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Agent immobilier, vérification et lecture de l’acte de propriété. Par Laurent Latapie, Avocat.
Parution : mardi 30 juin 2020
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L’agent immobilier engage t’il sa responsabilité lorsque, dans le cadre d’une vente immobilière, celui-ci ne prend pas soin de récupérer et de lire l’acte de propriété du vendeur et se garde bien de procéder à des investigations et vérifications de rigueur ?

Il convient de s’intéresser à une jurisprudence qui a été rendue en novembre dernier et qui vient rappeler les obligations qui pèsent sur l’agent immobilier tant en termes d’investigation préalables et indispensables à la mise en vente d’un bien.

Dans cette affaire, par acte sous seing privé conclu le 29 juin 2013 avec le concours de la société S, agence immobilière, Monsieur et Madame U ont conclu une promesse synallagmatique de vente de leur maison d’habitation au profit des consorts F, sous la condition suspensive d’obtention d’un prêt.

Ces derniers ont versé un acompte de 10 000 euros entre les mains de l’agent immobilier.

Cependant ils ont refusé de réitérer la vente par acte authentique, le 16 septembre 2013, au motif qu’une information substantielle, à savoir la réalisation de travaux liés à la présence de mérule, n’avait été portée à leur connaissance que le 12 septembre 2013 par la lecture du projet d’acte, soit après l’expiration du délai de rétractation….

Les consorts U ont alors assigné les vendeurs et l’agent immobilier en annulation, et, ou, en résolution de la promesse de vente et aux fins de restitution de l’acompte versé.

Dans le cadre de cette action les consorts U engageaient clairement la responsabilité de l’agent immobilier et sollicitaient une juste et légitime indemnisation.

Les acheteurs considéraient qu’il appartenait à l’agent immobilier de s’assurer que se trouvaient réunies toutes les conditions nécessaires à l’efficacité de la convention négociée par son intermédiaire et, à cette fin, de se faire communiquer par les vendeurs leur titre de propriété avant la signature de la promesse de vente.

Car, immanquablement, cette démarche préalable, nécessaire, et évidente aurait permis à l’agent immobilier de les informer de l’existence de travaux précédents ayant traité la présence de mérule.

L’agent immobilier tentait d’échapper à sa responsabilité en considérant qu’il n’avait pas à effectuer des investigations supplémentaires relatives à la présence de champignons ou mérules lorsqu’il est en possession d’un diagnostic, portant sur ce point, établi par un professionnel, auquel il est fondé à se fier en l’absence d’indices lui permettant de suspecter le caractère erroné.

Il considérait que l’acquéreur qui recherche une qualité spécifique du bien doit en informer les parties et l’agent chargé de concourir à la réalisation de l’opération.
Cela est un comble.

En premier lieu, il est bien évident qu’il appartient à l’agent immobilier de lire l’acte de propriété.

En deuxième lieu, il peut paraître bien déraisonnable de soutenir que tout acquéreur d’un bien immobilier devrait aviser l’agent immobilier qu’il souhaite acquérir un bien sans vices…

A l’inverse, les acheteurs considéraient que l’agence immobilière avait manqué à ses obligations.

En effet, soit l’agence immobilière disposait de l’acte d’acquisition de 2009, qui faisait état de l’infestation de mérule antérieure, et elle se devait d’en informer les acquéreurs.

Soit l’agence immobilière ne disposait pas de l’acte de propriété et celle-ci commettait tout autant une faute, car il peut clairement sembler invraisemblable pour un agent immobilier négociant une vente de ne pas penser à se procurer le titre de propriété des vendeurs…

Ainsi, la Cour d’Appel avait retenu la responsabilité de l’agence immobilière au titre de son manquement à son obligation d’investigation et de vérification en jugeant notamment que l’agent immobilier avait commis une faute en ne se livrant pas à des investigations supplémentaires destinées à vérifier l’absence de toute infestation par le mérule.

Sur pourvoi de cassation, la Haute juridiction confirme cette approche.

En effet, la Cour de Cassation considère qu’ayant exactement énoncé qu’il appartenait à l’agent immobilier de s’assurer que se trouvaient réunies toutes les conditions nécessaires à l’efficacité de la convention négociée par son intermédiaire et, à cette fin, de se faire communiquer par les vendeurs leur titre de propriété avant la signature de la promesse de vente, lequel lui aurait permis d’informer les acquéreurs de l’existence de travaux précédents ayant traité la présence de mérule, la cour d’appel en a justement déduit que l’agent immobilier avait commis une faute en s’en étant abstenu.

Cet arrêt est intéressant car cette jurisprudence considère que l’agent immobilier doit s’assurer que se trouvent réunies toutes les conditions nécessaires à l’efficacité de la convention négociée par son intermédiaire et, à cette fin, se faire communiquer par les vendeurs leur titre de propriété avant la signature de la promesse de vente.

Ceci est d’autant plus intéressant que cette pratique et cette absence de vérification à minima du titre de propriété est loin d’être anecdotique.

Dans une autre affaire, la propriétaire avait acquis un bien sans la place de parking conservé par les vendeurs mais qui lui en avaient laissé la jouissance.

Lorsque celle-ci a souhaité revendre l’appartement, l’agence immobilière n’a pas procédé aux vérifications d’usage, n’a même pas lu l’acte de propriété, et a mis en vente l’appartement avec la place de parking.

Des lors l’agence immobilière avait visé dans son compromis de vente la place de stationnement qui n’était pas la propriété de la venderesse.

Les acquéreurs se sont aperçus de la difficulté à la lecture du projet d’acte réitératif du notaire qui excluait, à juste titre, ladite place de parking, et ont envisagé d’annuler la vente.

In fine, la venderesse a réussi à racheter la place de parking pour pouvoir la céder avec l’appartement.

Il n’en demeure pas moins que l’agence immobilière avait clairement manqué à ses obligations de vérification.

Engageant clairement sa responsabilité pour les différents préjudices subis.

Laurent Latapie, Avocat à Fréjus et Saint-Raphaël, Docteur en Droit, Barreau de Draguignan www.laurent-latapie-avocat.fr