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Il est possible de produire des pièces en langue étrangère devant le juge français. Par Charles Joseph-Oudin, Avocat.
Parution : vendredi 17 juillet 2020
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Les pièces médicales ou scientifiques, versées par la demanderesse, ne doivent pas être écartées des débats au seul motif qu’elles seraient rédigées en langue étrangère.

L’ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 août 1539 éditée par François 1er, avait pour vocation de rendre l’administration accessible à tous notamment en imposant, en lieu et place du latin, la langue française pour « les actes et exploits de justice » [1].

Par une ordonnance du 5 mai 2017 (17/00144), le tribunal de grande instance de Bobigny juge que « l’ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 aout 1539, qui prévoit le recours à la langue française, ne concerne que les actes de procédure [2] ». Ainsi, les pièces médicales ou scientifiques, versées par la demanderesse, ne doivent pas être écartées des débats au motif qu’elles seraient rédigées en langue étrangère (en l’espèce, documents rédigés en anglais et en portugais).

Une décision confirmant une position déjà adoptée par la Cour de cassation.

L’ordonnance du tribunal de grande instance de Bobigny vient donc confirmer une position précédemment adoptée par la Cour de Cassation le 22 septembre 2016 (n°15-21176), au sujet d’un certificat de marquage CE d’un dispositif médical rédigé en anglais, énonçant que « l’ordonnance de Villers-Cotterêts ne concerne que les actes de procédures et qu’il appartient au juge du fond, dans l’exercice de son pouvoir souverain, d’apprécier la force probante des éléments qui lui sont soumis ».

En l’espèce, la demanderesse, déboutée, estimait que « le juge ne peut fonder sa décision sur un document écrit en langue anglaise qui n’est pas assorti de sa traduction en langue française sans en préciser le sens » et donc que la cour d’appel avait violé « les article 455 du Code de procédure civile et 111 de l’Ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 août 1539 ».

Une décision présentant de nombreux avantages pour les particuliers, notamment dans le domaine du droit de la santé.

La possibilité pour les victimes de produire des pièces en langue étrangère présente plusieurs avantages puisqu’elle conforte la liberté de la preuve, mais exonère surtout ces dernières de subir des frais considérables en traduction officielle (en effet, les prix des traductions sont calculés en fonction du nombre de mots, mais prennent également en compte la langue à traduire ainsi que la technicité du document). Cette position prend donc tout son sens dans les contentieux relevant du droit de la santé.

La constance de cette décision permet ainsi de clore une question récurrente dans les dossiers de santé publique, notamment le contentieux du Médiator et de la Dépakine, pour lesquels les études médicales, mais encore la pharmacovigilance, sont rédigées principalement en anglais. D’autre part et comme amorcé précédemment, cela permet aux victimes d’apporter, sans frais, des éléments complémentaires à leurs dossiers : en effet, il est usuel lors des expertises médicales de produire des documents rédigés en anglais, ou tout du moins en langue étrangère aisément compréhensible par tous.

Ainsi, la production de pièces étrangères aux débats, tel qu’une notice, une publication scientifique médicale ou encore un marquage CE de dispositif médical, est possible pour les parties.

Charles JOSEPH-OUDIN Avocat Associé Dante 34 rue du Couëdic - 75 014 Paris www.dante-avocats.fr [->cjo@dante-avocats.fr]

[1Article 111 de l’ordonnance du 25 août 1539 sur le fait de la justice dite ordonnance de Villers-Cotterêts.

[2En ce sens, Civ. 1ère, 22 septembre 2016, n°15-21176.