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Atterrissage forcé pour les drones de la préfecture de police. Par Myriam Adjerad, Avocat.
Parution : mardi 2 juin 2020
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(Conseil d’Etat, ordonnance du 18 mai 2020, n° 440442 et 440445)
L’idée séduisante d’utiliser des drones pour doter les forces de l’ordre d’un nouvel outil de surveillance de l’espace public pour faire respecter les règles du confinement puis celles du déconfinement, s’est imposée dans de nombreuses localités. Cet outil est effectivement particulièrement efficace, peu onéreux, d’une utilisation simple, et a même pu incarner une certaine forme de volontarisme politique. La préfecture de police de Paris avait ainsi mis en place, une mesure de surveillance par drones.
Toutefois, comme souvent en matière de libertés publiques et de contrôle social, l’innovation doit passer sous les fourches caudines du droit. Deux associations, la Ligue des Droits de l’Homme et la Quadrature du Net, défendant pour l’une, les droits de l’Homme et du citoyen, pour l’autre, les libertés fondamentales dans l’environnement numérique, étaient à l’origine du recours contre cette surveillance.

En première instance, leur requête avait été rejetée. En appel, le Conseil d’Etat, statuant en référé-liberté, a ordonné la cessation immédiate de la surveillance par drones du respect des règles sanitaires liées au déconfinement.
Le conseil d’Etat rappelle que si l’objectif poursuivi était légitime, le champ de la collecte de données personnelles doit être apprécié très largement et impose dès lors nécessairement une base réglementaire spécifique et une saisine de la CNIL.

I - Rappel du cadre du référé-liberté.

Saisi d’une demande urgente, « le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale » (article L. 521-2 du Code de justice administrative).

Plusieurs éléments doivent être identifiés par le juge :
- L’urgence ;
- Une liberté fondamentale ;
- L’atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté.

Dans l’affirmative, le juge ordonne toutes mesures pour faire cesser l’atteinte grave et manifestement illégale aux libertés en cause. Il est ainsi le garant de la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis.

Sur ce fondement, le Conseil d’Etat a ordonné la cessation immédiate de la surveillance du confinement et du déconfinement réalisée par la préfecture de police de Paris à l’aide de drones.

II - Motivation du Juge.

Pendant la période d’état d’urgence sanitaire, les autorités peuvent prendre des mesures de nature à prévenir ou limiter les effets de l’épidémie, pour sauvegarder la santé de la population.

Seules les atteintes nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique poursuivi peuvent être portées aux droits et libertés fondamentaux.

Pour le Conseil d’Etat, la finalité poursuivie par l’usage des drones était légitime : « informer l’état-major de la préfecture de police afin que puisse être décidé, en temps utile, le déploiement d’une unité d’intervention sur place chargée de procéder à la dispersion du rassemblement en cause ou à l’évacuation de lieux fermés au public afin de faire cesser ou de prévenir le trouble à l’ordre public que constitue la méconnaissance des règles de sécurité sanitaire ».

Bien que légitime, cela ne suffit pas à ôter la nature de traitement de données personnelles, et l’exigence de garanties suffisantes.

- (1) A quels droits et libertés fondamentaux était-il porté atteinte en l’espèce ?
Le droit au respect de la vie privée, comprenant le droit à la protection des données personnelles et la liberté d’aller et venir.

- (2) Y avait-il urgence ?
Le Conseil d’Etat a considéré que oui ; du fait du nombre de personnes susceptibles d’être concernées, de la fréquence et du caractère répété des mesures de surveillance en cause.

- (3) L’atteinte au droit au respect de la vie privée était-elle grave et manifestement illégale ?
Là encore, le Conseil d’Etat répond par l’affirmative.

Contrairement aux affirmations de la préfecture de police, les drones mis en place pour surveiller le respect des mesures de confinement et de déconfinement, collectaient des données permettant d’identifier des personnes, vu la présence d’un zoom optique et la hauteur de vol.

Ainsi, les drones constituaient un traitement de données personnelles, devant répondre aux exigences de la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978 et de la directive du 27 avril 2016.

Faute de dispositif technique permettant de s’assurer que les données collectées ne pouvaient conduire à l’identification des personnes filmées, une atteinte grave et manifestement illégale était portée au droit au respect de la vie privée.

Les trois conditions du référé-liberté réunies, le Conseil d’Etat a ordonné l’arrêt de l’utilisation de drones aux fins de surveillance.

L’illégalité de ce dispositif ne saurait être effacée que par l’utilisation d’un dispositif rendant impossible l’identification des personnes ou par un texte réglementaire pris après avis de la CNIL.

La CNIL qui n’a pour l’heure pas statué, « prendra position sur cette question à l’issue des procédures de contrôles en cours » (Communiqué CNIL, 18 mai 2020, Suspension de l’utilisation des drones pour contrôler le déconfinement à Paris par le Conseil d’Etat : les contrôles de la CNIL).

Myriam ADJERAD, Avocat ADJERAD AVOCATS, Avocats au Barreau de Lyon [->contact@adjeradavocats.fr] https://fr.linkedin.com/in/myriam-adjerad-473903121