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L’indemnisation de la maladie de Parkinson révélée par un accident de la circulation. Par Brahim Lafoui, Étudiant.
Parution : mardi 9 juin 2020
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Les effets inévitables et irréversibles des syndromes neurodégénératifs sont inhérents à la structure nerveuse du patient et sont parfois attribués à l’hérédité génétique. En conséquence, il est difficilement concevable qu’ils puissent trouver leur origine substantielle dans l’acte d’un tiers susceptible d’engager sa responsabilité. Toutefois, à propos du syndrome parkinsonien, la Cour de cassation est venue nuancer cette affirmation, en démontrant que tout fait extérieur susceptible d’en favoriser la révélation peut donner droit à réparation pour la victime.

Dans les faits, une personne est victime d’un accident de la circulation à l’issue duquel elle a subi un traumatisme crânien bénin. Après une consultation médicale, une analyse a révélé l’existence et le développement d’un syndrome parkinsonien, jusque-là totalement indétectable chez le patient. L’expertise réalisée à cette occasion a finalement établi un lien entre le choc subi au moment de la collision avec le véhicule et l’apparition des premiers effets de la pathologie. La victime informée d’un tel diagnostic a assigné le conducteur responsable ainsi que son assureur de responsabilité civile automobile en réparation intégrale de son préjudice, constitué par le traumatisme crânien et la révélation du syndrome parkinsonien. Condamné par la Cour d’appel, l’assureur du conducteur responsable a formé un pourvoi en cassation pour contester l’inclusion des conséquences de la pathologie révélée par la collision avec le véhicule.

Cependant, le 20 mai 2020, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi, au motif que le droit à la réparation intégrale de son préjudice supposait l’indemnisation des conséquences de l’apparition de la maladie, qui a été favorisée par l’accident dans lequel son assuré était impliqué [1].

L’articulation entre le caractère inéluctable des effets de la maladie de Parkinson et l’implication du conducteur responsable.

Le problème de droit posé à la Cour de cassation consistait à déterminer si le conducteur responsable peut être tenu à la réparation des conséquences inéluctables d’une pathologie préexistante au sinistre, mais dont la révélation procède directement de l’accident de circulation.

Sur la question de la réparation de l’extériorisation d’une maladie préexistante au fait générateur, la solution ainsi rendue n’appelle pas à discussion particulière. En effet, il résulte d’une jurisprudence constante que les conséquences dommageables subis par la victime procédant d’une prédisposition pathologique sont indemnisables au titre du fait générateur dès lors que celui constitue la cause de leur survenance [2]. Cette règle est donc implicitement reprise et appliquée à l’accident en cause, et sera de surcroît consacrée par le futur projet de réforme de la responsabilité civile, dans le cadre d’un article 1268 du Code civil [3] (sous réserve de modification ultérieure).

Le facteur de complexité portait en réalité sur le caractère inéluctable des effets du syndrome préexistant, suscitant une hésitation quant à l’étendue du droit à réparation. En effet, les premiers symptômes de la pathologie tels que connus aujourd’hui se seraient certainement produits à l’avenir et ce, même si l’accident n’avait pas eu lieu. Il existait donc un doute quant à la plénitude du lien de causalité avec l’accident, puisque la certitude de leur survenance limitait l’influence que celui-ci pouvait avoir. A première lecture, ce raisonnement demeure convaincant dans la mesure où ces maux procèdent directement de la pathologie elle-même, et non du traumatisme résultant de la collision avec le véhicule.

Néanmoins, la Cour de cassation a pris soin d’écarter toute confusion sur la nature du lien de causalité qu’il fallait établir en l’espèce. Certes, elle ne conteste ni l’antériorité de ce syndrome par rapport à l’accident, ni le caractère inévitable de ses conséquences sur la victime. Cependant, la considération de ces éléments n’était pas pertinente compte-tenu du rapport d’expertise pour juger de l’étendue du droit à réparation de son préjudice. En effet, en se focalisant exclusivement sur leur inéluctabilité, l’analyse omettrait la possible influence de l’accident sur l’échéance prématurée de leur survenance. De fait, si le développement des symptômes en tant que tels était inévitable, la date de leur réalisation demeurait parfaitement aléatoire au moment des faits, d’autant que le caractère indétectable de la pathologie écartait vraisemblablement toute survenue imminente. Elle a ainsi affirmé que si les conséquences procèdent en elles-mêmes de la maladie, leur survenance imprévisible au moment des faits n’exclue pas qu’elle ait pu être favorisée, voire provoquée par une variable extérieure.

Le rôle déterminant du rapport d’expertise dans la preuve du lien de causalité.

Eu égard à ces constatations, la Cour de cassation a réorienté le débat en répondant à la question de savoir si la collision entre la victime et le véhicule a été la cause nécessaire et suffisante du réveil provoqué du syndrome préexistant. En l’espèce, le rapport d’expertise a répondu positivement à cette question.

A la lecture des conclusions de l’expert sollicité, la pathologie était indétectable avant la réalisation du sinistre, et il n’était pas rationnellement possible de se prononcer sur la date de survenance de ses symptômes. De surcroît, le rapport établissait que l’implication du véhicule du conducteur responsable a été analysée comme étant la cause certaine et exclusive du réveil prématuré de la maladie de Parkinson. Ce constat est cohérent dans la mesure où le siège de l’impact coïncide avec la zone de développement de la pathologie restée inactive avant l’incident. L’accident de circulation a donc été analysé comme étant non seulement à l’origine de sa révélation, mais aussi de l’apparition de ses premiers symptômes caractéristiques (tremblements, sentiment de décharges électriques musculaires). Sans se borner à la seule concomitance entre sa révélation et l’accident, l’expert a effectivement caractérisé le rôle causal qu’a joué la collision avec le crâne de la victime dans sa détection et dans l’apparition des premiers effets. Ainsi, il n’y avait pas lieu d’écarter de l’étendue du préjudice indemnisable les conséquences pécuniaires liées au développement de la pathologie, au nom du principe de réparation intégrale du préjudice.

Ce raisonnement démontre la pertinence de la théorie de l’équivalence des conditions qui, à l’appui du rapport d’expertise, permet de surpasser l’ambiguïté possible du fait du caractère inéluctable de la maladie. La collision avec le véhicule ayant été une condition nécessaire du dommage (l’extériorisation prématurée du syndrome de Parkinson), elle en est devenue sa cause juridique justifiant le droit à réparation intégrale. La Cour de cassation démontre ainsi que le caractère inéluctable des effets d’une pathologie préexistante n’empêche pas que leur survenance puisse être provoquée par le fait générateur, de sorte que la caractérisation d’un lien de causalité demeure possible.

L’influence de la révélation de la maladie de Parkinson sur les modalités de réparation du préjudice corporel.

Sur le plan pratique, sa prise en compte dans la réparation intégrale du préjudice a également une incidence sur la durée de règlement d’une part, et sur le montant de l’indemnité d’autre part. Sur ces deux aspects, la charge pécuniaire sera a priori supportée par l’assureur répondant des conséquences de l’implication de son assuré.

D’une part, la réparation des conséquences d’un syndrome préexistant au sinistre est un facteur d’allongement du délai de règlement de l’indemnité compensatrice. En effet, comme le prévoit l’arrêt, elles constituent des dommages indemnisables supplémentaires à considérer lorsque leur révélation procède de l’implication du tiers responsable. Ainsi, dans le cadre d’une couverture d’assurance, l’assureur de responsabilité civile contre qui un recours direct est intenté dans une hypothèse analogue est contraint d’opérer un provisionnement pour sinistre à payer qui doit tenir compte de ces nouveaux postes de préjudices éventuels. Or, celui-ci est placé dans une véritable position d’incertitude dans la mesure où au stade de la déclaration, il ne détient aucune information sur l’état de santé du tiers, sur le degré de gravité de la maladie l’affectant ou encore sur sa corrélation avec le fait garanti. De fait, à court terme, l’assureur est dans l’impossibilité de se projeter précisément sur l’étendue définitive du préjudice à indemniser. La liquidation de son montant n’interviendra alors qu’après la réalisation d’une expertise, qui peut notamment être sollicitée dans le cadre d’une instance judiciaire. Au regard des nombreuses diligences nécessaires à la détermination de l’indemnité définitive, le délai d’indemnisation de la victime est susceptible de s’allonger en conséquence.

D’autre part, l’indemnisation de la survenance prématurée des symptômes de la pathologie neurodégénérative a pour effet d’alourdir considérablement la charge indemnitaire totale. Dans cette hypothèse, l’évaluation provisionnelle initiale de l’indemnité risque d’être sous-évaluée compte-tenu de l’écart différentiel avec le montant réel. C’est d’ailleurs la problématique que suggère les faits d’espèce de l’arrêt et qui explique le pourvoi formé par l’assureur assigné. Initialement, le diagnostic s’était limité aux dommages corporels procédant directement de la collision avec le véhicule, à savoir le traumatisme crânien qualifié de bénin. Mais en intégrant les suites du développement du syndrome parkinsonien révélé à la suite de l’accident, le montant de la réparation intégrale du préjudice a été revu à la hausse de manière significative (voire de manière disproportionnée). En effet, son développement implique d’en supporter les conséquences dommageables irréversibles dont l’importance ne fait que croître au fur et à mesure de son évolution. Ainsi, la réparation des conséquences d’un syndrome neurodégénératif préexistant imputable à l’accident peut complétement modifier l’étendue du préjudice, qui pourrait paraître acceptable à court terme en raison de dommages directs prévisibles, mais susceptible de devenir insupportable dès la révélation de ses symptômes.

Pour conclure, la solution rendue impose de ne pas se limiter à la fatalité de l’évolution des pathologies neurodégénératives en matière de réparation du dommage corporel. Elle démontre ainsi qu’il est possible d’en indemniser les conséquences inéluctables dès lors que la cause de leur survenance prématurée est imputable à un fait juridique. Leur admission implique dès lors une réparation intégrale du préjudice très favorable à la victime lésée, mais en contrepartie de modalités d’indemnisation plus lourdes qui devront être supportées par le tiers responsable (ou par son assureur le cas échéant).

Brahim Lafoui Étudiant à l'Institut des Assurances de Paris-Dauphine

[1Cass., Civ. 2e, 20 mai 2020 n°18-24.095.

[2A titre d’exemple : Cass., Civ. 2e, 8 juillet 2010 (09-67.592) – Application de la règle à des douleurs chroniques apparues en rapport avec une névrose hystérique dont l’origine remontait à l’enfance.

[3L’article 1268 du projet de réforme de la responsabilité civile – « Les préjudices doivent être appréciés sans qu’il soit tenu compte d’éventuelles prédispositions de la victime lorsque l’affection qui en est issue n’a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable. »

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