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Airbnb : La ville de Paris a t-elle raison de crier victoire contre les fraudeurs assignés ? Par Lorène Derhy, Avocat.
Parution : mercredi 22 juillet 2020
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Après s’être longtemps fait attendre, l’avocat général de la Cour de Justice de l’Union Européenne, Michal Bobek, a enfin fait connaître ses observations aux termes de ses conclusions en date du 2 avril 2020, concernant la légalité de la procédure de compensation imposée par l’article L 631-7 du Code de la construction au regard du droit européen.

La Cour de Justice doit rendre sa décision le 22 septembre 2020 à ce sujet. Les enjeux sont conséquents dès lors que près de 300 propriétaires ont été assignés sur ce fondement et sont dans l’attente de cette décision.

Si la ville de Paris crie Victoire et se dit soulagée dans la presse, il convient d’être plus mesuré.

En effet, si l’avis de l’avocat penche vers la conformité de la procédure d’autorisation à laquelle les loueurs de meublés de tourisme doivent s’astreindre en droit français, il conteste cependant la méthode de compensation instituée par la Ville de Paris en ce qu’elle apparaît comme non-proportionnée voire discriminatoire par rapport l’objectif de lutte contre la pénurie de logements.

Lumière sur ses conclusions !

I- Dans quel contexte s’inscrit cette affaire ?

Cette affaire s’est révélée lorsque deux sociétés se sont vues attraite en justice puis condamnées pour ne pas avoir respecté la procédure préalable de changement d’usage prévue aux articles L631-7 et L631-7-1 du CCH. Autrement dit, elles se sont abstenues de procéder à la compensation des studios qu’elles mettaient en location sur Paris via la plateforme Airbnb pour des séjours de courtes durées à une clientèle de passage.

Après avoir été déboutées en appel, ces sociétés se sont pourvues en cassation arguant de la méconnaissance par la Cour d’appel du principe de primauté du droit européen en ce qu’elle aurait manqué d’établir notamment que :
- la restriction à la libre prestation de service caractérisée par la procédure d’autorisation imposée par le droit français était ou non justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général conformément à ce qu’exige la directive européenne 2016/123 ;
- que l’objectif poursuivi par cette réglementation pouvait ou non être réalisé par une mesure moins contraignante comme l’exige l’article 9 de la directive précitée.

Face à cette problématique, la Cour de cassation s’est vue contrainte de prononcer le sursis à statuer dans sa décision du 15 novembre 2018, n°17-26158 et a ainsi renvoyé à la Cour de Justice de l’Union Européenne la question de la conformité de l’article L631-7 du CCH à la directive européenne 2006/13 régissant la libre circulation des services.

Pour comprendre l’enjeu sous-jacent derrière cette affaire, il importe de préciser que n’importe quelle personne souhaitant mettre en location son logement sur une plateforme touristique de type Airbnb ou Booking doit de se conformer à une réglementation très stricte applicable à la location meublée touristique [1], laquelle se veut protectrice de l’habitat en zone urbaine.

Ainsi, si votre logement se situe à Paris, dans la petite couronne ou dans une commune de plus de 200 000 habitants, et qu’au surplus, il s’avère être à usage d’habitation, vous devez impérativement solliciter auprès de votre mairie une autorisation en vue de sa transformation en un tout autre usage, notamment commercial ou hôtelier, tel que vous l’imposent à ce jour les dispositions de l’article L631-7 du CCH. Cette autorisation une fois délivrée, votre mairie peut au surplus vous astreindre à une obligation de compensation, laquelle s’avère être une procédure très complexe et coûteuse.

Une telle procédure s’assimile davantage en un véritable parcours du combattant, incitant de nombreux loueurs à préférer s’affranchir de telles contraintes, sous peine de se voir exposés à une amende civile maximale de 50 000 euros par meublé.

II- Quels enseignements peut-on tirer de l’avis de l’avocat général ?

Après avoir confirmé que la directive 2016/123 posant le principe de la libre prestation de service était applicable aux dispositions encadrant la location touristique, l’avocat général rappelle qu’il est loisible aux Etats Membres de l’Union Européenne, aux termes de l’article 9 de la directive, de subordonner l’accès et l’exercice d’une activité de service à un régime d’autorisation, à la condition de justifier des trois conditions cumulatives suivantes :
- que ce régime d’autorisation soit justifié par une raison impérieuse d’intérêt général ;
- que ce régime d’autorisation ne soit pas discriminatoire à l’égard du prestataire visé ;
- que l’objectif ne puisse pas être poursuivi par une mesure moins contraignante.

En l’espèce, il considère ainsi que la « lutte contre la pénurie de logement destinés à la location de longue durée » ainsi que « la protection de l’environnement urbain » constituent une raison impérieuse d’intérêt général de nature à justifier l’instauration du régime d’autorisation prévu à l’article L631-7 du CCH.

Toutefois, l’avis de l’avocat est un peu moins tranché sur la condition tenant à la proportionnalité de la mesure, estimant qu’une procédure moins contraignante pourrait être imposée en France, et invitant ainsi chaque commune à apprécier la conformité du cadre légal français en tenant compte des spécificités afférentes à sa propre circonscription, en veillant à ne pas outrepasser ce qui est nécessaire à la lutte contre la pénurie de logement.

Outre, le régime de l’autorisation de changement d’usage, il réserve une opinion plus négative sur l’obligation de compensation imposée par la Ville de Paris en ce qu’elle aurait pour unique dessein d’anéantir l’objectif de la demande d’autorisation, et serait presque impossible à mettre en place tant son applicabilité est coûteuse et restrictive.

Sur ce point, il met également en exergue le caractère discriminatoire du modèle parisien dès lors que la procédure de compensation serait finalement réservée « aux plus fortunés » qui seraient les seuls à pouvoir « satisfaire l’obligation de compensation, et qui seront généralement des personnes morales ou des promoteurs immobilier, comme l’a laissé entendre la ville de Paris. (…) ».

A ce titre, Maître Bobek appelle la Cour de cassation à veiller au respect des principes tant de proportionnalité que de non-discrimination du cadre légal français au regard de la directive européenne notamment en instaurant des exceptions ou aménagements à l’obligation de compensation pour certains types de logement ou certains propriétaires.

III- Quels seront les suites à donner à cet avis ?

Si l’avis de Maître Bobek tend à démontrer que le modèle parisien ne serait pas conforme à la directive en cause, il convient d’avoir à l’esprit que cet avis ne lie en rien la Cour de Justice, laquelle pourra, aux termes de la décision qu’elle rendra, avoir une opinion totalement opposée aux observations de l’avocat général.

Ainsi, il serait vain à ce stade pour la ville de Paris de crier victoire car, en tout état de cause, même si la Cour de Justice venait à suivre l’avis de Maître Bobek, la ville de Paris serait certainement contrainte de justifier devant la Cour de cassation du respect des principes de proportionnalité et de non-discrimination de l’obligation de compensation qu’elle impose à ses loueurs saisonniers. Dans cette optique, il ne serait pas surprenant de voir les juges de cassation déclarer cette procédure comme étant contraire au droit européen.

Quoi qu’il en soit, cette affaire reste à suivre dès lors que les personnes assignées par la Ville de Paris ont vu leur affaire suspendue dans l’attente de la décision de la Cour de Justice Européenne, laquelle doit se prononcer enfin le 22 septembre 2020 (en principe). Une fois que ladite Cour aura statue, l’affaire sera renvoyée par devant la Cour de Cassation, qui devra à son tour statuer sur la question en suivant l’avis de la Cour de Justice et le cas échéant ses recommandations.

Pour une lecture plus approfondie de cet article, n’hésitez pas à consulter l’article « Airbnb : la victoire incertaine de la Ville de Paris par l’avocat général de la CJUE » [2].

A toutes fins utiles, je vous indique que le 19 juillet 2020, Ian Brossat, Adjoint de la Maire de Paris, a annoncé, contre toute attente, que la Ville de Paris abandonnerait ses poursuites contre les fraudeurs assignés s’ils acceptaient de signer un protocole d’accord dont la teneur semble encore bien imprécise et assez désavantageuse [3].

Lorène Derhy, Avocat www.derhy-avocat.com