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Report d’imposition et option pour le barème : les curieux conseils de Bercy. Par Paul Creusat, Avocat.
Parution : jeudi 18 juin 2020
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Au cours de la déclaration en ligne de leurs revenus, certains contribuables ont pu lire un avertissement émis par l’administration indiquant qu’ils auraient intérêt à opter pour le barème progressif avant de valider leur déclaration. Une telle option risque d’entraîner un surcoût important pour les contribuables ayant réalisé une opération d’apport ayant généré une plus-value placée en report en 2019. En effet, la plus-value en report sera imposée au PFU ou au barème progressif selon l’option effectuée pour les revenus 2019 et non au titre de l’option réalisée l’année d’imposition effective de la plus-value. Le conseil donné par l’administration ne tenait pas compte de cette potentielle imposition future.

En février dernier, le Ministre de l’Action et des comptes publics indiquait dans une réponse à la député Mme Valérie Rabault que plus de 8 millions de foyers avaient été imposés par défaut au Prélèvement Forfaitaire Unique (PFU), alors qu’il aurait été plus avantageux pour eux d’opter pour l’imposition au barème progressif de l’impôt sur le revenu [1].

Rappelons que, depuis le 1er janvier 2018, les plus-values sur titres et les revenus de capitaux mobiliers sont imposés par défaut au PFU (ou « flat tax ») de 30%, soit 12,8% d’impôt sur le revenu et 17,2% de prélèvements sociaux [2].

Les contribuables conservent néanmoins la possibilité d’opter pour une imposition selon le barème progressif : les revenus concernés entrent alors dans leur revenu global, après application d’abattements divers, et sont soumis au barème prévu à l’article 197 du Code Général des Impôts (CGI).

Cette option pour le barème devait permettre aux contribuables imposés dans les tranches les plus faibles ou pouvant bénéficier d’abattements importants de ne pas voir leur fiscalité alourdie par la mise en place du PFU.

Sur votre déclaration.

L’option pour le barème se matérialise en cochant la case "2OP" du formulaire 2042 de la déclaration de revenus puisque, par défaut, l’imprimé ou la déclaration en ligne prérempli(e) soumet les revenus concernés au PFU.

C’est cette imposition par défaut au PFU qui a conduit à ce que l’an dernier, 8,1 millions de foyers soient sur-imposés.

Pour la campagne déclarative de 2020, l’administration fiscale a donc décidé d’assister les contribuables dans leur choix d’option.

Ainsi, à l’issue du processus déclaratif sur impots.gouv.fr, certains contribuables ont pu lire l’avertissement suivant avant de valider leur déclaration :

« D’après nos calculs, vous avez intérêts (sic) à opter pour l’imposition de vos revenus de capitaux mobiliers au barème progressif au lieu du prélèvement forfaitaire unique ».

Ce conseil a probablement permis d’informer certains contribuables de leur possibilité d’opter pour une fiscalité effectivement plus avantageuse.

D’autres contribuables ont malheureusement pu être convaincus d’opter, à tort, pour le barème progressif de l’impôt sur le revenu.

Conséquences de l’option.

L’option pour le barème est globale : elle couvre la totalité des revenus pouvant être assujettis au PFU.

Plus-values, dividendes... tous ces revenus sont couverts par une seule option.

Ainsi et par exemple, il n’est pas possible d’imposer des dividendes au PFU tout en bénéficiant du barème progressif pour l’imposition de plus-values.

Or, l’administration fiscale a oublié de prendre en compte la réalisation en 2019 de plus-values placées en report d’imposition avant de conseiller de cocher la fameuse case « 2OP ».

Ces plus-values, généralement réalisées lors de l’apport de titres à une société holding contrôlée par le contribuable [3] ne seront imposées que dans le futur (cession des titres reçus en échange de l’apport, des titres apportés etc...).

Néanmoins, et c’est une règle probablement peu connue des contribuables, le taux d’imposition qui sera ultérieurement appliqué à cette plus-value placée en report est "figé" lors de l’année de réalisation de la plus-value.

Imposition de la plus-value en report.

Cette règle fait suite à une décision du Conseil Constitutionnel [4], qui a jugé en 2016 que les règles de taux applicables aux plus-values dont l’imposition est reportée doivent être celles en vigueur l’année de leur réalisation (soit l’année de l’apport des titres dans le cadre d’un report d’imposition 150 0 B ter).

Dans son commentaire de cette décision [5], l’administration fiscale a précisé que le taux d’imposition applicable à la plus-value lors de la déchéance du report d’imposition dépend de l’option retenue lors de la constitution de la plus-value :
- si le contribuable n’a pas coché la case "2OP", sa plus-value sera imposée au PFU (30%) ;
- si, au contraire, le contribuable a formalisé une option pour le barème progressif, la plus-value sera imposée selon un taux forfaitaire dont la formule de calcul doit permettre de reproduire le taux progressif théorique qui aurait été appliqué si la plus-value avait été imposée au barème progressif l’année de sa constitution [6].

L’option pour le barème l’année de réalisation d’une plus-value en report « gèle » donc les modalités d’imposition de la plus-value placée en report.

Précautions avant option.

Avant d’opter pour le barème, le contribuable ayant réalisé des opérations d’apport placées en report d’imposition doit nécessairement tenir compte de l’imposition future de ces plus-values.

Cette nécessité est d’autant plus forte que l’option formalisée par le contribuable est irrévocable [7] et ne pourra donc pas être corrigée ultérieurement.

Or, la plateforme impots.gouv.fr conseillait d’opter pour le barème progressif sans prendre en compte l’existence de plus-values placées en report en 2019.

Suivre un tel conseil risque de soumettre les contribuables non avertis à de très fortes sur-impositions dans le futur (jusque 45% au lieu de 12,8%).

Nuançons en précisant qu’il est possible que ces plus-values ne soient jamais imposées, ce qui sera le cas si aucun évènement n’entraînant la déchéance du report d’imposition ne survient. Dans une telle hypothèse, le conseil donné par l’administration peut sembler judicieux.

Toutefois, les situations de fin de report d’imposition sont nombreuses ; ce sujet aurait donc mérité d’être mieux considéré par l’administration fiscale.

Paul Creusat Avocat

[3CGI, art. 150-0 B ter.

[4Décision QPC, 22 avril 2016, n°2016-538.

[5BOI-RPPM-PVBMI-30-20

[6Ibid. n°220.

[7CGI, art. 200-A-2°.