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Contrat à taux variable indexé sur le LIBOR ou l’EURIBOR. Par Florian Desbos, Avocat.
Parution : lundi 1er juin 2020
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La Cour de cassation (Cour de cassation, 1ere chambre civile, 25 mars 2020, 18-23.803) a été amené a statuer pour la première fois sur les conséquences de l’application du LIBOR ou de l’EURIBOR négatif dans les contrats de prêt à taux variable indexés sur cet indice
Néanmoins de nombreuses questions restent en suspens.

Les ordonnances COVID du 25 mars 2020 ont éclipsé un arrêt important rendu le même jour par la Cour de cassation dans le domaine du droit bancaire, concernant les prêts à taux variables indexés sur le LIBOR ou l’EURIBOR.

La problématique est la suivante : le LIBOR et l’EURIBOR sont négatifs depuis 2015. Les Banques n’ont souvent pas envisagé cette éventualité dans leur contrat de prêt à taux variable en ne prévoyant pas de taux capé (balisé) à la baisse.

Cependant, de façon unilatérale, elles appliquent un taux capé à la baisse au montant du taux de base. Elles prétendent qu’il s’agit là de leur marge qui ne pourrait être réduite.

Ainsi, par exemple, au lieu d’appliquer un taux de 1,20 %, elles appliquent un taux de 1,80 %, ce qui sur l’ensemble des contrats de prêt constitue pour elles une économie substantielle.

La jurisprudence en ce domaine est récente. Tout d’abord, par cinq arrêts de la Cour d’appel de COLMAR en date du 8 mars 2017 (n° 16/00307, 16/00307, 16/00310, 16/00311 et 16/00312), il a été jugé, par des motifs particulièrement complets, sur le fondement de l’imprévision du contrat, « qu’ en refusant d’appliquer l’index contractuel, et en y substituant un autre index qu’elle fixe unilatéralement en fonction de ses considérations, et intérêts propres, la banque modifie unilatéralement les clauses du contrat ; ce qui est légalement impossible ».

Par trois décisions en date du 20 septembre 2018 (n°16/022668, 16/02667, 16/02665) la Cour d’appel de Chambéry a adopté le même raisonnement. Elle indique tout à fait justement que « les organismes de crédit ont si souvent, dès lors qu’un contentieux nait, le souci de défendre l’opposabilité des conditions particulières et générales, qu’ils ont imposés à leurs cocontractants, qu’il est difficile de concevoir qu’ils se défendent de l’application de ces mêmes stipulations dès lors qu’elles se révèlent à leur détriment ».

La Cour d’appel de Chambéry considère ainsi que non seulement la marge ne constitue pas le taux plancher, mais que le taux peut être négatif, entraînant un remboursement par la Banque. Elle précise ainsi que « la disparition du caractère onéreux du contrat de prêt dont se prévaut la Banque est un moyen tout aussi inopérant d’une part parce qu’il est fondé sur les dispositions du code civile, qui sont supplétives de l’autonomie de la volonté qui préside à la conclusion des contrats et d’autre part et surtout parce que le caractère onéreux ou non du prêt consenti à Madame Anais X et à Monsieur Jean François Y ne peut s’apprécier que sur toute la durée du contrat, soit les vingt cinq années imparties aux emprunteurs pour rembourser la capital emprunté et payer les intérêts ».

Peu de temps avant, la Cour d’appel de Besançon avait rendu un arrêt allant dans le même sens. (Cour d’appel de Besançon, 10 juillet 2018, n°17/01227).

La Cour d’appel considère que « les deux prêts étant stipulés à un taux d’intérêt initial, l’un de 2,15 % et l’autre de 1,80 % l’an, variable à la hausse comme à la baisse, les parties se sont accordés pour que ces intérêts soient à la charge de l’emprunteur et non du prêteur.

Pour autant aucune stipulation ne fait référence à une marge de la banque telle que la revendique actuellement la Caisse qui en réalité, viderait de tout sens la clause d’indexation du taux d’intérêt sur le LIBOR 3.

En fait, la Caisse, en proposant cette variation et les emprunteurs en y souscrivant, ont accepté le risque inhérent à ladite variation.

Dès lors, le respect des contrats litigieux impose que, pour les deux prêts, soit appliqué un taux d’intérêt suivant l’évolution du taux LIBOR 3 à sa valeur réelle pouvant conduire à des intérêts mensuellement négatifs à condition, toutefois, que sur l’ensemble du remboursement de chaque prêt les intérêts dus au prêteur ne soit pas intérieurs à 0% ».

Il a été formé un pourvoi à l’encontre de cet arrêt.

La question essentielle du pourvoi portait sur la possibilité ou non que l’application de l’index aboutisse à un taux d’intérêt négatif, et donc à un remboursement par le prêteur.

Plus précisément il s’agissait de déterminer si ce taux pouvait être négatif mensuellement ou sur la période d’échéance choisie.

A priori rien ne s’y oppose, les règles du Code civil prévoyant le caractère onéreux du contrat de prêt étant, ainsi que l’a précisé la Cour d’appel de Chambéry, supplétive de volonté.

Par ailleurs, le prêt n’est pas un contrat à exécution successive. Le prêt est un contrat instantané dont les échéances ne sont que le fractionnement d’une obligation unique de remboursement (en ce sens Cour de cassation, 1ère chambre civile, 5 juillet 2006, pourvoi n°05-10.982).

Dès lors, le caractère onéreux doit s’apprécier sur toute la vie du prêt, plus précisément sur l’obligation unique de remboursement, et ne doit pas tenir compte des modalités de remboursement choisies.

La Cour de cassation néanmoins ne suit pas ce raisonnement. Elle considère que le taux ne peut pas être mensuellement négatif sur la période choisie, sauf à ce que les parties aient entendu expressément déroger aux dispositions du Code civil (ce qui en pratique n’arrivera jamais).

La référence est donc l’échéance, et non la vie du prêt.

Cela ne remet pas en cause néanmoins le fait que si le taux d’intérêt n’est pas négatif les banques ne doivent pas « capé » le taux d’intérêt à la baisse.

Reste plusieurs questions qui feront sans doute l’objet de jurisprudences à venir (au moins devant la Cour d’appel de LYON, celle-ci étant saisie de ces arguments).

Tout d’abord, doit-il être considéré que le fait de caper à la baisse le taux, alors même que ceci n’est pas contractuellement prévu, et que la jurisprudence est constante depuis 2017, constitue une inexécution contractuelle susceptible de justifier la résolution du contrat ainsi que des dommages et intérêts ?

La réponse doit être positive.

En effet, les Banques appliquent sciemment un taux qui n’est pas celui prévu. Le raisonnement consistant à caper le taux à hauteur de leur marge n’est pas sérieux et fait obstacle à toutes les règles contractuelles.

Il s’agit d’une inexécution contractuelle grave, réalisée sciemment, susceptible de justifier la résolution du contrat.

Par ailleurs, l’article 1907 du Code civil dispose que le taux d’intérêt doit être fixé par écrit. Appliquer un taux d’intérêt différent que le taux contractuellement prévu déroge à cette disposition. C’est exactement le même raisonnement que celui appliqué pour l’année lombarde. La différence est supérieure à la décimale et il doit, par conséquent, en l’absence d’un taux fixé par écrit, être appliqué le taux légal.

Les Banques doivent être sanctionnées, et la sanction doit aller au-delà d’une simple restitution du trop-perçu et d’un modeste article 700.

A défaut, sur le nombre de contrats, mis en parallèle avec le nombre de contentieux, les Banques n’ont aucun intérêt à respecter les contrats conclues.

La jurisprudence sur l’année lombarde a porté un coup sévère à la protection des emprunteurs et il est important aussi que leurs intérêts soient pris en compte par les juridictions.

Florian DESBOS Avocat au Barreau de LYON www.avocats-desbosbarou.fr
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