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Réparation intégrale du préjudice corporel en présence d’une pathologie latente de la victime. Par Charles Joseph-Oudin, Avocat.
Parution : vendredi 10 juillet 2020
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La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a récemment confirmé une jurisprudence ancienne et constante concernant la réparation intégrale du préjudice subi par une victime d’un accident corporel et qui présentait une pathologie latente.

En effet, par un arrêt du 20 mai 2020, la Cour de cassation a considéré que :

« Le droit de la victime d’un accident de la circulation à obtenir l’indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d’une prédisposition pathologique lorsque l’affection qui en est résulté n’a été provoquée ou révélée que du fait de l’accident ».

En l’espèce, à la suite d’un accident de la circulation, impliquant un véhicule terrestre à moteur (VTM), la victime a présenté des tremblements dans ses membres supérieurs et inférieurs. Les examens réalisés ont permis de diagnostiquer un syndrome parkinsonien.

Conformément à la loi Badinter du 5 juillet 1985 relative aux accidents de la circulation, la victime a ainsi sollicité auprès du responsable et de son assureur, la réparation intégrale de son préjudice, y compris les séquelles de la manifestation de la maladie de Parkinson.

Le responsable et son assureur ont refusé d’indemniser les préjudices de la victime liés à la maladie de Parkinson, au motif que cette maladie préexistait à cet accident de la circulation et qu’ainsi elle se serait manifestée de manière certaine et indépendamment de la survenance de cet accident.

La question qui se posait, était donc de savoir si une prédisposition pathologique de la victime d’un accident de la circulation, pouvait venir réduire son indemnisation résultant de cet accident, alors même que la maladie ne s’était déclarée que postérieurement à l’accident.

Une décision renforçant le droit à réparation des victimes.

La Cour de cassation a répondu non à cette question, renforçant ainsi le droit à réparation des victimes.

En effet, la Cour de cassation a pris en compte que :
- La maladie de Parkinson de la victime était inconnue avant l’accident ;
- La victime n’avait manifesté aucun signe de la maladie de Parkinson avant l’accident ;
- Cette maladie n’était apparue qu’à la suite de cet accident de la circulation, de sorte qu’elle lui était imputable ;
- Que le responsable et son assureur ne prouvaient pas que cette maladie se serait manifestée dans un délai prévisible.

Et a ainsi considéré que le droit à réparation de la victime devait être intégral, peu importe ses prédispositions médicales.

La Cour de cassation rejette donc l’idée d’une réduction de la réparation du préjudice de la victime en raison de l’existence d’une pathologie latente.

Il faut en effet rappeler une règle essentielle du droit de la responsabilité civile : seule la faute de la victime est une cause d’exonération partielle de responsabilité du défendeur.

Or, l’existence d’une pathologie latente (=pathologie dont la victime n’avait pas connaissance au moment du fait dommageable) ne peut être considérée comme une faute de nature à limiter le droit à une réparation intégrale du préjudice de la victime.

Cependant, il convient de bien distinguer entre :
- L’état antérieur latent de la victime : il s’agit de l’hypothèse où la victime était porteuse d’une maladie avant l’accident, mais qui a été provoquée ou qui s’est révélée qu’à l’occasion du fait dommageable ;
> Dans ce cas, les prédispositions de la victime ne doivent pas être prises en compte dans l’évaluation des préjudices de la victime. Son droit à réparation sera donc intégral ;
- L’état antérieur patent de la victime : il s’agit de l’hypothèse où la maladie de la victime s’est révélée avant le fait dommageable.
> Dans ce cas, l’état antérieur de la victime aura une incidence sur son droit à réparation et pourra voir son indemnisation réduite du fait de l’existence de cette pathologie antérieure.

Une décision confirmant la jurisprudence antérieure avec une précision nouvelle importante.

Cet arrêt du 20 mai 2020 vient confirmer la jurisprudence antérieure, tout en apportant une précision importante sur le délai d’apparition de la pathologie latente.

Le Cour de cassation indique qu’il appartient au responsable d’établir que la pathologie latente de la victime serait apparue « dans un délai prévisible ».

Ainsi, le responsable ne pourra s’exonérer de sa responsabilité que :
- S’il prouve que la pathologie préexistante de la victime se serait manifestée de façon certaine et indépendamment de la survenance du fait dommageable ;
- Et s’il prouve que la pathologie préexistante de la victime se serait manifestée dans un délai prévisible.

L’ajout de cette condition de temporalité dans l’apparition de la maladie vient donc alourdir la charge de la preuve du responsable et ainsi renforcer le droit à réparation des victimes à la suite d’un accident corporel.

Dès lors que l’accident est l’une des causes à la réalisation du dommage, le préjudice en découlant doit être intégralement réparé, et ce, conformément au principe de réparation intégrale du préjudice.

Le doute sur l’origine de la pathologie profite donc à la victime.

Une décision cohérente avec la jurisprudence administrative.

Cet arrêt de la Cour de cassation est en phase avec la jurisprudence administrative qui a déjà eu à se prononcer sur cette question dans plusieurs arrêts rendus par le Conseil d’Etat :
- CE, 2 février 1962, Sté des constructions métalliques de Laon c/ Caisse de sécurité sociale de la Marne ;
- CE, 17 octobre 1962, Min des Armées c/ Caisse primaire de sécurité sociale de Metz ;
- CE, 30 mars 2011 n°331220 ;
- CE, 17 janvier 2015 n°377497.

Autres exemples d’application de cette jurisprudence.

La question des prédispositions génétiques de la victime s’est également posée dans les dossiers concernant le vaccin contre la grippe H1N1, que défend le Cabinet.

Les tribunaux ont fait application de cette jurisprudence constante, en considérant que dès lors que la maladie de la victime, à savoir la narcolepsie cataplexie, s’était déclarée à la suite de la vaccination contre la grippe H1N1, le préjudice de la victime devait être intégralement réparé.

Les juges considèrent que la maladie a bien été provoquée ou s’est révélée à la suite de cette vaccination, malgré les prédispositions génétiques de la victime.

Il en va de même pour les victimes du Médiator également défendues par le Cabinet.

En effet, une victime du Médiator avait vu son indemnisation réduite à hauteur de 50% au motif que ses troubles étaient pour moitié d’origine médicamenteuse toxique et pour moitié imputables à la pré-existence d’une valvulopathie rhumatismale asymptomatique.

Par un arrêt du 30 novembre 2017, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel sur ce point uniquement et considère :
qu’en se déterminant ainsi, sans constater que les effets néfastes de la valvulopathie mitrale s’étaient révélés avant l’exposition au Médiator ou se seraient manifestés de manière certaines indépendamment de la prise de Médiator, la cour d’appel a privé sa décision de base légale

La Cour de cassation avait donc d’ores et déjà retenu que l’indemnisation de la victime ne peut être réduite en raison de l’existence d’une pathologie latente, dès lors que les effets néfastes de la valvulopathie mitrale ont débuté après son exposition au Médiator.

Charles JOSEPH-OUDIN Avocat Associé Dante 34 rue du Couëdic - 75 014 Paris www.dante-avocats.fr [->cjo@dante-avocats.fr]