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L’élevage des NAC d’espèce domestique,une zone de non droit ? Par Agnès Maatoug, Juriste.
Parution : mardi 26 mai 2020
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Avec 63 millions d’animaux de compagnie en France, et un intérêt accru de l’opinion publique pour le bien-être animal, le législateur s’intéresse de plus en plus au sort de ces êtres vivants, reconnus comme doués de sensibilité par l’article 515-14 du Code civil, mais qui restent néanmoins soumis au régime des biens, sous réserve des lois qui les protègent.
Le législateur n’avait toutefois pas attendu cette réforme de 2015 pour organiser un régime particulier encadrant la vente de ces "meubles" un peu particuliers, ou encore leurs conditions de détention dans les élevages où ils sont produits. Néanmoins, des lacunes subsistent, notamment en ce qui concerne l’élevage des NAC (Nouveaux Animaux de Compagnie) d’espèces domestiques. Peut-être que la mission gouvernementale pour améliorer la condition animale, dont les travaux s’achèvent bientôt, permettra de combler ce quasi vide juridique.

Fin 2018, l’affaire d’un élevage-usine de NAC situé à Lapte en Haute-Loire, avait fait grand bruit dans le monde de la protection animale.

Une soixante d’associations avaient dû se mobiliser en urgence, afin de prendre en charge environ 2 500 petits mammifères (lapins, cochons d’inde, gerbilles, rats, souris, hamsters, octodons), qui avaient été laissés à l’abandon, suite à la mise en examen du propriétaire des lieux pour le meurtre de son ex-compagne.

Sur place, les services vétérinaires et les associations n’avaient pu que constater l’horreur des conditions dans lesquelles étaient détenus ces animaux destinés à la vente en animalerie.

Tous vivaient dans un bâtiment composé d’immenses allées, entassés dans des cages exiguës, posées les unes sur les autres jusqu’au plafond. Plusieurs animaux avaient bien entendu été retrouvés morts, dans cet « élevage » où les soins étaient réduits au minimum et dont le seul objectif était la rentabilité.

Une question se pose donc, dans un pays où plusieurs lois de protection animale existent et où l’animal domestique s’est vu reconnaître, en 2015, le statut d’être vivant doué de sensibilité, comment a-t-on pu en arriver à une telle situation ? La réglementation encadrant l’élevage des NAC est-elle suffisamment contraignante pour empêcher ce type de dérives ? Prend-elle suffisamment en compte le statut d’être sensible reconnu à l’animal ?

Si l’on étudie la réglementation applicable à l’élevage de NAC appartenant à des espèces domestiques, (dont la liste est fixée par un arrêté du 11 août 2006), force est de constater qu’elle est extrêmement lapidaire et peu adaptée aux besoins spécifiques de ces espèces. En effet, à l’instar de toutes les activités professionnelles en lien avec des animaux de compagnie, l’élevage des NAC d’espèces domestiques, est soumis au respect des dispositions de la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie du 13 novembre 1987, signée par la France en 1996 et ratifiée en 2004, ainsi qu’à l’arrêté du 25 octobre 1982 relatif à l’élevage, à la garde et à la détention des animaux.

Ces textes sont assez généraux et prescrivent pour l’essentiel des mesures permettant de maintenir les animaux en bon état de santé et d’entretien (par la mise à disposition d’ une nourriture suffisamment équilibrée et abondante, d’une réserve d’eau fraîche fréquemment renouvelée et protégée du gel en hiver dans un récipient maintenu propre, l’interdiction de les enfermer dans des conditions incompatibles avec leurs nécessités physiologiques et notamment dans un local sans aération ou sans lumière ou insuffisamment chauffé), ou encore en s’abstenant de causer des souffrances évitables, ni aucun effet néfaste sur la santé.

Ces règles sont donc sujettes à interprétation et aucune précision n’est donnée en annexe comme cela peut être le cas pour les chiens par exemple, pour lesquels une liste exhaustive a été établie.

Il paraît toutefois surprenant qu’aucun texte particulier ne concerne l’élevage des NAC d’espèces domestiques qui comptent parmi les animaux les plus vendus par les animaleries, et ce alors même que les activités de transit et de vente sont réglementées.

De plus, un texte spécifique existe pour les NAC d’espèces non domestiques à savoir l’arrêté du 8 octobre 2018 fixant les règles générales de détention d’animaux d’espèces non domestiques.

Il est vrai que les risques que représente la détention de tels animaux nécessite une réglementation stricte, tout comme l’exigence d’assurer leur bien-être.

En outre, l’élevage de NAC d’espèces non domestiques, tout comme l’élevage de chiens et de chats, requiert un certain nombre de formalités et de déclarations préalables. Or, concernant l’élevage de NAC domestiques, aussi surprenant que cela puisse paraître, eu égard notamment à la grandeur que peuvent revêtir certains bâtiments et les conséquences en termes d’hygiène qui en découlent, il ne semblerait qu’il n’existe aucune formalité à accomplir en dehors de la déclaration en tant que profession agricole), ne serait-ce même qu’une déclaration au titre des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE).

Attention toutefois, il est intéressant de noter que le 14 novembre 2019, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation a publié un article intitulé « Le bien-être et la protection des NAC (Nouveaux Animaux de Compagnie) », dans lequel sont mentionnées les règles encadrant l’élevage, la détention et la garde des NAC. Concernant les NAC d’espèce domestique, il est fait référence, concernant les élevages, à l’arrêté du 3 avril 2014 fixant les règles sanitaires et de protection animale auxquelles doivent satisfaire les activités liées aux animaux de compagnie d’espèces domestiques relevant du IV de l’article L214-6 du Code rural et de la pêche maritime.

Cette publication est assez surprenante car si l’on s’en tient à la lettre du texte, il ne s’applique pas aux élevages de NAC d’espèces domestiques, puisque « les activités liées aux animaux de compagnie d’espèces domestiques relevant du IV de l’article L214-6 du Code rural et de la pêche maritime » se limitent à « la cession à titre onéreux d’un animal de compagnie sans détenir la femelle reproductrice dont il est issu ».

D’ailleurs, le formulaire CERFA permettant de déclarer l’activité en lien avec des animaux d’espèces domestiques ne permet pas de déclarer une activité autre que l’élevage de chiens et chats ou la vente et l’exposition au public d’animaux d’espèces domestiques...

En conclusion, il apparaît qu’il existe une sorte de vide juridique concernant l’élevage de NAC d’espèces domestiques, ou à tout le moins une réglementation insuffisante qui ne prend absolument pas en compte les besoins de ces animaux.

Espérons que le gouvernement se penchera sur le sort de ces animaux qui, malgré leur forte présence dans les foyers français, souffrent énormément de leurs conditions de vie dans les animaleries mais aussi et surtout dans ces élevages dont on peut constater régulièrement les dérives.

Agnès Maatoug Juriste
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