation des personnalités qualifiées, le choix de telle ou telle personne plutôt qu’une autre pour tel dossier déterminé présenté devant la CDAC.

Ainsi, rien ne semble interdire de désigner parmi les personnalités qualifiées des personnes qui sont à la retraite. Egalement, il convient de désigner plusieurs personnes dans le cadre de l’adoption de l’arrêté général de composition de la CDAC.

Leur mandat est de trois ans et est renouvelable. Si elles perdent la qualité en vertu de laquelle elles ont été désignées, ou en cas de démission, de décès ou de déménagement hors des frontières du département, leur remplaçant est désigné sans délai, pour la durée du mandat restant à courir.

Ensuite, pour chaque commission départementale un arrêté préfectoral de composition est pris (art. R. 752-1 du Code de commerce) [5]. Il suffira alors au secrétariat de la commission départementale de piocher dans l’arrêté général pour choisir les personnalités qualifiées. Lesquelles ne devront pas constituer des concurrents directs ou même indirects au regard du demandeur.

De plus, il est souligné que la loi prévoit que tout membre de la commission départementale d’aménagement commercial informe le préfet des intérêts qu’il détient et de la fonction qu’il exerce dans une activité économique. Aucun membre de la commission départementale ne peut délibérer dans une affaire où il a un intérêt personnel ou s’il représente ou a représenté une ou des parties. Pour chaque commission départementale ces règles sont donc respectées par le préfet, soit par le secrétariat de la commission (art. L. 751-3 du Code de commerce).

A moins que l’exécutif ne prenne les devants en décidant de modifier à nouveau les règles applicables, il faut donc surveiller l’intervention de la décision de la CJUE se prononçant sur la question préjudicielle du Conseil d’Etat. La Cour de justice détient l’avenir de la composition de la CDAC entre ses mains.

Ludovic DELAJOIE Juriste spécialité Droit de l'urbanisme

[1CE, 15 juill. 2020, n° 431703.

[2Décision n° 2019-830 QPC du 12 mars 2020 : rejet d’une question prioritaire de constitutionnalité posée à propos des dispositions du e) du 1° du I, du III et du IV de l’article L752-6 du Code de commerce.

[3Voir les conclusions du rapporteur public accessibles sur le site ArianeWeb.

[4CEDH, 7 juin 2001, Kress c/ France, n° 39595/98 ; CEDH, 12 avr. 2006, Martinie c/ France, n° 58675/00 ; CEDH, 4 juin 2013, Marc-Antoine c/ France, n° 54984/09.

[5Pour connaître le fonctionnement général de la procédure : Autorisation d’implantation des surfaces commerciales et des cinémas, Olivier SUT, édition du Puits-Fleuri.