Village de la Justice www.village-justice.com

Les contrats SaaS en droit américain : conseils et astuces de rédaction. Par Stéphane Grynwajc, Avocat.
Parution : lundi 29 juin 2020
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/redaction-des-contrats-saas-droit-americain-conseils-astuces,35926.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

"Si le droit d’utilisation des services en mode SaaS prend généralement, dans les contrats soumis au droit français, la forme d’une licence d’utilisation de la solution logicielle et de ses applicatifs, cette approche est à éviter dans les contrats SaaS soumis au droit américain".

Vous êtes une société éditrice de logiciel et vous proposez vos services en mode SaaS. Votre modèle agile d’activité vous met en situation idéale pour vous développer à l’international et offrir vos services à distance à des clients basés hors de France quand bien même vous n’avez aucune présence physique à l’étranger.

Si vous ambitionnez en particulier d’offrir vos services à des clients basés aux Etats-Unis, même sans présence sur place, il y a de grandes chances pour que vous vous trouviez dans la situation de devoir traduire et localiser en droit américain vos modèles standards de contrats SaaS, voire d’avoir à négocier les conditions de fourniture de vos services sur la base des contrats standards de vos prospects.

Que vous preniez la décision de localiser vos contrats ou de négocier les contrats rédigés en droit américain de vos prospects, il est important que vous connaissiez non seulement les différences de technique de rédaction des contrats entre la France et les Etats-Unis, mais aussi et surtout certaines astuces de formulation et erreurs à éviter afin de protéger votre activité des risques juridiques associés à un déploiement aux Etats-Unis.

Dans cet article, je présente certaines différences majeures dans l’approche rédactionnelle des contrats SaaS en France et aux Etats-Unis, des différences qui tiennent moins à la culture juridique (civiliste v. de common law) entre la France et les Etats-Unis, qu’à l’objet de ces contrats, et aux obligations juridiques qui découlent - notamment pour l’éditeur - de leur interprétation en droit américain.

Avant d’expliquer les différences de rédaction, il est important de rappeler brièvement ce qu’est un contrat SaaS. Le contrat SaaS, ou “Software as a Service”, appartient à la catégorie des contrats dits de “cloud computing”, communément traduits en français par “informatique en nuage”. Cette appellation regroupe un certain nombre de formes encore assez récentes d’hébergement de données et d’applications proposées par les prestataires de services en système d’information, des données et applications contenues dans des ordinateurs distants et auxquelles on accède par Internet. On y trouve des services variés, qui vont du simple stockage externalisé de fichiers jusqu’à la délocalisation en ligne de l’ensemble des serveurs, applications et données d’une entreprise, et de leur gestion technique par le prestataire des services. La location d’applications en mode SaaS consiste en fait à la mise à disposition du client de certaines ressources applicatives et de l’utilisation privative d’espaces de stockage de données sur des serveurs externalisés, et que le prestataire assortit en général d’un certain nombre de services d’accompagnement, tels que du conseil, de la formation, de la sauvegarde, ou du support technique.

Sur le plan de la qualification juridique, les traitements français et américain de ce type de contrats sont similaires. En droit français la qualification retenue est le contrat de louage de service (contrat d’entreprise), mais avec cette particularité d’être un louage à distance ; en droit américain on est dans le régime des contrats de services.

On est effectivement dans une offre de services, mais de services hybrides, car si les services d’accompagnement comme le conseil ou la formation sont des services assez classiques dans tout contrat de services, ils sont ici des prestations de nature accessoire de l’obligation principale du prestataire de services en cloud, qui consiste en la mise à disposition d’une plateforme en ligne à laquelle l’utilisateur se connecte à distance afin de bénéficier de services proposés par l’intermédiaire de cette plateforme. Or si ce droit d’utilisation prend généralement, dans les contrats soumis au droit français, la forme d’une licence d’utilisation de la solution logicielle et de ses applicatifs conformément au droit d’auteur, soit le droit de représenter et de mettre en oeuvre les services applicatifs conformément à leur destination, en mode SaaS, via une connexion à un réseau de communications électroniques, cette approche est à éviter dans les contrats SaaS soumis au droit américain.

Il y a plusieurs raisons à cela, certaines qui tiennent au type d’utilisation qui est faite de la solution logicielle par le client d’un prestataire de services fournis en mode SaaS, d’autres aux conséquences d’une application mal maîtrisée du droit américain de la propriété intellectuelle et de la faillite.

1. Les services SaaS et le droit de la propriété intellectuelle.

Il est très important de bien comprendre le rôle du logiciel dans une prestation de services proposée en mode SaaS. Si le client installe effectivement une copie du logiciel par voie de téléchargement sur son ordinateur, alors on est dans une utilisation “sur site” du logiciel, pour laquelle l’utilisateur requiert une licence à proprement parler. En effet, le droit de copier étant un droit exclusif du titulaire du droit d’auteur, un tiers ne peut procéder à la création d’une copie du logiciel que si le droit de copier lui est concédé sous forme d’une licence de droit d’auteur.

Toutefois, dans un cas d’utilisation en mode SaaS, le client ne télécharge pas le logiciel sur son ordinateur. Le logiciel reste à tout moment sous le contrôle physique du prestataire de services, lequel ne concède qu’un droit d’accès à distance à la solution. Dans la mesure où aucune copie n’est effectuée, le droit d’auteur ne prend aucune part dans l’engagement du prestataire à fournir les services. Plutôt qu’une licence le client bénéficie d’une simple autorisation, laquelle autorisation échappe au droit de la propriété intellectuelle. En droit américain on préférera la ou une variante de la formulation suivante : “During the term of this Agreement, Customer may access and use the Services”. Cette formulation met l’accent sur le fait qu’on parle d’un contrat de services, et non pas d’une licence d’utilisation d’un logiciel. Le prestataire n’utilise le logiciel que pour fournir, à distance, le service, généralement sous forme d’abonnement. L’obligation principale du prestataire est une prestation de services, et non pas la fourniture d’un logiciel.

Concrètement, l’intérêt de se départir d’une qualification de licence en droit américain est d’éviter qu’en cas de différend avec le prestataire le client puisse exiger une copie du logiciel hébergeant les services, notamment lorsque le client aura échoué à obtenir contractuellement la mise sous séquestre du logiciel permettant l’accès à ses sources en cas de défaillance du prestataire. Concéder le droit d’accès et d’utilisation des services sous la forme d’une licence pourra soutenir une telle revendication.

Une autre conséquence potentiellement dommageable de concéder une licence de logiciel pour des services proposés en mode SaaS tient à l’utilisation très répandue de logiciels d’“open source” dans le développement des solutions d’hébergement des services et solutions applicatives. Les règles d’utilisation de ces logiciels dans le cadre de licences de “copyleft” peuvent imposer, s’agissant de certaines licences particulièrement restrictives, que la distribution d’un logiciel propriétaire incluant des composants d’open source soit elle-même soumise à une licence d’open source. En règle générale, les licences d’open source ne trouvent pas à s’appliquer au monde du SaaS dans la mesure où le logiciel utilisé par le prestataire des services ne fait pas l’objet d’une distribution à proprement parler. Prévoir toutefois la concession d’une licence s’agissant de la solution d’hébergement viendrait à suggérer la possibilité légale pour l’utilisateur de réaliser une ou plusieurs copies du logiciel, par voie de téléchargement ou autre, et l’application des licences d’open source à l’utilisation du logiciel propriétaire du prestataire par le client.

2. Les licences de logiciel et le droit américain de la faillite.

Une autre raison majeure pour laquelle les contrats SaaS américains ne sont pas structurés sous forme de licence tient au droit fédéral américain de la faillite. En effet, il est généralement de règle aux Etats-Unis, que les licences de droits de propriété intellectuelle continuent de s’appliquer même en cas de faillite du prestataire.

Concrètement, la Section 365(a) du Code américain de la faillite permet à une partie en situation de faillite de renoncer aux obligations qui découlent pour elle d’un “executory contract”, soit d’un contrat encore en cours d’exécution au moment de la faillite. Typiquement, dans la mesure où les contrats de licence de logiciel et les contrats SaaS contiennent des obligations continues notamment en matière de conformité et de service, ils sont considérés comme des “executory contracts”, à l’instar des contrats à exécution successive en droit français, et dès lors susceptibles d’être dénoncés par le concédant d’une licence ou le prestataire de services en mode SaaS dont la prestation serait qualifiée de licence de droits de propriété intellectuelle. La Section 365(n) du Code de la faillite permet au concessionnaire d’une licence de s’opposer à la dénonciation du contrat et de continuer d’utiliser le logiciel, à l’exclusion toutefois des services d’accompagnement. Elle lui permet également d’exiger la communication des sources et de la documentation lorsque celle-ci aura été prévue dans le contrat ou dans une convention annexe, telle qu’une convention de séquestre.

Toutefois, ni le Code ni la jurisprudence en matière de faillites ne fixent la qualification des contrats SaaS comme des licences de logiciels ou comme des contrats de services. Du fait de ce vide juridique, le prestataire de services en mode SaaS voudra s’assurer contractuellement que l’objet du contrat est de fournir un service accessible via une plateforme en ligne, et non un logiciel, et de rejeter toute demande du client de placer les sources du logiciel sous séquestre.

Au-delà du soin pris à rédiger la clause de permission d’utilisation des services de telle sorte à éviter la requalification du contrat SaaS en contrat de licence il faudra également s’assurer que les autres clauses du contrat, et notamment les clauses de garantie et de responsabilité, sont rédigées de sorte à préserver la qualification de contrat de services et son régime applicable en droit américain des contrats.

En matière de rédaction et de négociation de contrats soumis à un droit étranger on ne saura bien sûr insister assez sur l’importance de se faire accompagner par un avocat local et spécialisé dans ces questions [1].

Stéphane Grynwajc Avocat aux barreaux de Paris, de New-York, et du Québec Solicitor (England and Wales) Cabinet S. Grynwajc www.transatlantic-lawyer.com/fr [->stephane@avocat-transatlantique.com]