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Comment les juristes d’entreprise ont-ils vécu le télétravail ?
Parution : lundi 15 juin 2020
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A l’heure du déconfinement - même si le retour sur site ne se fait que très progressivement, il est déjà possible de tirer quelques enseignements du télétravail pour les juristes d’entreprise. Comment ont-ils vécu cette période ? Le pratiquaient-ils déjà auparavant ? Envisagent-ils de poursuivre l’expérience à l’avenir ? Quels nouveaux usages ont émergé, et quelles difficultés ont-ils rencontré ?

Les grèves de 2019 : un premier test pour du télétravail

Après plusieurs mois de télétravail, le ressenti est partagé. Le fait que le télétravail ait été imposé à tout le monde, dans un contexte de grande anxiété générale, potentiellement sans outils adaptés, renforçant l’isolement pour certains ou cumulé à des obligations familiales démultipliées pour d’autres, doit évidemment être pris en compte.

Les directions juridiques semblaient unanimement avoir profité des grèves de fin d’année 2019 pour tester la mise en place d’une politique de télétravail à raison généralement d’un ou deux jours par semaine. Si certains étaient ravis de pouvoir y avoir recours, d’autres n’avaient personnellement pas saisi cette opportunité préférant « dissocier les espaces privés et professionnels » ou simplement préférant travailler sur site, au contact direct de leurs collègues.

Outils digitaux et communication : quels impacts sur la productivité ?

De quels outils disposaient-ils pour télétravailler ? Sans surprise, quasiment tous les juristes étaient équipés d’un ordinateur portable. Cette crise devrait d’ailleurs signer la fin définitive des postes de travail fixes. Notons que certaines directions juridiques n’ont pas hésité à investir dans un double écran permettant un meilleur confort de lecture pour l’analyse de longs documents. Le travail sur serveur commun semble également être entré dans les bonnes pratiques de travail, réjouissons-nous-en ! Un certain nombre entreprises se sont également dotées d’un accès VPN afin de sécuriser l’accès au drive partagé. Enfin, les plus chanceux travaillent dans des directions juridiques équipées d’un outil de signature électronique, de contract management voire de knowledge management rendant l’expérience du travail à distance aussi fluide que possible.

Tous constatent une hausse de leur charge de travail et, certains même une hausse de leur productivité (ndlr à l’attention de ceux qui culpabiliseraient : aucun des répondant n’a déclaré avoir d’enfant). Cela s’explique tant par la hausse de l’activité que par une adaptation à ce nouveau mode de travail, à ces nouveaux outils et aux pratiques qu’ils induisent. L’absence de socialisation extérieure, la perte de repères temporels et la fusion du lieu de travail et du lieu de vie ont nécessairement accentué cette tendance aux horaires à rallonge. En télétravail, la coupure demande plus d’autodiscipline puisqu’elle n’est pas matérialisée par un départ physique.

La communication à distance n’a en revanche pas été aussi problématique qu’envisagée. Si certains constatent une augmentation significative des points téléphoniques - ou des visioconférences afin d’ajouter une dimension plus « humaine » - d’autres déplorent au contraire leur manque de régularité. Saluons les initiatives de connexion d’équipe, non obligatoires mais informelles afin de se substituer autant que possible à la « socialisation de la machine à café ». Mais attention au côté anxiogène qu’ils peuvent induire si les sujets de conversation se concentrent sur l’épidémie et ses conséquences sanitaires ou économiques !

La principale difficulté qui remonte de cette période est bien évidemment le manque d’interactions et la déshumanisation. Notons toutefois que cela est plus à mettre sur le compte du confinement que du télétravail (qui en général ne se pratique pas à 100% !). Combien auraient pu trouver leur compte au télétravail s’ils avaient pu conserver les midis et soirs des plages de socialisation extérieures avec leurs proches ?

Vers un retour sur site ou une généralisation du télétravail ?

Sur la question de la reprise du travail sur site, les avis divergent. Certains souhaitent reprendre le plus rapidement possible car ils ont mal vécu ce télétravail imposé et à 100%. Ils considèrent par ailleurs le siège social de l’entreprise comme un lieu de vie professionnelle cristallisant leur sentiment d’appartenance à l’entreprise. Cette période de confinement a pu leur faire perdre ce sentiment, les faisant se sentir isolés plutôt que faisant partie d’une équipe. D’autres souhaitent conserver une partie de leur organisation en télétravail (entre 1 et 3 jours par semaine) afin de bénéficier de la flexibilité que cela offre tout en évitant la prise de risque sanitaire que représentent les transports par exemple. Tous convergent pour dire que le télétravail à 100% n’est pas souhaitable en raison de l’isolement qu’il induit mais qu’une politique flexible serait bénéfique aux salariés. Dans un certain nombre d’entreprises, une refonte de la charte de télétravail et un recours plus soutenu à cette modalité d’organisation est d’ailleurs envisagé.

Pendant cette période un peu spéciale, de nombreuses initiatives ont vu le jour. Saluons l’inventivité des équipes qui ont créé du lien social contribuant à assurer la cohésion d’équipe mais également à s’assurer qu’aucun membre ne soit isolé. Une société a ainsi mis en place un plan bien nommé « confinés mais pas isolés » avec des cours de sport en visio les midis, et des ateliers cuisine, couture, apéritif le soir… Des challenge photos ont également été échangés au sein des équipes, qu’il s’agisse du plus beau mug ou de son poste de (télé)travail. Des jeux à thèmes, des quiz, des photos des collaborateurs lorsqu’ils étaient enfants sont également des initiatives à saluer. Elles ont visiblement permis une bulle de respiration appréciée dans des journées de travail très denses.

Enfin, un certain nombre de juristes envisage de quitter Paris pour s’installer en province, et la pratique du télétravail – même partiel – pourrait accroître cette tendance. Car si le télétravail se généralise à raison de 2 ou 3 jours par semaine, quelle différence pour l’employeur que le lieu d’habitation du salarié se trouve à Paris ou en province ? En revanche comme on peut l’imaginer, pour le salarié cela changerait tout, tant en termes d’espace, que de qualité de vie comme de budget ! Alors, prêts à sauter le pas ?

Remerciements :
Alexandra Gateau, Juriste d’affaires, Transatel ;
Lætitia Ferrando, Juriste / Juriste - Data & Compliance, Leboncoin
Sarah Ouis, legal counsel, Mdgroup
Anaïs Redon, Juriste assurance IARD, BPCE Assurances
Anthony Tyrode, Juriste d’affaires, DELFINGEN
Emma X, juriste dans le secteur de l’édition
Ines Farno, Juriste et DPO, IT Link.

Rédaction du village