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Témoignage d’avocats post-confinement (2) : vers quel usage du droit ?
Parution : jeudi 11 juin 2020
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Pendant le confinement, nous avons demandé à la communauté des juristes de témoigner de leurs conditions de travail durant cette période inédite et si particulière (A (re)lire ici). Au delà de ce qu’ils nous ont appris sur l’attachement des professionnels du droit à leur métier, ces témoignages sont venus également interroger le rapport que nous entretenons tous, collectivement et individuellement, au Droit.
Le confinement terminé, nous avons envie de continuer à explorer les transformations des métiers du droit, qui étaient déjà en cours et que la crise a précipité, et d’étudier comment celles-ci s’inscrivent dans notre société.

Xavier Berjot, avocat en droit social et fidèle auteur du Village de la Justice, nous livre ici avec clarté et franchise son ressenti.

Village de la Justice : Que pensez-vous de l’usage qui a été fait du droit durant cette période de confinement, de l’usage qui en est fait maintenant ?

"Le droit a été mouvant et bouleversé dans sa hiérarchie classique."

Xavier Berjot : « En tant qu’avocat depuis 20 ans, je n’avais jamais été confronté à une telle avalanche de textes sur une si courte période.
Depuis le mois de janvier 2020, les lois, ordonnances, décrets, arrêtés, etc., relatifs au Covid-19 se comptent par dizaines, voire par centaines. Bien entendu, ces textes embrassent tous les domaines du droit (pénal, famille, transports, social, etc.).
Dans la mesure où mon activité est entièrement dédiée au droit du travail, je me suis trouvé en première ligne face à cette déferlante juridique liée notamment à l’activité partielle, qui a considérablement mobilisé les avocats en droit du travail, les experts-comptables, les responsables de paie, etc.
Les arrêts de travail pour garde d’enfants ou personnes vulnérables ont également constitué des sujets importants.

Selon mon analyse, le droit a été à la fois mouvant et, en quelque sorte, bouleversé dans sa hiérarchie classique. Sur le premier point, le Gouvernement et les parlementaires ont été contraints de réadapter, au jour le jour, les règles juridiques en fonction de l’évolution de la crise. Sur le second point, la Covid-19 a vu apparaître ce que certains qualifient de « soft law ». A titre d’illustration, le Gouvernement a communiqué beaucoup d’informations sous forme de questions/réponses (les Q/R) n’ayant pas valeur de circulaires.
Les praticiens du droit s’interrogent légitimement sur l’appréciation que la jurisprudence fera de cette documentation juridique. Quelle valeur accorder à un Q/R, qui peut d’ailleurs contredire une circulaire ou un décret plus ancien ? Après le confinement, l’urgence juridique a fait place, selon moi, à davantage de réflexion dans l’édiction des normes. »

Quel est le ressenti de vos clients de l’état d’urgence (restriction de liberté, institutions fermées...) ?

"La crise sanitaire a fait basculer le lien professionnel vers le lien personnel."

« Tous mes clients employeurs ont été affectés par l’état d’urgence, mais de manière différente. Par exemple, j’accompagne beaucoup de restaurateurs et de cinémas qui ont – et continuent – d’être très inquiets par rapport à leur activité et à l’avenir de leurs salariés. Il s’agit de secteurs qui sont très pénalisés par la crise du Covid-19 car, par nécessité, leur clientèle se trouve placée dans une certaine promiscuité, à l’opposé de la distanciation sociale exigée par les autorités. D’autres de mes clients employeurs, notamment dans le secteur du bâtiment ou de l’action sociale, ont dû faire face à des défis d’ampleur pour reprendre leur activité dans un contexte dégradé. L’urgence a alors consisté à établir des plans de continuité d’activité afin de leur permettre de poursuivre leur métier en garantissant la sécurité de leur personnel. Enfin, j’assiste également des salariés, notamment à l’occasion de départs négociés. Il a donc fallu recourir à des dispositifs innovants comme la signature électronique. Au-delà de ces aspects purement professionnels, mes clients ont plutôt bien vécu le confinement à titre personnel et nous nous donnions régulièrement des nouvelles. La crise sanitaire a, d’une certaine manière, fait basculer le lien professionnel vers le lien personnel. »

Cette période que traverse la France, le Monde, a t-elle une incidence sur la façon dont vous allez mettre en oeuvre votre activité d’avocat à l’avenir ?

"La période actuelle m’invite à m’interroger davantage sur les mesures à adopter pour sécuriser mon activité professionnelle."

« Comme vous le savez, les avocats ont été très durement touchés par la crise sanitaire, laquelle a succédé à la grève sur les retraites. Bien évidemment, les avocats développant une activité principalement judiciaire en sont les premières victimes. Mon Cabinet a eu la chance de ne pas être affecté par la Covid-19, notamment parce que son activité est consacrée au droit social, qui a suscité de nombreuses demandes de la part de ses clients.

Par ailleurs, depuis plus d’un an, j’ai beaucoup digitalisé mon activité professionnelle, ce qui me permet de travailler à distance sans aucune difficulté.
La période actuelle m’invite à m’interroger davantage sur les mesures à adopter pour sécuriser mon activité professionnelle. C’est un travail que je mènerai collectivement avec mes Confrères ».

Propos recueillis par la Rédaction du Village de la Justice.
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