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The Young Pope : un générique pas très catholique (CA Paris, 19 juin 2020). Par Jérôme Tassi, Avocat.
Parution : mardi 30 juin 2020
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La série The Young Pope, diffusée à partir de 2016, a été un succès critique et public. Le générique utilisé pour la plupart des épisodes de la première saison a fait l’objet d’un contentieux de droit d’auteur. L’auteur d’une vidéo dénommée « Louvres Airlines » a considéré que ce générique contrefaisait les principales caractéristiques de son film. La Cour d’appel de Paris, confirmant le jugement de première instance, retient la contrefaçon malgré quelques différences comme le personnage du pape, héros de la série, montré en premier plan, le remplacement de l’avion par une étoile filante ou le fait qu’aucune ligne blanche n’est visible entre les tableaux. Le réalisateur de la série est condamné à verser 30 000 euros au titre du préjudice subi du fait de la contrefaçon.

La première saison de la série The Young Pope a été diffusée à compter de 2016 sur Canal+. Selon la présentation, « la série, qui a remporté un grand succès public et critique, avait tout pour plaire : un casting de rêve (Jude Law, Diane Keaton, James Cromwell, Cécile de France, Ludivine Sagnier…), le réalisateur oscarisé Paolo Sorrentino aux commandes (Il Divo, La Grande Belezza, Youth…) et un sujet aussi mystérieux que passionnant : les dessous du Vatican » [1].

Le générique utilisé pour la plupart des épisodes de la première saison a notamment attiré l’attention des spécialistes : « On peut donc y voir le nouvellement Pape se déplacer au ralenti dans un couloir où des œuvres sont accrochées au mur avec une météore qui le suit de tableau en tableau avant de s’écraser sur une statue (aux faux airs de Jean-Paul II). Ces peintures ont une histoire et ont créé des scandales en leur temps » [2].

La Cour d’appel de Paris vient cependant d’administrer une sévère admonestation au réalisateur de la série puisque ce générique serait une contrefaçon d’une vidéo antérieure dénommée « Louvres Airlines » réalisée par un jeune directeur artistique français (M. Alexis Z.).

En première instance, le Tribunal de grande instance de Paris avait considéré que la vidéo « Louvres Airlines » était bien protégeable par le droit d’auteur et qu’en reprenant dans le générique de la série The Young Pope, les principales caractéristiques du film vidéo « Louvre Airlines », le réalisateur de The Young Pope a commis des actes de contrefaçon de droit d’auteur. Sur le plan financier, le réalisateur a été condamné à 12 000 euros au titre de la contrefaçon.

Insatisfait du jugement, le réalisateur a formé appel, ainsi que les différentes sociétés de production de la série. Pour solliciter l’infirmation du jugement, le réalisateur contestait classiquement la titularité et l’originalité de l’œuvre première ainsi que la contrefaçon.

Premièrement, concernant la titularité, la spécificité tenait au contexte de la réalisation du film « Louvres Airlines ». En effet, cette œuvre avait été réalisée lorsque M. Alexis Z. étudiait à l’école Penninghen et selon le règlement intérieur de l’école, les productions créatives réalisées par les élèves de l’école, pendant le temps de leur scolarité, appartiennent à l’établissement d’enseignement. La légalité d’un tel règlement intérieur aurait pu être contestable mais le sujet est vite évacué puisque l’école avait de toute façon rétrocédé les droits à son étudiant en fin de scolarité de sorte que ce dernier était bien titulaire des droits au moment de l’assignation.

Deuxièmement, sur l’originalité, M. Alexis Z. a expliqué en détail les caractéristiques de son film et la Cour en déduit « que M. Z. a ainsi, à suffisance, caractérisé l’originalité de cette œuvre, laquelle traduit un parti-pris esthétique empreint de sa personnalité ». L’œuvre est consultable en ligne [3] et l’originalité semblait, en effet, difficilement contestable.

Troisièmement, la Cour confirme le jugement sur la contrefaçon en relevant que « comme la vidéo de M. X, le générique argué de contrefaçon :
- est construit d’un plan-séquence constitué d’un travelling latéral où défilé, de droite à gauche, à vitesse constante, une série de neuf (au lieu de huit) tableaux encadrés ;
- sous les tableaux, on peut lire des noms qui apparaissent au fur et à mesure de l’avancée ;
- une étoile lumineuse (à l’instar de l’avion) se déplace de tableau en tableau et on la voit apparaître dans la partie supérieure des tableaux ;
- se trouvent ainsi superposés : le plan mural sur lequel sont accroché et le plan de défilement de l’étoile lorsqu’il traverse les tableaux ;
- la vitesse du travelling latéral, de gauche à droite, est constante et on constate une vitesse strictement identique du travelling dans les deux œuvres et une durée parfaitement égale des deux plan-séquences ;
- on a durant cette partie du générique un effet de promenade calme qui contraste avec la seconde partie du générique, le spectateur poursuit ainsi une progression à travers un couloir dont un mur est orné de tableaux de peinture classiques accrochés côte à côte et où chacun des tableaux est successivement pénétré par la représentation d’une étoile qui éclaire et traverse l’image de part en part
 ».

Au regard du principe selon lequel la contrefaçon s’apprécie selon les ressemblances et non les différences, la Cour considère que l’impression d’ensemble des deux vidéos est la même malgré « quelques différences, telles le personnage du pape, héros de la série, montré en premier plan, le remplacement de l’avion par une étoile filante ou le fait qu’aucune ligne blanche n’est visible entre les tableaux ».

La Cour écarte d’un trait de plume l’argument fondé sur la théorie de la rencontre fortuite, selon laquelle la contrefaçon « ne peut être écartée que lorsque celui qui la conteste démontre que les similitudes existant entre les deux œuvres procèdent d’une rencontre fortuite ou de réminiscences issues d’une source d’inspiration commune » [4]. C’est au contrefacteur présumé de prouver qu’il n’a pu accéder à l’œuvre, ce qui, en pratique, est très complexe puisqu’il s’agit d’un fait négatif. Ici, le réalisateur de la série ne peut pas invoquer la rencontre fortuite puisque la vidéo de M. X était en ligne depuis le mois de mars 2014.

En ce qui concerne le préjudice, la Cour d’appel alourdit la sanction puisque le préjudice est fixé à 30 000 euros au lieu des 12 000 euros de première instance. La Cour a pris en compte que « la série a quant à elle bénéficié d’un important budget estimé selon la presse à 40 millions d’euros pour 10 épisodes, de la renommée de son réalisateur et d’une distribution internationale ».

Jérôme Tassi, Avocat au Barreau de Paris Spécialiste en propriété intellectuelle www.agilit.law [->jerome.tassi@agilit.law]

[4Cass. Civ. 1ère, 2 octobre 2013.