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Les méthodes de la coopération dans le monde du droit, sujet d’innovation... et de remotivation ?
Parution : mercredi 24 juin 2020
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Amel Bounaceur Josset, avocate qui travaille notamment dans le droit de l’Economie Sociale et Solidaire, représentant le collectif CoopAvocats, et l’incubateur du Barreau de Rennes ont proposé récemment un webinaire sur les sujets de coopération entre avocats, avec la participation notamment de Bernard Lamon et Kami Haeri, bien connus pour leurs réflexions sur la profession, et avec d’autres intervenants spécialistes du sujet.
En voici quelques idées que nous tenions à partager avec nos lecteurs, et le replay intégral pour aller plus loin.

Lorsque récemment une enquête du CNB réalisée lors de la crise Covid-19 montrait l’important nombre d’avocats envisageant leur départ de la profession, cela a posé question. Au-delà des problèmes financiers spécifiques au moment, s’agissait-il d’un problème de motivation ? Cette enquête et d’autres avant elle laissent penser qu’en effet il y aurait un souci d’intégration de l’avocat dans la société, un sujet de perspective défaillante, de motivation in fine, pour une part de la profession.

Les principes de la "coopération" sont justement une piste intéressante, serait-ce même un levier d’innovation ?

Une innovation sociale est définie comme "une innovation organisationnelle consistant à améliorer l’existant ou à améliorer la réponse à des besoins sociaux mal satisfaits, avec la participation d’acteurs concernés."
La coopération dans les méthodes des avocats peut-elle être un levier d’innovation sociale et de motivation, que ce soit entre eux ou avec leurs contacts, autres professions du droit et clients ? Les intervenants de ce webinaire le pensent, car la coopération est constructive, enthousiasmante. Elle permet de prendre de la hauteur et amène à imaginer, donc à se remotiver.

Selon Kami Haeri, la profession d’avocat est dynamique, attractive (220 000 étudiants en droit), résiliente, au centre de l’important besoin de droit que tout le monde constate.
Mais il remarque "un manque de culture sociétale interne dans la profession : il y a un décrochage bien connu dans la profession entre hommes et femmes, une sorte de "pathologie structurelle"," en retard sur la demande de la société.

Il faudrait une réflexion positive collégiale pour renforcer l’égalité dans la profession d’avocat.

Il faudrait donc une réflexion positive collégiale pour renforcer l’égalité notamment, car la situation n’est pas tenable : "toute organisation solide et exemplaire doit véhiculer à l’intérieur les valeurs qu’elle prétend porter à l’extérieur" (égalité, éthique, gouvernance...), et la profession d’avocat est trop en décalage.
On ne peut que confirmer que les méthodes collaboratives pourraient grandement aider à faire avancer le sujet, tant la diversité et l’attention à l’autre sont au cœur de ces pratiques...

Bernard Lamon rappelle un fait : la collaboration existe chez les avocats, mais il s’agit de la fameuse "collaboration libérale" qui ne fonctionne pas parfaitement.
C’est aussi une profession qui travaille beaucoup avec des partenaires extérieurs, depuis la loi Macron notamment, ou par réseaux (comptables, relations-presse, psychologues, notaires, etc). Ce serait donc une bonne base d’évolution que d’organiser ces inter-relations de façon construite, bien que la recherche d’outils de coopération puisse parfois se heurter à la déontologie.

Mais au fond, pourquoi coopérer ? Un représentant d’une coopérative, intercoop.fr, répond en trois points principaux :

La coopération est un jeu gagnant pour tous.


1. Parce que c’est un jeu gagnant pour tous, qui renforce tous les participants (à l’image de ce qui se passe dans les espèces végétales ou animales). On coopère car on en tire un bénéfice, cela renforce les participants.
2. Le monde est complexe, interconnecté et tous les sujets sont reliés à d’autres, donc on est obligé d’associer les parties prenantes pour régler un problème vraiment. La coopération est l’expression sociale de la complexité : on coopère car on n’a pas le choix !
3. L’homme est economicus mais aussi un être de relation : le désir de sortir de modèles pyramidaux est aujourd’hui réel, or la coopération est justement un lien social.

Malgré cette présentation "quasi naturelle", coopérer davantage est un changement de paradigmes...
- C’est un changement radical de la notion d’expertise, on apprend les uns des autres, on n’est pas le seul expert.
- Le leadership est évolutif selon les moments et situations, "il tourne".
- La pratique de la coopération permet de développer les coopérations externes plus facilement.
- La coopération permet l’épanouissement, pas l’épuisement... donc sans doute l’innovation, l’inspiration et l’évolution.

Les organisations collaboratives peuvent apporter une solution pour l’avenir en étant plus résilientes.

Face à la crise actuelle, de nouvelles pistes sont à parcourir, et les organisations collaboratives peuvent apporter une solution pour l’avenir en étant plus résilientes. Cela concerne plus généralement tous les besoins d’évolutions technologiques ou d’offre des avocats, qui demandent une montée en puissance de nouvelles compétences, que personne ne peut incarner à lui seul.
En mode collaboratif, la prise de décision est collective, et les bonnes idées viennent de partout : l’agilité vient de l’écoute de tous. La structure doit donc libérer la parole, et le type de structure et de gouvernance ont un rôle dans cette parole libérée.

Ce sujet de gouvernance est de fait déjà au cœur de réflexions pour les avocats, que ce soit pour l’intégration de jeunes générations, la gestion financière de leur structure, la capitalisation sur l’interprofessionalité... des sujets souvent abordés sur le Village de la justice !

Mais attention, "si la coopération attire des profils et la diversité, elle en repousse d’autres", pas prêts à cela. La coopération repose sur le volontarisme des personnes, et il est donc plus facile d’adopter ces méthodes à la création qu’en évolution... Il faudra donc souvent prendre son temps pour évoluer collectivement et ne perdre personne en route.

Après ces quelques idées, n’hésitez-pas à écouter ce replay, très intéressant tant par la théorie que par les témoignages concrets apportés :


Actu du sujet en juillet 2020 :

Une coopérative d’études de notaires se lance ! Notaires-office [1] propose un modèle coopératif qui est plutôt du domaine de la mutualisation, puisque chaque étude reste autonome (les avocats font cela avec par exemple les réseaux Gesica, Interjuris etc).
Il s’agit d’établir un standard de fonctionnement d’une étude notariale modèle et de se doter de moyens d’atteindre ce standard (identité visuelle, organisation de l’étude, méthodes de relation client, de recrutement, de formation, de production d’actes, outils informatiques, achats …). Le facteur "gouvernance" présent dans la démarche est ce qui rapproche a priori ce réseau d’une coopérative, sans en être une vraiment.


A propos de l’association COOPAVOCATS...
Elle a deux objets principaux :
- Le premier est de préfigurer la création d’une coopérative d’activité et d’emploi (ou CAE) dédiée aux avocats.
- Le second est de mener une recherche action sur la coopération entre avocats comme levier d’innovation sociale.
Le webinaire se propose d’être, une base, un point de départ d’une réflexion collective sur la coopération et l’exercice de la profession d’avocats.
Un travail enthousiasmant et exigeant est en perspective !
Sur le volet recherche, l’association lancera cet été une étude qualitative à travers la diffusion d’un questionnaire afin d’objectiver un certain nombre de pratiques existantes et d’ interroger les avocats sur leurs visions et aspirations autour de la coopération.
L’association a organisé deux grands rendez-vous (en marge des réunions de travail et d’échanges), un premier à l’automne dans le cadre des RDV des Transformations du droit et un second au printemps 2021 qui était l’occasion de faire un point d’étape sur l’axe recherche.
Contact : coopavocats516 chez gmail.com

Rédaction du village