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La Responsabilité Sociale ou Sociétale des Entreprises (RSE) Au Maroc : Révolution ou Evolution du Droit des Affaires ? (Partie 1). Par Karim Baddou, Juriste.
Parution : lundi 6 juillet 2020
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Exercer sa responsabilité sociétale ou sociale relève d’une démarche structurée (Double culture entre le droit et l’économie/Gestion), intégrée à la stratégie de l’organisation privé ou public. Elle doit être impulsée au plus haut niveau du management de droit des affaires et s’inscrire dans une perspective de progrès continu et une démarche de développement.

La RSE invite le juriste à s’aventurer en s’immisçant dans le Droit.

Introduction.

« La mobilisation nationale et le travail collectif demandent un climat sain et une solidarité renforcée entre les différentes franges de la société. C’est précisément à cela que nous employons par l’adoption de réformes, de mesures économiques et sociales visant à améliorer les conditions du vivre-ensemble en faveur de tous les marocains et à réduire les inégalités sociales et spatiales (…). Il convient aussi de mettre en place de nouveaux mécanismes susceptibles de renforcer la contribution du secteur privé dans la promotion du Social, et de l’inciter à prendre une part active dans l’amélioration des prestations offertes aux citoyens.

Cette contribution doit se faire aussi bien dans le cadre de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) qu’à travers le lancement de Partenariats Public-Privé dans le domaine social ».

Extrait du Discours de Sa Majesté Le Roi Mohammed VI que dieu l’assiste, adressé aux membres des deux chambres du parlement à l’occasion de l’ouverture de la 1-ère session de la 3ème année législative de la 10-ème législature.Tenue en 2018.

L’épidémie de Covid-19 agit comme un révélateur pour les organismes privé et public, soulignant leurs aptitudes à réagir et mettant en évidence leurs failles. Celles engagées dans une démarche et Stratégie RSE, avec une réelle prise en considération de leurs parties prenantes [1], s’en sortent plutôt bien. Au contraire, celles qui ne sont pas irréprochables ont du mal à faire face et nuisent à tout leur écosystème. L’heure est à la prise de conscience.

La crise sanitaire est non seulement venue rappeler les fragilités de chaque système (Juridique/Judiciaire, législative/ Politique et économique…) mais également englobe en elle des opportunités de relance et de nouvelles perspectives de développement pour réussir la transition post-Covid 19.

Pour la première fois, en avril 2020, toutes les entreprises du Maroc faisant publiquement appel à l’épargne ont dû publier un rapport RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) pour respecter les directives de l’AMMC (Autorité Marocaine du Marché des Capitaux) conformément aux circulaire de l’AMMC n° 03/19 du 20 février 2019 relative aux opérations et informations financières publié aux B.O numéro 6784 du juin 2019. Pour certaines, l’exercice n’est pas nouveau et la démarche RSE est bien intégrée. Pour d’autres, en revanche, la question est nouvelle et prend une dimension inattendue en cette période de crise.

La circulaire précise par ailleurs que le rapport devra être certifié par un tiers indépendant. Les entreprises ne seront pas tenues de renseigner toutes les rubriques mais elles devront motiver leur non réponse, en fonction du concept de « complain or explain ».

La tendance mondiale consiste à définir un nouvel équilibre, plus juste, entre les sphères économiques, sociales et environnementales.

L’émergence du concept de responsabilité sociale ou sociétale des entreprises traduit un intérêt accru et une attention particulière que le monde entend porter aux interactions entre les Hommes d’une part, les organisations Humaines et la nature d’autre part, la Notion de RSE à travers le rapport extra-financier dénote une prise de conscience encore plus importante quant aux conséquences négatives que les activités des entreprises peuvent avoir sur la communauté humaine et l’environnement.

La RSE est un concept protéiforme [2] qui se développe dans toutes les régions du monde. Depuis ses origines éthiques américaines (1950), le concept a évolué pour embrasser d’autres acceptions juridiques, économiques, managériales, voire politiques. Le résultat de cette évolution est un concept complexe qui ne se diffuse pas de la même façon dans les différentes géographies.

La notion de responsabilité qui y est discutée ne se limite d’ailleurs plus aux seules entreprises mais vise, depuis la publication en 2010 de la norme ISO 26000 sur la responsabilité sociétale tout type d’organisation (RSO). En proposant des lignes directrices aux organisations ainsi qu’aux entreprises pour qu’elles opèrent de manière responsable, ces textes participent à l’élaboration d’un cadre général de responsabilisation des activités économiques. A travers eux, ce n’est plus la structure de l’entreprise qui est visée, mais les relations entretenues entre les sociétés, ou avec leurs parties prenantes.

La définition retenue par la norme ISO 26000 relative à la responsabilité sociétale des organisations s’inscrit d’ailleurs dans cette droite ligne puisque la RSE y est défini comme « la maîtrise par une organisation des impacts de ses décisions et activités sur la société et l’environnement, se traduisant par un comportement éthique et transparent qui contribue au développement durable, y compris à la santé et au bien-être de la société ; prend en compte les attentes des parties prenantes ; respecte les lois en vigueur tout en étant en cohérence avec les normes internationales de comportement et qui est intégré dans l’ensemble de l’organisation et mis en œuvre dans ses relations » [3].

Il est largement admis que la première définition de la RSE a été fournie par Bowen (1953) en postulant que les hommes d’affaires ont pour obligations de « poursuivre les politiques, prendre les décisions ou suivre les orientations désirables en termes d’objectifs et de valeurs de la société », la publication de cet ouvrage intervient dans un contexte particulier où il est demandé aux entreprises de dépasser le cadre strict de leurs obligations juridique /économiques et s’engager dans des obligations morales envers la société (Fondée sur une obligation de vigilance).

Cette définition ne correspond à aucun principe de responsabilité connu en droit positif. Elle ne renvoie donc à aucun régime de responsabilité.

Ce livre se montre comme une référence dans le domaine de la RSE et il aborde des questions qui restent sans réponse actuellement. Au sens de Bowen, l’objectif ne se limitait pas à l’étude et l’analyse des discours sur la RSE, mais aller au-delà et de les enrichir par des contributions de grands courants de la critique sociale et morale de l’époque (Analyse Macro-économique).

Les entreprises sont aujourd’hui au cœur des échanges économiques mondiaux. Ces échanges se traduisent par la mise en place de relations commerciales, la RSE donne naissance à des normes, des outils et des instruments pour les responsabiliser. L’étude de la responsabilité sociétale des entreprises à travers le prisme du droit révèle en réalité l’émergence d’un cadre de régulation hybride : les normes de RSE s’immiscent dans le droit, conduisant celui-ci à s’emparer de ces normes à son tour. Cet échange permet d’aborder l’entreprise à travers une approche nouvelle, tirée des normes de RSE, c’est-à-dire à travers son organisation et ses fonctions.

La viabilité des modèles sociaux et économiques actuels fait l’objet de débats intenses. Ces débats concernent aussi bien les problèmes financiers, humains et de gouvernance des organisations que les problèmes de la société. Au centre de ces débats, l’entreprise fait face à des enjeux, à des questions, voire des critiques, sur son rôle et sa contribution à la résolution des questions juridiques/ sociales, économiques et environnementales.

Le concept de responsabilité est analysé en référence aux objets de connaissance, tels que la gestion, la philosophie, la sociologie, le droit, etc. Toutefois, cette approche conceptuelle plus ouverte permet de montrer la représentation de cette notion dans la vie sociale, La RSE renvoie aussi à des concepts tels que l’éthique, la justice sociale, le bien-être, et couvre plusieurs champs et domaines de gestion tels que la stratégie, la finance, le management des ressources humaines, le marketing….!

Les relations de l’entreprise avec ses partenaires commerciaux deviennent alors une assise potentielle pour le droit, davantage que son statut ou que sa structure juridique, à partir desquelles peuvent être imputées des obligations, aujourd’hui inexistantes. Une fois l’entreprise saisie, c’est un cadre juridique adapté à son organisation complexe qui peut être mis à jour. L’étude des normes de RSE dévoile un enrichissement des règles applicables à l’entreprise et un renforcement potentiel de sa responsabilité juridique, fondée sur une approche préventive mais également solidaire du droit de la responsabilité. Passant outre les problèmes posés par l’absence de statut juridique, la RSE permet de saisir les entreprises par le biais de leurs relations commerciales, et d’envisager la conception d’un nouveau standard juridique de conduite sociétale, générateur d’une responsabilité individuelle et collective fondée sur une obligation de vigilance.

L’engagement RSE est une réponse aux défaillances du marché et du gouvernement, dès lors qu’au moins une partie prenante de l’entreprise a des préférences environnementales et sociales et qu’elle exige de l’entreprise un comportement responsable. Une partie prenante est, dans ce cas, tout groupe ou organisation qui affecte ou est affecté par les activités de l’entreprise. Les parties prenantes sont, en premier lieu, les actionnaires, les dirigeants et les employés, mais aussi les clients (consommateur) et les fournisseurs, l’Etat, les organisations non gouvernementales ou la société dans son ensemble. Dans ce contexte, les entreprises acceptent, sur la base des préférences sociétales des parties prenantes, de supporter des surcoûts liés à la mise en œuvres des actions RSE au-delà de ce que la loi exige dans le but de se conformer aux règles juridiques, morales et éthiques de la société, de conserver sa capacité à mener son activité, de produire du bien-être pour les parties prenantes ou de maximiser la richesse de long terme des actionnaires.

L’engagement RSE est une stratégie visant à maximiser la valeur partagée entre les actionnaires et les parties prenantes, Les principaux enjeux sont la prévention de la pollution et la gestion des risques, la protection des ressources naturelles et de la biodiversité, la gestion des déchets ou le recyclage et l’éco conception. Le pilier “Social” comprend toutes les questions liées aux ressources humaines, tels que les conditions de travail, la formation et l’emploi ou la politique contre la discrimination, mais aussi les préoccupations plus vastes liées aux droits de l’homme, tels que la politique de lutte contre le travail des enfants. Le pilier “Gouvernance” analyse à la fois les relations avec les parties prenantes externes et la gouvernance d’entreprise. Cette dernière, qui correspond au processus de prise de décisions à l’intérieur de l’entreprise et au pouvoir de négociation entre les dirigeants, les actionnaires et les autres parties prenantes, semble être un facteur spécifique et stratégique pour atteindre à la fois les objectifs financiers et extra-financiers. En outre, les Modes et les méthodes de gestion est régulé par des codes de gouvernance et des lois qu’il est pertinent d’évaluer d’un point de vue juridique, économique et durable.

Au Maroc les entreprises évoluent dans un contexte caractérisé par des réformes institutionnelles renforçant les droits économiques, sociaux et environnementaux, des engagements pris envers les partenaires économiques du Maroc, l’ouverture du marché local aux entreprises internationales dans le cadre de l’attraction de l’investissement étranger, l’attention accrue portée par la société aux comportements sociaux et environnementaux de l’entreprise et par des parties prenantes de plus en plus saillantes.

La RSE vise en effet malgré tout à la conditionner au respect de certains principes et de certaines obligations. Or, un tel objectif ne saurait être atteint sans une réception par le droit positif de ces textes de RSE ou de leur contenu. Ce n’est d’ailleurs que récemment que les juristes ont commencé à s’intéresser à la RSE, cette notion étant longtemps restée cantonnée à une question d’éthique des affaires.

La problématique est de savoir :

Est-ce que La RSE devient-elle un pilier principal de développement et de protection dans un contexte de mondialisation ? Comment ces démarches et stratégies permettant au droit des affaires de réagir, voire d’anticiper, les changements essentiels du contexte des affaires au Maroc à savoir le contexte Juridique / judiciaire sur le plan Micro et Macro- économique du pays ?

Dans notre étude, nous présenterons d’abord La RSE dans un contexte de mondialisation, capitalisation et digitalisation (Titre1) puis nous débattrons l’entreprise comme acteur socio-économique des activités commerciales (A) et la RSE comme une nouvelle relation de l’entreprise à son écosystème(B). Nous terminerons par les mesures prises par l’Etat Marocain afin de s’adapter aux exigences du développement à l’international (Titre 2 ) par les leviers institutionnelle Marocain d’une part(A) et la régulation du processus économique d’autre part(B).

Titre 1 : La RSE dans un contexte de mondialisation, capitalisation et digitalisation :

La question de la responsabilité des entreprises vis-à-vis de la Société a pourtant émergé dès la fin du 19ème siècle [4] aux Etats-Unis, « dans un contexte de transformation du capitalisme américain ». C’est ensuite sous la plume de H. R. Bowen, considéré comme l’un des pères fondateurs de la notion de RSE à travers son ouvrage *Social Responsability of the Business Man* paru en 1953 aux Etats-Unis, que la question d’une responsabilité sociale incombant aux entreprises a été intégrée par les milieux académiques. Le développement de grandes entreprises dans une époque d’après guerre a alors bouleversé les relations entre l’entreprise et la Société, ce qui explique sans nul doute le regain d’intérêt Juridique pour cette problématique. Mais pour les sociologues aussi bien que pour les économistes, l’entreprise n’est devenue un objet d’étude à part entière que récemment. Il n’est dès lors pas étonnant de constater la difficulté avec laquelle le juriste tente encore d’en cerner les contours.

Ces difficultés se sont accrues ces dernières années, l’entreprise ne cessant d’évoluer dans un environnement marqué par la libéralisation et l’internationalisation des échanges qui ont participé à la faire évoluer.

Le contenu et la nature de cette responsabilité restent toutefois difficiles à définir, les principes traditionnels du droit de la responsabilité civil n’apportant que peu de réponse aux questions que soulève la responsabilisation des entreprises. Surtout, la complexité de leur organisation a modifié les rapports avec leurs parties prenantes. Les centres de décision se sont multipliés, et peuvent se situer sur plusieurs pays différents. Les relations entre les entreprises et la Société s’en trouvent donc modifiées.

C’est alors le droit de la responsabilité et plus précisément la responsabilité des entreprises qui pourrait être influencé par la RSE.

Dans un contexte de mondialisation des échanges économiques, la RSE propose finalement au juriste une nouvelle manière d’aborder les relations des entreprises avec la Société. Cette nouvelle approche conduit à envisager l’entreprise sous un angle nouveau, davantage axée sur son organisation et ses fonctions que sur sa structure juridique.

A- L’entreprise, acteur socio-économique des activités commerciales :

Il nous a semblé plus utile, pour les besoins de cette étude, de revenir sur l’évolution de la place de l’entreprise dans la Société à travers les travaux en sociologie en sciences économique et en sciences de gestion. Cette approche permet de constater que l’entreprise n’a été étudiée que tardivement, tant par les sociologues, les économistes que par les gestionnaires. La nécessité récente d’étudier les rapports entre l’entreprise et la Société témoigne de l’évolution de la place de l’entreprise dans notre Société. Comprendre cette évolution permet de mieux cerner les changements intervenus ces dernières années dans la manière d’envisager la responsabilité des entreprises à travers la notion de RSE. En incitant les entreprises à se responsabiliser dans leurs relations avec la Société, la RSE conduit à l’intégration de préoccupations sociétales dans les décisions managériales, la gestion des entreprises et les théories économiques. C’est alors la manière d’aborder, de définir et d’encadrer l’entreprise qui pourrait s’en trouver influencée, la fonction sociétale de l’entreprise n’étant pas prise en compte par le droit positif.

« La naissance d’un objet d’étude sociologique : l’entreprise :»

Du point de vue des sociologues, ce n’est que très récemment que l’entreprise est devenue un objet d’étude autonome, du fait notamment de la place prépondérante qu’elle occupe dans la Société. Dans un contexte d’après-guerre, de régimes politiques totalitaires, de guerre froide et de reconstruction économique, l’analyse du « destin de la grande société industrielle » [5] avec les luttes de classes qu’elle engendrait, importait alors davantage que l’étude des entreprises à proprement parler. Les sociologues ont alors axé leurs recherches sur l’étude du travail qui permettait de comprendre les fondements des rapports sociaux de la société industrielle grandissante issue des structures de production, ce qui les conduisit à dénoncer les « mécanismes d’aliénation au travail pour explorer la formation des rapports sociaux de production ».

Des auteurs comme Max Weber avaient bien analysé l’entreprise, mais c’était alors davantage pour expliquer la place centrale qu’elle tenait dans la naissance du système capitaliste ; elle n’était pas un objet d’étude à part entière [6]. L’étude du monde patronal a ainsi été mise de côté, de même que l’étude des lieux de travail. L’entreprise n’était pas considérée comme un groupe social autonome, capable de créer ses propres règles. Elle était réduite à un lieu sur lequel s’accomplissaient des relations de travail, et où s’affrontaient employeurs et salariés.

En 1962, Alain Touraine fut l’un des premiers à se demander si l’entreprise n’était pas en train de s’autonomiser en devenant un système social à part entière. A. Touraine constate alors les changements qui s’opèrent en matière de contrôle des sociétés, de direction, et d’organisation et cherche à comprendre ces évolutions. Mais « l’idée que l’entreprise puisse être source autonome de construction de rapports sociaux n’est pas encore apparue ».

La mondialisation de l’économie libérale qui émergea dans les années 70 créa un bouleversement dans la compréhension sociologique des faits sociaux du travail.

L’entreprise se voit attribuer un rôle de « stabilisateur social ». Les rapports humains dans l’entreprise changent du fait notamment de l’évolution technologique ; l’organisation du travail change de modèle, de nouveaux modèles de production émergent, basés sur des communications entre services ; le recours à la sous-traitance s’accroît ; les relations interentreprises se développent. C’est finalement une organisation globale qu’il faut désormais étudier. En réponse à ces évolutions, la sociologie des organisations fait son apparition. L’analyse de ces nouvelles organisations doit permettre de meilleures stratégies, un meilleur fonctionnement de l’entreprise ; le travail est relégué au second plan. La compétitivité économique est devenue le maître mot et la sociologie des organisations semble alors permettre d’atteindre cet objectif mieux que la sociologie du travail qui se borne à l’étude des relations entre individus.

La sociologie des organisations tente de répondre à la question suivante : « comment expliquer les comportements des individus et/ou des groupes dans des organisations ? » [7]. L’analyse de l’organisation consiste donc à étudier « l’organisation comme jeux de pouvoirs et systèmes d’acteurs ». L’entreprise ne peut plus être réduite à une simple unité de production.

L’amplification des échanges mondiaux dans les années 1990 crée de nouveaux changements pour les entreprises Leur mobilité géographique s’accroît, les directions changent rapidement, les luttes de classes internes à l’entreprise disparaissent, l’intérim est de plus en plus utilisé, l’externalisation de la production devient une stratégie généralisée, « la qualité » fait son entrée dans les produits, les services : le modèle hiérarchique de l’entreprise change pour s’organiser en réseau.

Si l’approche sociologique de l’entreprise nous incite à nous interroger sur les relations entretenues entre l’entreprise et la Société, l’approche des économistes et des gestionnaires nous aide à cerner davantage les contours de l’entreprise, en dehors de son environnement.

« L’entreprise entre sciences économiques et sciences de gestion » :

Aborder l’entreprise dans sa réalité économique n’est pas simple pour le juriste puisqu’il doit s’accommoder d’une approche économique de la « firme » (terme communément utilisé par les économistes pour désigner l’entreprise), et d’une approche gestionnaire de l’entreprise, chacune de ces approches répondant à des objectifs différents. Il est en tout cas intéressant de constater qu’au même titre que pour la sociologie, l’entreprise n’a pas toujours été un « objet d’analyse économique ». Ignoré d’abord par les économistes et circonscrite dans leur approche par les gestionnaires [8].

Aucune des grandes représentations disponibles n’est sans doute, pour l’heure, capable à elle seule de rendre compte de l’ensemble des déterminations fondamentales de cette institution centrale de nos économies qu’est la firme. L’entreprise souffre ainsi dans les sciences économiques, au même titre que l’analyse juridique, de l’absence d’une théorie uniforme.

Selon les sciences économiques, dans une économie de marché, l’entreprise est appréhendée comme « une organisation au sein de laquelle sont combinés des facteurs de production, capital et travail, de manière à produire des biens et services susceptibles de satisfaire des besoins ou désirs, exprimés ou latents, d’individus, et ce, afin de réaliser un ou des objectifs au premier rang desquels le profit, condition de survie ».

Selon La théorie néoclassique de l’équilibre économique, la fonction de l’entreprise est de produire et son but est de maximiser son profit.

Pour les sciences de gestion, au contraire, l’entreprise est d’abord identifiée à l’entrepreneur, qui peut évoluer en organisation s’il décide d’agir en groupe. L’entreprise a ainsi trois caractéristiques : « elle est une coalition avec un but commun, produire et vendre des biens et des services ; elle est un centre de décision distinct des individus qui la composent ; elle est une somme de moyens d’actions humains, industriels, intellectuels et financiers » [9].

L’entreprise est unitaire car son périmètre économique et financier est défini. Mais elle est ouverte car elle fonctionne avec un « réseau de relations » défini comme des relations de pouvoir qui ont des conséquences financières sur l’entreprise. Ces relations sont qualifiées de « parties prenante » dès lors qu’elles souhaitent participer à la structure du pouvoir de l’entreprise et qu’elles cherchent à s’approprier une fraction de la richesse créée.

Qu’il s’agisse des gestionnaires comme des économistes, l’entreprise est ainsi étudié dans sa globalité, c’est-à-dire dans sa dimension organisationnelle complexe, et dans sa dimension internationale. Ses relations avec ses diverses parties prenantes et plus largement avec la Société, ne sont pas ignorées. En visant à responsabiliser les entreprises dans leur organisation globale, la RSE s’inscrit dans cette démarche de prise en compte des relations existant entre les entreprises et la Société.

« Tentative de définition de l’entreprise :»

L’absence d’une définition légale de l’entreprise nous incite à analyser davantage son organisation pour tenter d’en appréhender les contours. Mais avant tout, il convient de s’arrêter sur la terminologie employée. Qualifiée d’« entreprise », de « société » ou de « firme », au caractère « transnational », « mondial » ou « multinational », l’entreprise n’est définie ni par le droit interne, ni par le droit international.

Seule la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), à travers « l’Ensemble de principes et de règles sur les pratiques commerciales restrictives » [10], propose une définition suffisamment large pour écarter les critères liés à la forme juridique, à la détention de capital ou à l’identité des dirigeants…

L’entreprise désignera ainsi

« les firmes, sociétés de personnes, sociétés anonymes, compagnies, autres associations, personnes physiques et morales, ou toute combinaison de ces formules, quel que soit leur mode de création ou de contrôle ou de propriété, qu’elles soient privées ou d’État, qui exercent des activités commerciales ; il englobe aussi leurs succursales, filiales, sociétés affiliées ou autres entités directement ou indirectement contrôlées par elles ».

Dans tous les cas, plus la structure de l’entreprise est vaste et complexe et plus la répartition et l’organisation du pouvoir entre ses membres est complexe. L’étendue du pouvoir varie en fonction du modèle organisationnel choisi.

Le principe d’autonomie juridique des personnes morales s’oppose pourtant, en principe, à une telle démarche. Technique propre au droit des sociétés, ce principe ne se limite pas à favoriser l’organisation du patrimoine des sociétés, sa protection ainsi que son développement. Ses effets peuvent aller bien au-delà. Le maintien du principe d’autonomie juridique en présence de sociétés véritablement autonomes d’un point de vu décisionnel, organisationnel et financier, ne pose pas de difficultés. En revanche, en présence de sociétés dont les relations sont tellement imbriquées qu’elles en perdent cette autonomie, interroge les juristes depuis plusieurs années.

Loin d’être uniforme, l’« entreprise » désigne un artisan tout autant qu’un groupe formé de plusieurs centaines de sociétés. Si leur point commun est la « volonté d’entreprendre » leurs effets sur la Société sont incomparables, ne serait-ce que par le pouvoir économique et la capacité d’influence sur un ou plusieurs pays dont disposent les grands groupes internationaux.

B- La RSE comme une nouvelle relation de l’entreprise à son écosystème.

La responsabilité sociétale des entreprises est devenue « un sujet à la mode » [11] qui soulève des questions variées du fait de sa transversalité [12]. Les recherches portant sur la RSE se concentrent tantôt sur les nouveaux modes de régulation qu’elle suscite, tantôt sur les normes qu’elle engendre. Elles peuvent également porter sur la gestion des entreprises, ou encore sur les relations entretenues par l’entreprise et ses diverses parties prenantes. Du côté des juristes, la RSE est surtout étudiée du point de vue des normes et des outils qui sont adoptés par les entreprises et par les autres acteurs intéressés aux enjeux que la RSE soulèvent ; d’autres auteurs ont tenté de conceptualiser la notion de RSE.

Il nous semble pourtant que loin d’être figée, la RSE est une notion vivante qui évolue en fonction des acteurs qui s’en emparent. Les normes, les outils, les pratiques, les engagements, qui sont élaborés au titre de la RSE dépendent de la manière dont chacun de ces acteurs appréhende la relation entre l’entreprise et la Société.

La définition de la RSE est largement dépendante de la manière dont se développent les relations entre les entreprises et la Société au sein de laquelle elles sont implantées. Or, ces relations sont en perpétuelle évolution. Bien loin de n’être qu’un acteur économique, l’entreprise est en effet devenue un véritable acteur social.

La responsabilité sociétale est une notion qui invite les entreprises à se comporter en toute responsabilité dans le cadre de leurs activités et de leurs relations avec leurs parties prenantes. Une telle responsabilité peut prendre plusieurs formes. Cela dépend largement du rôle assigné aux entreprises ou au contraire de celui que ces dernières s’assignent. Aussi n’est-il pas surprenant de constater qu’aucune définition unique de la RSE ne peut aujourd’hui être retenue. Chaque acteur intéressé par la RSE, qu’il s’agisse tant des entreprises, que des milieux académiques, des Etats ou de la société civile, propose sa propre définition, laquelle dépend finalement des intérêts défendus.

Rien d’étonnant dès lors à ce que la définition de la RSE puisse également évoluer, comme le démontrent d’ailleurs les définitions retenues de la RSE par la Commission européenne. Au départ entendue comme le fait de « satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables, mais aussi aller au-delà et investir « davantage » dans le capital humain, l’environnement et les relations avec les parties prenantes », la Commission a ensuite proposé, dans sa communication de 2011, de la redéfinir comme étant « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société ».

Une entreprise responsable devrait-elle choisir entre la protection de l’environnement et le respect des droits de l’Homme, ou entre les droits des consommateurs et ceux des travailleurs, ou encore entre la lutte contre la fraude fiscale et celle contre la corruption ? Présentée de cette manière, la question peut surprendre. Elle a pourtant fait l’objet d’un long débat, provenant initialement de la traduction du terme anglo-saxon de *Corporate Social Responsability.*

Dans un contexte d’économie mondiale libéralisée, la RSE affirme et assoit finalement la place et le rôle des entreprises dans notre Société Qu’elles se comportent ou non en acteur économique responsable et qu’elles soient ou non responsables de leurs actes, de leurs décisions et de leur organisation complexe, la RSE modifie avant tout le paradigme de l’entreprise. Elle encourage à appréhender l’entreprise non comme un acteur isolé dont le seul but serait la recherche de profits, mais à la saisir à travers son environnement et dans toute son organisation, démarche qui n’est nullement retenue aujourd’hui par le droit des affaires.

L’approche est loin de n’être que politique ou même philosophique. La manière d’aborder l’entreprise conditionne en effet le cadre juridique au sein duquel elle évolue.

Cette figure floue que constitue pour le juriste d’affaires prend ainsi forme sous l’impulsion de la RSE qui concourt à dessiner les contours de son organisation. Afin d’exercer son activité de manière responsable, l’entreprise doit en effet modifier son fonctionnement, son organisation. Elle doit affiner ses modèles de gestion, faire participer les travailleurs à cette nouvelle politique, organiser les relations contractuelles afin que celles-ci ne contredisent pas ses propres engagements, mettre en place des systèmes de contrôle dans toute l’organisation, ce qui implique de consolider ses relations avec ses partenaires, maîtriser sa chaîne de production etc…

La structure juridique de base du droit des affaires est l’entreprise. Celle-ci peut revêtir plusieurs formes et être organisée de diverses manières, conformément aux dispositions législatives et statutaires. Sa personnalité juridique permet au droit de la saisir, c’est-à-dire de lui imposer des droits et des obligations, desquels peuvent découler une responsabilité.

Titre 2 : Les mesures prises par l’Etat Marocain afin de s’adapter aux exigences du développement à l’international :

En 2010, lors du discours royal de la fête du trône, le Maroc a décidé de renouveler sa stratégie dans le domaine de la RSE afin, notamment, d’assurer une meilleure gestion des risques environnementaux et sociaux associés à la conduite d’activité commerciale et le développement humain.

L’adoption de l’agenda 2030 des Nations Unies pour le développement durable engage les Etats membres à mettre en place des modèles de développement plus respectueux de l’humanité, de la planète et de la bonne gouvernance. Le Maroc, fort de sa conviction du bien fondé de ces objectifs, a engagé une série de réformes dans les différents domaines politiques, économiques et sociaux afin d’entamer sa transition vers le développement durable, dont l’un des outils principaux est la responsabilité sociétale des organisations. La mise de l’accent sur les organisations et pas seulement sur les entreprises tient du fait que le développement durable est la responsabilité de tous les acteurs de la société dont l’Etat, les collectivités territoriales, les entreprises publiques ou privées et la société civile.

Le Maroc est signataire et a ratifié les principales Conventions internationales approchant l’objet du développement durable (OIT, ODD, Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme, Principes directeurs de l’OCDE, Global Compact…).

En témoigne également les nombreux chantiers et plans stratégiques, matérialisant cette impulsion vers la durabilité tels que l’INDH (L’Initiative Nationale pour le Développement Humain), innovation majeure pour le développement humain ou encore l’implication marocaine en faveur des énergies renouvelables.

A- Les leviers institutionnels Marocains :

La Responsabilité Sociétale des entreprises constitue à plusieurs égards un levier fondamental servant une croissance économique durable. Si les défis socio-économiques propres au contexte marocain peuvent constituer, dans une certaine mesure, des freins au développement d’une telle démarche profitable à une croissance inclusive, force est de constater avec acuité l’engagement du Maroc, comme il est traduit par ses nombreux acquis institutionnels, stratégiques et opérationnels au sujet du développement durable. Cet engagement assure ainsi un cadre propice au développement de la RSE.

« La réforme constitutionnelle de 2011 :»

L’orientation du Royaume du Maroc vers le développement durable s’est déclinée dans le texte et l’esprit de sa constitution de 2011.

La Constitution de 2011, en tant que socle fondateur, consacre la bonne gouvernance en principe fondamental dans la construction et le renforcement du fonctionnement des institutions d’un Etat moderne et promeut « les principes de primauté de droit, de transparence, d’équité, de responsabilité, de lutte contre la corruption, d’éthique et de reddition des comptes » principes qui s’inscrivent pleinement en phase avec ceux du développement durable.

La nouvelle constitution est venue ensuite consacrer la bonne gouvernance (18 articles Titre XII) et l’indépendance du contrôle des établissements publics (article 159) et renforcer le rôle des populations locales dans le développement humain. Elle développe une véritable charte citoyenne des droits et libertés ancrés au référentiel universel des droits de l’homme. Elle renforce notamment la notion d’égalité homme-femme par la consécration de la parité, accorde la primauté à la Souveraineté nationale et à la suprématie de la Constitution et organise la séparation des pouvoirs dans le cadre d’un régime de Monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale. Elle accorde également une place importante à la régionalisation avancée dans son « Titre IX » répondant ainsi à l’objectif inscrit dans le « Rapport sur la régionalisation avancée », à savoir « doter le Maroc d’une régionalisation avancée d’essence démocratique et vouée au développement intégré et durable sur les plans économique, social, culturel et environnemental ».

L’appareil législatif national s’est engagé pour améliorer le volet social à travers la loi contre le travail domestique et le travail des enfants (19-12) et aussi le projet de loi pour l’Autorité de la parité et la lutte contre toutes formes de discriminations (APALD).

Dans la continuité des articles relatifs au développement durable issus de la nouvelle constitution, la Charte Nationale de l’Environnement et du Développement Durable, élaborée en 2010 a été formalisée dans la Loi- Cadre 99-12 et adoptée par le Parlement en février 2014. Conformément à ses dispositions, une Stratégie Nationale de Développement Durable (SNDD) devrait être adoptée dans un délai maximum de deux ans après la promulgation de la loi, soit fin 2016.

Le document préparé par le département de l’environnement intègre quatre grands principes :
- La conformité avec les bonnes pratiques internationales ;
- La conformité avec les principes de la loi Cadre 99-12 ;
- L’engagement des parties prenantes à atteindre des objectifs communs aptes à répondre aux enjeux en matière de développement durable, et la dimension opérationnelle de cette stratégie qui se base sur des mesures concrètes avec des indicateurs de suivi ;
- Il est à noter également que cette stratégie est en conformité avec la dynamique générale de développement humain et de lutte contre la pauvreté au Maroc.

En 2011, le CESE a formalisé un Référentiel de normes et d’objectifs pour impulser des contrats partenariat au service d’une charte sociale marocaine tournée vers l’avenir.

Selon le code marocain de bonnes pratiques de gouvernance des Entreprises et Etablissements Publics (EEP), élaboré et lancé en mars 2008 par la commission nationale de gouvernance d’entreprise, les bonnes pratiques de gouvernance sont essentielles pour :
- Ancrer la culture de reddition des comptes ;
- Renforcer le climat de confiance avec les Parties Prenantes des entreprises ;
- Attirer l’investissement national et étranger et faciliter l’accès des EEP aux capitaux ;
- Promouvoir les valeurs de transparence, d’information, et de communication ;
- Améliorer la viabilité de l’organisme et sa performance ainsi que la qualité du service ;
- Contribuer au développement d’un tissu économique compétitif.

« La Confédération Générale des Entreprises du Maroc : CGEM »

Le label RSE et la charte RSE portés par la CGEM constituent des actes fondateurs de formalisation du concept de la responsabilité sociale au Maroc. 101 entreprises sont labellisées aujourd’hui et la création en 2011 du club des entreprises labellisées RSE participe à la dynamique globale de diffusion et d’échanges de bonnes pratiques en la matière.

Le Label de la CGEM répond à 9 objectifs majeurs, conformes à l’ISO 26000 et aux principales normes internationales :
- Respecter les droits humains ;
- Améliorer en continu les conditions d’emploi et de travail et les relations professionnelles ;
- Protéger l’environnement ;
- Prévenir la corruption ;
- Respecter les règles de la saine concurrence ;
- Renforcer la transparence du gouvernement d’entreprise ;
- Respecter les intérêts des consommateurs ;
- Promouvoir la responsabilité sociale des fournisseurs et sous-traitants ;
- Développer l’engagement sociétal.

La Confédération Générale des Entreprises du Maroc a défini et mis en place le Label CGEM pour promouvoir la responsabilité sociale auprès de ses membres. Ce Label a pour vocation de faire connaitre les entreprises socialement responsables pour les valoriser auprès de leurs partenaires institutionnels publics et privés, financiers et de service et leur permettre de tirer de ce Label des avantages concrets (crédits d’investissement, exonérations bancaires, crédits de fonctionnement, etc.). Ce Label - à durée de trois ans- est octroyé par la CGEM sur la base d’une évaluation managériale menée par l’un des tiers-experts indépendants accrédités par la Confédération.

« Le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) :»

Dans l’exercice de ses attributions, le CESE réalise des avis, études et recherche, soit à la demande du Gouvernement, de la Chambre des Représentants ou de la Chambre des Conseillers (saisine) soit de sa propre initiative (auto-saisine).

Dans le cadre de ses auto-saisines, le CESE s’est intéressé à plusieurs questions relatives au développement durable. En effet, dès 2011, le CESE a formalisé un Référentiel de normes et d’objectifs pour une nouvelle charte sociale marocaine tournée vers l’avenir. Ce référentiel traite notamment de l’accès aux services essentiels et bien-être social, de l’inclusion et la solidarité, de la protection de l’environnement, de la gouvernance responsable ainsi que du développement et sécurité économique et démocratie sociale.

La dernière auto-saisine de l’année 2016 a spécifiquement porté sur le thème de la responsabilité sociétale des organisations (RSO). Dans son avis, le CESE fait un état des lieux et donne en conséquence des recommandations pour l’intégration de la RSO à l’échelle des organisations marocaines. Lesdites recommandations sont déclinées en fonction des différents acteurs impliqués, dont l’Etat, le tissu économique et la société civile.

B- La régulation du processus économique Marocain :

L’Etat marocain, fort de ses acquis institutionnels, de ses engagements internationaux aux principes directeurs, est le garant de l’impulsion première quant à l’adhésion des différentes typologies de parties prenantes. Son rôle se situe à trois niveaux complémentaires : dans le fonctionnement de ses instances, dans les missions et les différents projets et réformes engagées et au sein de sa sphère d’influence. Evolutions réglementaires récentes, du législateur aux autorités boursières.De plus en plus, les investisseurs et bailleurs de fonds intègrent les dimensions sociales, environnementales et de gouvernance aux aspects financiers et à leurs critères d’investissements.

La mise en conformité à la pression des investisseurs améliore ainsi l’exposition des entreprises et leurs capacités à obtenir des financements tout en présentant un profil de risques plus favorable. Les organisations peuvent ainsi trouver en la RSE de nouveaux leviers de financement et de valorisation si l’on considère que les critères financiers sont de moins en moins les seuls à être pris en compte (normes IFRS, reporting de développement durable, Investissement Socialement Responsable ISR, etc.).

« Les Initiatives en lien avec le marché financier :»

Le marché financier commence à intégrer des sujets qui touchent au développement durable et à la RSE. A titre d’exemple, deux OPCVM marocains, crées en 2014, intègrent explicitement la notion d’investissement socialement responsable (ISR) dans leurs stratégies d’investissement en basant leurs sélections sur des notations ESG effectuées par des agences reconnues. Les deux fonds sont certifiés ISR par un organisme indépendant.

De même, les Green Bonds ont commencé à faire leur apparition sur le marché marocain en 2016. En effet, au cours du quatrième trimestre de l’année, 2 émetteurs marocains ont émis sur le marché un montant cumulé de 1 650 MDhs en Green Bonds, tandis que 2 autres ont reçu des visas préliminaires pour l’émission d’un montant cumulé de 2 500 MDhs. En parallèle, l’AMMC a élaboré, avec le concours de IFC, un guide sur les Green Bonds afin d’accompagner et sécuriser le développement de ces instruments sur le marché marocain.

Aussi, et en marge de la COP 22 organisée à Marrakech en novembre 2016, les régulateurs et acteurs du secteur financier marocain (ACAPS, AMMC, BAM, Bourse de Casablanca, CFC Authority, GPBM et FMSAR) ont élaboré et adopté deux feuilles de route :

Feuille de route pour l’alignement du secteur financier marocain sur le développement durable. Elle liste les actions et mesures à mettre en œuvre pour l’alignement coordonné et progressif du secteur financier marocain sur les enjeux de développement durable. Elle est articulée autour des 5 axes majeurs suivants :

- L’extension de la gouvernance fondée sur les risques aux risques socio-environnementaux ;
- Le développement d’instruments et de produits financiers durables ;
- La promotion de l’inclusion financière en tant que vecteur du développement durable ;
- Le renforcement des capacités dans le domaine de la finance durable ;
- La transparence et la discipline de marché.

Feuille de route pour l’émergence de la finance durable en Afrique : destinée à favoriser l’émergence d’un marché de la finance verte en Afrique, elle incite l’ensemble des parties prenantes du secteur financier marocain à renforcer leur coopération avec les acteurs africains à cet égard afin de mobiliser une action climatique plus forte et plus ambitieuse. Elle s’articule autour de deux axes stratégiques :
- Renforcer la coopération sur le plan régional et continental en matière de développement durable ;
- Positionnement de la place financière de Casablanca en tant que hub pour la finance climat.

« Loi n° 43-12 relative à l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC) :»

Le Conseil déontologique des valeurs mobilières (CDVM), établissement public institué par le dahir portant loi n° 1-93-212 du 4 rabii II 1414 (21 septembre 1993) relatif au Conseil déontologique des valeurs mobilières et aux informations exigées des personnes morales faisant appel public à l’épargne, est transformé en personne morale publique dotée de l’autonomie financière, dénommée « Autorité marocaine du marché des capitaux », dite « AMMC », régie par les dispositions de loi 43.12 et des textes pris pour son application.

La transformation de la dénomination du CDVM n’emporte pas cessation d’activité. Les biens, droits, obligations, conventions, contrats, circulaires, autorisations de toute nature de l’AMMC au Maroc et hors du Maroc, sont ceux du CDVM.

Les termes "Autorité marocaine du marché des capitaux" (AMMC) se substituent aux termes "Conseil déontologique des valeurs mobilières (CDVM)" dans tous les textes législatifs et réglementaires en vigueur. Sous contrôle du ministère chargé des finances.

En tant qu’autorité de régulation du marché des capitaux, l’AMMC a été instituée par le Dahir n° 1-13-21 portant loi n° 43-12 et a pour mission de :
- S’assurer de la protection de l’épargne investie en instruments financiers « Article 3 » ;
- Veiller à l’égalité de traitement des épargnants, à la transparence et à l’intégrité du marché des capitaux et à l’information des investisseurs ;
- S’assurer du bon fonctionnement du marché des capitaux et veiller à l’application des dispositions législatives et réglementaires ;
- Assurer le contrôle de l’activité des différents organismes et personnes soumis à son contrôle ;
- Assurer le respect de la législation et de la réglementation en vigueur relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux, par les personnes et les organismes placés sous son contrôle ;
- Contribuer à la promotion de l’éducation financière des épargnants ;
- Assister le gouvernement en matière de réglementation du marché des capitaux.

Pour la réalisation de ces missions, l’AMMC est dotée des prérogatives suivantes conformément aux dispositions de la loi 43.12 :
- Elaboration des circulaires : sont homologuées par l’administration et publiées au "Bulletin officiel" « Article 6 » ;
- Habilitation des intervenants : L’habilitation se matérialise par l’octroi d’une carte professionnelle à l’issu d’un examen ;
- Visa, agrément et avis relatifs aux produits : l’AMMC veille à sécuriser l’investissement en s’assurant du respect des exigences légales et réglementaires ;
- Instruction des dossiers d’agréments des intervenants : L’AMMC vérifie que les intervenants ayant demandé l’agrément présentent les garanties suffisantes, notamment en ce qui concerne leur organisation, leurs moyens techniques et financiers et l’expérience de leurs dirigeants ;
- Visa des notes d’informations des opérations financières : L’objectif est de s’assurer que les investisseurs disposent de toute l’information pertinente pour prendre leurs décisions d’investissement en connaissance de cause ;
- Contrôle de l’information financière des émetteurs : l’AMMC s’assure que ces derniers respectent leurs obligations de publication des états financiers annuels et semestriels et rendent publique toute information importante pouvant avoir une influence sur les cours en bourse de leurs titres ou une incidence sur le patrimoine des porteurs de titres ;
- Contrôle des intervenants : sont les sociétés de bourse, la bourse des valeurs, les teneurs de compte, le dépositaire central et les sociétés de gestion. Ce contrôle se décline sous deux formes complémentaires : le contrôle sur place, à travers des inspections au sein des locaux des intervenants, et le contrôle sur pièces, à travers des reportings dont l’AMMC fixe le contenu et la périodicité ;
- Traitement des plaintes : L’AMMC procède à la vérification du bien fondé de la plainte et prend les mesures qui s’imposent ;
- Surveillance, enquêtes et sanctions : L’AMMC veille à la conformité des transactions sur les instruments financiers aux règles du marché afin d’en assurer l’intégrité.

Reporting extra-financier:ESG.

Le Maroc vient de connaître une nouvelle avancée dans le domaine de la responsabilité sociétale des entreprises *RSE* avec l’obligation qui sera faite aux entreprises cotées à la Bourse de Casablanca d’intégrer dans leur rapport annuel un chapitre ESG (données environnementales, sociales et de gouvernance).

Si le concept de RSE a pris ces dernières années au Maroc, c’est notamment grâce au patronat marocain, la CGEM qui a créé en 2006 un label auquel peuvent souscrire les entreprises sur une base volontaire, avec un audit indépendant. Entre 2006 et 2019, c’est environ deux cents entreprises qui ont fait la demande et l’ont obtenue.

Cette circulaire (du 20 février 2019) de l’AMMC (Autorité marocaine du marché des capitaux) est passée inaperçue mais elle va changer la vie des entreprises cotées en Bourse au Maroc (au nombre de 51 en 2019). Celles-ci seront dans l’obligation de consacrer un chapitre de leur rapport annuel à des informations environnementales, sociales et de gouvernance. ESG.

Q : Les obligations de reporting réglementaire à destination de l’AMMC sont-elles suspendues pendant l’état d’urgence sanitaire ?

R : L’AMMC recommande aux intervenants soumis à des obligations de reporting de respecter les exigences réglementaires de délais et formats en vigueur. Les canaux de transmission, notamment la plateforme SESAM, restent opérationnels dans les mêmes conditions d’usage.

ESG est le sigle utilisé par la communauté financière internationale pour désigner les critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) qui constitue généralement les trois axes de l’analyse extra-financière. Ces critères permettent d’évaluer la démarche RSE mise en place par l’entreprise et sa performance sur les trois volets suivants :

Environnemental : Il s’agit de mesurer l’impact de l’activité de l’entreprise sur l’environnement, notamment en ce qui concerne la pollution et l’utilisation des ressources naturelles.

Social : Ce volet traite de la qualité des relations d’une entreprise avec ses salariés en mesurant des indicateurs relatifs au degré de respect des droits desdits salariés et de prise en compte de leurs besoins par l’employeur.

Gouvernance : Cet axe porte sur l’appréciation de la manière dont une entreprise est effectivement dirigée et contrôlée à travers l’analyse du fonctionnement des différents organes de gouvernance et du degré d’application des pratiques de bonne gouvernance au sein de ces instances.

Par ailleurs, l’analyse ESG ne se limite pas aux trois axes listés ci-dessus, mais s’étend également à l’appréciation de la qualité des relations de l’entreprise avec ses parties prenantes externes telles que ses clients, fournisseurs, société civile ou autres. Pour mesurer la performance d’une organisation sur chacun des axes, plusieurs indicateurs peuvent être utilisés selon le profil de ladite organisation.

La transparence étant un principe fondamental de la RSE et nécessaire à la mesure de l’avancement dans l’atteinte des objectifs de développement durable, on parle désormais de « reporting ESG ».

A suivre...

Karim Baddou, Juriste d'Affaires.

[1Thomas Brun, consultant en RSE.

[2Thèse de Omar Benaichi, la diffusion de la RSE, ISCAE, 2017.

[3ISO 26000, Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale, ISO, 2010.

[4E. M. Epstein, « The field of business ethics in the United States : past, present and future », Journal of general management, vol. 28, n° 2, hiver 2002, pp.1-29 ; voir également P. Verley, Entreprises et entrepreneurs du 18° au début du 20°, Paris, Hachette Supérieur, Carré histoire, 1994, 255 p.

[5R. Sainsaulieu, « Changer l’entreprise, une affaire de société », in R. Sainsaulieu (dir.), L’entreprise, une affaire de société, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1992, p. 14.

[6P. Bernoux, La sociologie des entreprises, Editions du Seuil, 6ème éd., 2009, p. 9.

[7P. Bernoux, La sociologie des organisations, op. cit., p. 24.

[8Notons que le terme « entreprise » est plutôt utilisé par les sciences de gestion alors que celui de « firme » renvoie davantage aux analyses économiques. Les gestionnaires interrogent les fonctions de l’entreprise, son organisation interne et ses rapports avec son environnement, tandis que les économistes s’intéressent à la nature de la firme, à ses mécanismes de coordination et à leur efficacité, en un mot, à la fonction remplie par la firme pour son marché (voir à cet égard D. Colle (coord.), Un monde d’entreprises, Rapport Anteios 2009, PUF, 2008, p. 1). Ces différentes approches expliquent les divergences que l’on peut rencontrer lorsque l’on est à la recherche d’une définition de l’entreprise.

[9P. Conso, F. Hemici, L’entreprise en 20 leçons : stratégie, gestion, fonctionnement, 4° éd., Dunod, 2006, p. 21.

[10Conférence des Nations Unies sur les pratiques restrictives, L’Ensemble de principes et de règles équitables convenus au niveau multilatéral pour le contrôle des pratiques commerciales restrictives, Résolution du 22 avril 1980, Annexe, adopté par L’Assemblée générale des Nations Unies le 5 déc. 1980, Résolution 35/63.

[11M-A. Moreau, « Préface », in M-A. Moreau, F. Francioni (dir.), La dimension pluridisciplinaire de la responsabilité sociale des l’entreprise, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2007, p. 7.

[12« Ce concept s’intéresse au rôle de l’entreprise dans la société. Pour être opérationnel, et pas seulement critique, il doit donc refléter la complexité des relations entre ces deux entités. Il est ainsi par construction pluridisciplinaire »., J. Pasquero, « La responsabilité sociale de l’entreprise : trajectoire d’un idée », in C. Gendron, B. Girard, Repenser la responsabilité sociale de l’entreprise : l’école de Montréal, Arman Collin, coll. Recherches, 2013, p. 57.