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CE 12 juin 2020 : quelles leçons les Guinéens doivent-ils retenir ? Par Benjamin Junior Tonguino, Etudiant.
Parution : mercredi 24 juin 2020
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La vie courante de tout étranger en France, et particulièrement de celle des Guinéens est parsemée par les actes de l’Etat civil. A ce titre, Christine Bidaud-Garon constatait que « l’actualité législative et judiciaire regorge d’ailleurs des problèmes […] de droit des étrangers, de protection des mineurs, etc., dans lesquels il est fréquemment question d’actes de l’état civil étrangers, invoqués en tant que mode de preuve d’un état de la personne ou bien en tant que mode d’obtention d’un droit ».
Le Conseil d’Etat s’est prononcé le 12 juin 2020 sur la nature d’une note relative à ces actes.

En l’espèce, le Service de Sécurité Intérieure (ci-après SSI) de la Guinée a informé la Direction Centrale de la Police Aux Frontières (ci-après DCPAF) d’une fraude généralisée relative aux actes de l’état civil et aux jugements supplétifs « tenant lieu d’acte de naissance » en République de Guinée.

En réaction conséquente à cette information, le ministre de l’Intérieur, via la Division de l’Expertise de la Fraude Documentaire et de l’Identité (ci-après DEFDI) de la DCPAF a émis une « note d’actualité » (n° 17/2017), en date du 1er décembre 2017, relative à ces fraudes.
Cette note préconisait ce qui suit :
« Au regard des informations sérieuses émanant du Service de Sécurité Intérieure (SSI) de l’ambassade de France en République de Guinée, faisant état d’une fraude généralisée au niveau de l’état civil de ce pays tant au niveau des administrations et que des tribunaux, il n’est pas possible de formuler un quelconque avis relatif à l’authenticité du document soumis à analyse.
Un avis défavorable est donc émis ».

Ainsi, le Groupement d’Information et de Soutien des Immigré.e.s (GISTI) a saisi le Conseil d’Etat d’un recours en annulation de cette « note d’actualité ». Les juges du Palais-Royal ont statué dans une décision rendue le 12 juin 2020, n°418112.

Tandis qu’à travers cette décision, la question des fraudes documentaires en République de Guinée refait surface, cette contribution n’a pas vocation à commenter l’importante évolution jurisprudentielle opérée par la Haute juridiction administrative en matière des actes de droit souple.
Mais plutôt, elle s’inscrit dans la perspective de rappeler non seulement les implications de l’article 47 du Code civil français, mais plus encore, d’attirer l’attention de l’ensemble des Guinéens sur les incidences pénales et administratives du recours frauduleux aux actes de l’état civil établis en République de Guinée.

Quelques rappels nécessitent donc d’être faits relativement à la force probante des actes de l’état civil guinéens, à la procédure de contrôle de ces actes par les autorités françaises et aux incidences de l’émission des actes frauduleux aussi bien en Guinée qu’en France.
Enfin, il sera proposé, à titre exemplatif, des perspectives pour réduire (sinon de les pallier) les effets d’une telle « note d’actualité » sur les ressortissants Guinéens à l’étranger, et particulièrement en France.

En revanche, en raison de leur caractère légal, ne seront pas traitées, les questions afférentes au remplacement, à la rectification ou à la reconstitution d’un acte de l’état civil établis en Guinée.

L’article 47 du Code civil français dispose que : « tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ».

A ce titre, les articles 180 et suivants du Code civil guinéen posent les conditions de régularité des actes de l’état civil (présentation matérielle, rédaction des actes, autorités chargées de l’état civil). Pour être présumé juridiquement valable en France, le respect de ces conditions ne suffit pas. Encore faut-il que le document soit qualifié d’acte de l’état civil conformément au droit français [1] et que les formes jugées impératives par la loi française aient dû être respectées [2].

Lorsque ces conditions sont réunies, l’acte de l’état civil guinéen peut bénéficier de la présomption de la force probante de l’article 47 du Code civil. Cette présomption est la conséquence du principe actor regit actum en vertu duquel « un acte instrumental, établi conformément aux lois du pays dans lequel il est dressé, fait foi dans les autres pays ».
En 2019, le juge français avait estimé que la régularité formelle d’un acte de l’état civil (en l’espèce un acte de naissance) doit être examinée au regard des conditions posées par la loi étrangère [3]. Par ailleurs, les actes étrangers ne font foi que jusqu’à preuve contraire de la véracité des faits qui ont été déclarés à l’officier de l’état civil [4].

La possible remise en cause de la présomption de la force probante des actes de l’état civil établis à l’étranger (notamment en Guinée).

Pendant longtemps, les juridictions françaises considéraient comme irréfragables la force probante des actes d’état civil établis à l’étranger notamment en Guinée. Cela renvoie à la présomption telle qu’envisagée ci-dessus. Mais dès 1986, le juge français a estimé « qu’aucun texte légal ne donne force probante irréfragable aux actes d’état civil des pays étrangers ».

Cette décision marquait les prémisses de la possible remise en cause de la présomption de la force probante des actes de l’état civil dressés à l’étranger. Plusieurs autres décisions s’inscrivaient dans cette logique, sur des fondements divers qui ne sont pas des moindres. Par exemple, les juridictions françaises ne reconnaissent pas la valeur juridique d’un acte de naissance sur lequel est volontairement inscrit un lieu de naissance fictif pour l’enfant [5]. Ou lorsque l’acte ne donne aucune « indication utile » sur l’état civil des parents de l’intéressé [6]. C’est aussi le cas d’un ressortissant Guinéen dont l’acte de naissance suscitait un doute en raison d’une « différence quant à l’identité de l’autorité ayant établi un acte de naissance » [7]. Il en résulte, logiquement, que toute contradiction entre les informations émises sur les documents et la réalité est exclusive de la valeur juridique desdits documents.

La nouvelle formulation de l’article 47 opérée successivement par les réformes de 2003 et 2006 [8], loin de supprimer cette présomption, a posé le cadre légal dans lequel il est susceptible de contester l’irréfragabilité de la valeur probante de l’acte d’état civil établis notamment en Guinée. Ainsi, trois causes sont invoquées par l’article 47 : l’irrégularité de l’acte, sa falsification et son inexactitude.

En premier lieu, la régularité des actes de l’état civil étrangers renvoie à l’authenticité de l’acte envisagée dans le cadre de la qualification. « L’acte devra respecter non seulement les formes étrangères, mais également assurer des garanties de fiabilité et de solennité équivalentes aux actes français de l’état civil » [9].

En second lieu, en ce qui concerne les « actes falsifiés », une liste non exhaustive de comportements frauduleux susceptibles d’entacher l’acte de falsification a été prévue par la circulaire 2003-03 du 1er avril 2003, relative à la fraude en matière d’actes de l’état civil étrangers produits aux autorités françaises.
Il s’agit notamment de : « la fraude par usage de faux actes confectionnés par des personnes ou des officines privées ; la fraude par altération de copies ou d’extraits d’actes régulièrement délivrés par les autorités locales, voire par altération des registres de l’état civil, par surcharges, ratures, découpages et collages ; la fraude par confection de « vrais faux » actes d’état civil, constituée d’actes réguliers en la forme mais dont les événements relatés ne correspondent pas à la réalité (naissance fictive, reconnaissance mensongère...) ; la fraude par obtention indue de jugements supplétifs ou rectificatifs, en particulier d’actes de naissance ayant pour objet d’établir une filiation fictive avec un ressortissant français ou de rectifier une date de naissance notamment pour bénéficier d’un éventuel effet collectif en matière d’acquisition de la nationalité française ou d’une attribution de la nationalité française par double droit du sol ».

En troisième et dernier lieu, un acte est inexact, et par conséquent remet en cause la présomption de sa valeur juridique, lorsqu’il est entaché d’un vice ou d’un doute sur l’authenticité de son contenu.

En définitive, les juridictions françaises considèrent que cette valeur juridique relève de l’appréciation souveraine des juges du fond [10]. Dans le même sens, la loi du 14 novembre 2006 susmentionnée maintient la possibilité pour tout destinataire d’un acte de l’état civil étranger d’en décider le rejet pour irrégularité, falsification ou mensonge après avoir procédé aux « vérifications utiles ». Ce qui permet à l’évidence aux juridictions françaises d’écarter la présomption de l’article 47 du Code civil, dès lors qu’ils jugent insuffisants les faits énoncés pour établir l’état de la personne.

Le renforcement de la procédure de vérification de l’authenticité des actes de l’état civil établis en Guinée.

D’abord, il faut rappeler que la loi du 26 novembre 2003 avait mis en place un mécanisme complexe de sursis administratif. La loi du 14 novembre 2006 met désormais en place une nouvelle procédure de vérification des actes de l’état civil étrangers fixée par décret en Conseil d’État sur le fondement de l’article 21 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
Cet article prévoit que « par décret en Conseil d’État, le délai de deux mois au-delà duquel le silence gardé par l’autorité administrative vaut décision de rejet peut être augmenté si la complexité de la procédure le justifie » [11]. Ce qui est plus qu’évident dans la mesure où la consultation par les autorités consulaires françaises sises en Guinée, des registres détenus par les autorités guinéennes permettant de vérifier l’existence de l’acte original, peut entraîner un délai supplémentaire.

De deux mois, le délai au-delà duquel l’on considère la décision implicite de rejet est remonté à huit mois conformément à l’article 22-1 de la loi susvisée. Concrètement, lorsqu’une autorité administrative française, saisie par un Guinéen d’une demande d’établissement ou de délivrance d’un acte ou d’un titre, a un doute sur l’authenticité d’un acte de l’état civil guinéen, elle peut procéder aux « vérifications utiles » auprès des autorités guinéennes compétentes [12]. Partant, elle a jusqu’à huit mois, au lieu de deux mois, pour rendre un avis sur la demande qui lui a été faite. Cela signe sans aucun doute le renforcement de la vérification des actes par les autorités françaises.

Les incidences pénales et administratives du recours à un acte irrégulier, falsifié ou inexact.

Si les autorités françaises n’ont aucun pouvoir de contrôle, ni de sanction sur les magistrats et les officiers de l’état civil guinéens, elles ont toutefois la possibilité de poursuivre notamment devant le juge pénal français en l’occurrence, sur le fondement des délits de faux et usages de faux. Cette action est aussi ouverte aux administrations guinéennes, devant le juge pénal guinéen, lorsque ces infractions sont commises sur ce territoire. Enfin, le recours à la fraude documentaire organisée en Guinée n’est pas sans incidence sur les démarches administratives entreprises par les Guinéens résidant en France.

En matière pénale, le délit de faux est littéralement défini de la même manière en droit français qu’en droit guinéen. Ainsi, « constitue un faux, toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques » [13]. De même, les deux droits subordonnent la condamnation du délit d’usage de faux à l’élément intentionnel de son auteur (on parle de faux moral).

Une autre lecture parallèle des deux droits conclut au constat de la pénalisation non seulement d’une tentative, mais aussi d’une commission effective des délits de faux et usages de faux. Dans la même logique comparatiste, les peines encourues varient selon qu’il s’agisse d’une simple détention frauduleuse d’un faux document délivré par une autorité publique, ou de la qualité de l’infractionniste (si c’est une personne physique au sens de citoyen lambda, ou une autorité publique).

Ainsi, les peines varient [14] :
- En France, d’un an d’emprisonnement à quinze ans de réclusion ; et/ou de 15 000 à 250 000 euros d’amende. Ces peines peuvent être assorties de l’exclusion et/ou de l’interdiction de certains droits comme par exemple les droits civils [15] ou encore dans certaines conditions, de l’interdiction du territoire français.
En Guinée, de six mois d’emprisonnement à dix ans de réclusion ; et/ou de 50 000 à 5 000 000 de francs guinéens d’amende. Aussi ces peines peuvent-elles être assorties de l’interdiction d’exercice de certains droits civiques, civils et de famille ; conformément à l’article 53 du Code pénal.

En ce qui concerne les conséquences en matière administrative, il faut admettre le ralentissement (sinon l’échec) considérable des démarches administratives entreprises en France. En effet, les actes de l’état civil jalonnent la vie des personnes. Ces actes sont une matière empreinte des considérations d’ordre public et d’intérêts privés [16].

Les Guinéens résidant en France ou non, sont amenés dans la vie courante à produire par exemple un extrait de naissance ou de mariage pour faire valoir leurs droits sur le territoire français. Ces droits correspondent aux avantages que le droit français leur accorde en fonction de leur situation. C’est par exemple le cas lorsqu’il faut demander un visa ou un titre de séjour. En matière de regroupement familial ou de demande d’asile, l’émission des actes de l’état civil est également indispensable. C’est ce qui explique, à juste titre, l’exigence de l’Etat français de produire des actes qui reflètent la situation réelle du demandeur.

A cet égard, il faut donc regretter et condamner les fraudes documentaires organisées en Guinée. Puisque nul besoin de rappeler les conséquences notables que la réaction française peut avoir sur la situation juridique des ressortissants Guinéens. Cela est d’autant plus patent que dans la décision du Conseil d’Etat, du 12 juin 2020, qui a remis ce débat sur table, les juges français ont reconnu la possibilité de contester une telle « note d’actualité » en recours pour excès de pouvoir. Et ce, « eu égard aux effets notables qu’elle est susceptible d’emporter sur la situation des ressortissants guinéens dans leurs relations avec l’administration française ».

Faut-il le rappeler, la note litigieuse mentionnait les termes suivants : « Vu les fraudes combinées à un manque de fiabilité dans l’administration guinéenne et des délais de transcription non respectés, la Division de l’Expertise en Fraude Documentaire et à l’Identité préconise de formuler un avis défavorable pour toute analyse d’acte de naissance guinéen ».

Même si les juges du Palais-Royal ont bien conclu leur office en admettant que cette préconisation n’interdit pas les agents à qui elle est destinée d’opérer à un examen in concreto des demandes faites par les ressortissants Guinéens, force est de reconnaître qu’elle influence nécessairement les décisions de ces agents, et se répercute en conséquence sur les Guinéens. On y voit inéluctablement une présomption de fraude, ne serait-ce qu’implicite, des citoyens Guinéens qui serait irréfragable. Or le sait-on, cela condamne systématiquement ces derniers soit à renoncer à leurs droits ou à s’engager dans une longue et complexe procédure contentieuse, tel que le soutenait valablement le Groupement d’Information et de Soutien aux Immigré.e.s, association requérante.

In fine, ces incidences administratives transcendent inévitablement les frontières françaises, dans la mesure où l’information étant rendue publique, à cette ère où nous vivons dans un « village planétaire », tous les Guinéens, où qu’ils se trouvent, sont exposés aux effets d’une telle préconisation.

Les solutions envisageables.

Pourtant, des perspectives existent ! Et elles sont à la portée de tous les Guinéens. Pour les citoyens, il suffit de prendre conscience des effets du recours frauduleux aux actes de l’état civil. En ce qui concerne les administrations, on constate que la mise en place des perspectives, quoi que progressive et encourageante, demeure lente et se heurte encore à quelques insuffisances.

Ces efforts ont d’abord été entrepris par la mise place en 2003 du plan d’actions « Bilans et perspectives » sur l’enregistrement des naissances. Ensuite, il a fallu attendre 2017 pour qu’avec l’appui de l’Union européenne, qu’il y ait une mise en place d’une « Stratégie nationale de réforme et de modernisation de l’état civil » qui s’inscrit dans l’objectif global « d’appuyer la modernisation et la sécurisation du dispositif guinéen d’état-civil » [17].
Et d’autre part, l’ouverture dès juillet 2018, d’un registre « sécurisé » dans les états civils [18]. Ce qui marquait un pas vers « le renforcement des capacités de l’état civil en matériels, en équipements et en outils de gestion en vue d’accroitre leur performance ».
Enfin, faut-il souligner l’amélioration du cadre institutionnel avec entre-autres la création de la Direction Nationale de l’Etat Civil (DNEC) [19], et de la Coordination Intersectorielle de Réforme et de modernisation de l’état-civil (CIRMEC).

Nonobstant les recommandations des autorités guinéennes adressées aux officiers de l’état civil, qui consistaient à l’utilisation des nouveaux registres de 2018, on constate avec regret la pratique archaïque pour l’établissement des actes de l’état civil : ces actes étant encore rédigés manuellement. Ce qui est source d’erreur, surtout lorsque l’on sait déjà que la fraude peut résulter de « surcharges ou de ratures ». Pire, l’article 188 du nouveau Code civil semble admettre une éventuelle approbation des ratures [20].

Il y a donc une absence de numérisation. Pourtant la stratégie nationale de réforme et de modernisation s’inscrivait dans la logique notamment de la mise en place d’un « fichier d’identification biométrique de la population afin de faciliter l’identification des personnes étant réellement de nationalité guinéenne, non seulement résidant en Guinée, mais aussi à l’étranger ».

Or faut-il le rappeler, « l’irrégularité d’un acte peut survenir de la tenue défectueuse des registres de l’état civil local ou d’une législation étrangère ne permettant pas de garantir suffisamment la régularité du document au regard des exigences françaises » [21]. Cette numérisation pourra conséquemment permettre une centralisation des registres de l’état civil par ville (le cas échéant par région) qui est une nécessité impérieuse. En effet, cela rassure d’une part une mise à jour de tous les actes conservés dans ces registres. Et d’autre part de pallier les difficultés liées au référencement des actes (numéro, date, lieu), et empêchera in fine, de se retrouver soit avec plusieurs références attribuées à une seule identité ; ou une seule référence attribuée à plusieurs identités.

De plus, il convient d’exiger légalement des officiers d’état civil d’établir les extraits des actes à la seule condition que les demandeurs disposent de l’acte originaire ou que les officiers eux-mêmes aient accès à ces actes originaires (ce qui est impossible si les registres ne sont pas conséquemment sécurisés). Il importe toutefois de rappeler qu’à supposer même que les officiers de l’état civil guinéens n’exigent pas l’acte originaire, les extraits font foi en France dès lors qu’ils satisfont aux conditions de régularité largement expliquées ci-dessus. En revanche, l’inexactitude du contenu desdits actes est de nature à supprimer leur force probante.
C’est ce qui arrive souvent lorsque l’officier de l’état civil guinéen s’est simplement fié aux allégations du demandeur, sans preuve aucune. Un des exemples (en plus de ceux susmentionnés) où l’on rencontre des suppressions de valeur juridique des actes pour contradiction ou suspicion est celui d’un ressortissant Guinéen qui s’était vu refuser sa demande à fin d’être confié à l’aide sociale à l’enfance, en se prévalant de son statut de mineur. En 2018, la Cour de Cassation française a rejeté le pourvoi formé par l’intéressé au motif que « les conditions de délivrance de ce jugement supplétif d’acte de naissance et de l’extrait du registre de l’état civil […] demeurent obscures » [22]. En l’état actuel du droit, il n’y a que la délivrance des extraits d’acte de naissance qui est assujettie à une exigence [23].

Dans ces conditions, comment faut-il continuer de sensibiliser les Guinéens de déclarer les naissances, les mariages ou les décès, qui sont pourtant des exigences légales, lorsqu’ils savent que « toutes les pièces d’état civil […] font l’objet de fraude. [Qu’ils] se vendent dans la rue comme des cacahuètes. [Que] les chefs-lieux des sous-préfectures, les bureaux des conseils de quartier, les commissariats, les tribunaux ou palais de justice sont, chaque jour pris d’assaut par des faussaires émérites. [Que] ces lieux sont des nids par excellence de l’établissement des documents contrefaits » [24] ?

Sources :

- Mariel Revillard, « Actes de l’état civil », Répertoire du droit international privé, Dalloz, janvier 2013 (Actualisé en Novembre 2019) ;
- Christine Bidaud-Garon, « la force probante des actes de l’état civil étrangers après la loi du 26 novembre 2003 », Revue critique du Droit international privé, Dalloz, 2006 p. 49 ;
- Site officiel du Groupement d’Information et de Soutien des Immigré.e.s (GISTI) : Requête introductive d’instance, enregistrée le 14 février 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat (arrêt rendu : CE 12 juin 2020, n° 418142) ; requête en référé-suspension enregistrée le 14 février 2018 (ordonnance rendue : CE ord., 12 février 2018 n°418141) ; « Guide des actes de l’état civil » ;
- Note d’actualité n° 17/2017 de la Division de l’Expertise en Fraude Documentaire et à l’Identité de la Direction Centrale de la Police aux Frontières (DCPAF) du 1er décembre 2017 relative aux « fraudes documentaires organisées en Guinée (Conakry) sur les actes d’état civil » ;
- Texte de la Stratégie nationale de la réforme et de la modernisation de l’état civil en Guinée – 2018-2022 (Novembre 2017) ;
- GuinéeNews : « Guinée : A partir du 1er juillet, sera ouvert un registre sécurisé dans les états civils (ministre) », 20 juin 2018 ; « Acquisition des documents administratifs : la Guinée, un eldorado pour les faussaires de tout acabit ! », 3 juin 2019.

Benjamin Junior Tonguino, Etudiant à la faculté de Droit et Science politique de Montpellier.

[1Cass. Civ. 1re, 14 juin 1983, n°82-13247 : « un acte de l’état civil est un écrit dans lequel l’autorité publique constate d’une manière authentique un événement dont dépend l’état d’une ou de plusieurs personnes ». A cet égard, l’article 47 ne concerne que les actes au sens strict (Paris, 15 décembre 1987 : D. 1988 IR 25) : acte de naissance, de reconnaissance, de mariage et de décès.

[2Par ex. l’indication du lieu de naissance (Civ. 1re, 2 nov. 1986)

[3Civ. 1re, 19 sept. 2019, no 18-20.782.

[4Civ. 1re, 14 février 1983, R.C.D.I.P. 1984-316.

[5Cass. civ. 1re, 12 novembre 1986.

[6Cass. Civ. 1re, 29 novembre 1994.

[7Civ. 1re, 17 oct. 2019, no 18- 50.056.

[8Par la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration et par la loi no 2006-1376 du 14 novembre 2006 relative au contrôle de la validité des mariages.

[9Mariel Revillard, « Actes de l’état civil », Répertoire du droit international privé, Dalloz, janvier 2013 (Actualisé en Novembre 2019).

[10Cass. Civ. 1re, 29 novembre 1994, op. cit.

[11Mariel Revillard, op. cit.

[12Civ. 1re, 16 juillet 1998, no 95-16.417 ; ou encore Civ. 1re, 5 septembre 2018

[13Article 585 du Code pénal guinéen et article 441-1 al. 1er du Code pénal français

[14Voir en ce sens les articles 441-1 et suivants du Code pénal français ; et 585 et suivants du code pénal guinéen

[15Article 131-6 et 131-7 du code pénal français

[16Christine Bidaud-Garon, « la force probante des actes de l’état civil étrangers après la loi du 26 novembre 2003 », Revue critique du Droit international privé, Dalloz, 2006 p. 49

[17Stratégie nationale de la réforme et de la modernisation de l’état civil en Guinée – 2018-2022 (Novembre 2017)

[18GuinéeNews « Guinée : A partir du 1er juillet, sera ouvert un registre sécurisé dans les états civils (ministre) », 20 juin 2018

[19La Direction Nationale de l’Etat-Civil (DNEC) a été créée à la suite de la restructuration du Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation (Décret D/2011/038/PRG/SGG du 22 février 2011 portant Attribution et Organisation du MATD).

[20Article 188 du nouveau Code civil guinéen : « Les actes sont inscrits sur les registres, sur-le-champ, sans aucun blanc à raison d’un acte par folio. Les ratures et les renvois sont approuvés et signés de la même manière que le corps de l’acte ».

[21Christine Bidaud-Garon, op. cit.

[22Cass. 1re civ., 17 oct. 2018, n° 18-19.427.

[23Voir en ce sens les articles 191 et 209 du nouveau Code civil guinéen.

[24Dans un Dossier publié le 3 juin 2019, GuinéeNews alertait sur les trafics liés aux actes de l’état civil en Guinée, et exposait quelques techniques mises en place par les faussaires. Voir sur le site : « Dossier : Acquisition des documents administratifs : la Guinée, un eldorado pour les faussaires de tout acabit ! »