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Les allégations d’appartenance à des groupes extrémistes religieux, portée étymologique et juridique. Par Samir Hamroun, Avocat.
Parution : lundi 25 mai 2020
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Dans le cadre de la poursuite des infractions diffamantes et injurieuses, le schéma traditionnel de qualification juridique des faits soumis à un tribunal, entraîne le juge dans une réflexion particulière et étymologique. Dans ce sens, la compréhension des mots et de leur origine est obligatoire pour entraîner une sanction.

Le contexte très actuel des injures à caractère racistes, notamment dans le cadre de la religion musulmane, pousse, magistrats et avocats à sans cesse s’imprégner du sens des accusations qu’ils doivent, soit qualifier soit recontextualiser.

Il existe une différence très importante entre la définition des mots que la société emploie dans son acception courante et la qualification que leur donne le Droit.

Pour qualifier juridiquement les infractions dites de la parole, le Code pénal doit d’abord donner une portée étymologique aux mots. Dans ce cadre, le juge va confronter des situations factuelles concrètes pour les faire entrer dans la sphère pénale. « Opération intellectuelle par laquelle le juge confronte une situation concrète aux prévisions abstraite de la loi » (Droit pénal général-Emmanuel Dreyer).

Il revient donc au juge pénal de comprendre en amont l’étymologie du mot pour le qualifier d’injure ou de diffamation.

Les textes de loi pénalisant les propos diffamants sont pourtant limpides : L’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 : 

« Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.
Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure
 ».

L’injure quant à elle se distingue selon qu’elle est commise en public ou dans le cadre privé, la sanction est plus ou moins lourde. Vous encourez une amende de 38 euros (contravention de 1re classe) pour une diffamation ou une injure proférées en privé (par exemple, à votre domicile) [1]. La condamnation est plus grave si l’infraction est commise envers une personne à raison de son origine raciale ou de son appartenance à une religion : 750 euros d’amende.

C’est sur la base de ces deux dispositions, notamment, que le juge pénal va condamner les auteurs poursuivis pour ces infractions.

Mais spécifiquement à la diffamation et l’injure, le juge devra se plonger dans le sens même des propos mais également de leur contexte.

Insulter un individu d’« aristocrate décadent » a été considéré comme une injure. Avant cela, le juge a du s’intéresser sur la définition précise de « décadent », mais également du contexte de la noblesse et de l’impact de ce type de propos [2].

Cette notion de contexte n’est pas à prendre à la légère puisqu’elle est instaurée par la jurisprudence [3] ou dans une autre espèce dans laquelle la communauté juive était attaquée [4]. Pour aller plus loin, V. Rapport Monsieur Gueudet.

Ces dernières années, certaines manifestations dévoyées, extrémistes et non-représentatives de l’islam, font couler le sang et l’encre.

Certains experts considèrent que les attentats ignobles perpétrés par Mohamed Merah en 2012 sont le point de départ de la pléthore de débats qui traversent la société française concernant l’Islam. Historiquement c’est une erreur, car ce débat est alimenté, à moindre échelle, depuis les attentats du RER B à Saint Michel en 1995 et commandités par Khaled Kelkal.

La société a commencé à découvrir les termes précisés ci-dessus par des actions violentes au nom de cette religion. Il est très important d’expliquer et de rappeler la véritable étymologie de ces termes qui sont considérés par la jurisprudence comme des injures et pour d’autres de la diffamation.

Nous précisions à titre liminaire qu’il nous semble important de nous appuyer sur des définitions objectives de l’académie française et du Larousse plutôt que sur les travaux d’auteurs autos proclamés spécialistes de l’islam mais qui n’ont qu’un avis systématiquement négatif quant aux problématiques relatives à l’islam.

I-Le véritable sens des termes relatifs à l’islam et la délicate problématique de la sanction pénale.

-Salafiste : Ce terme désigne en France un courant rigoriste voir extrémiste qui aurait pour vocation l’application de l’islam originel, celui de la révélation.

C’est en réalité une définition superfétatoire et utilisée en totale méconnaissance de la réalité. Le terme de salafi est la traduction arabe de « prédécesseur ». Ces prédécesseurs désignent « Le Prophète de l’islam, ses compagnons « sahabas » et leurs successeurs.

Dans l’esprit courant le raccourci est donc tout fait. Les barbares terroristes de Daesh, tous barbus, cheveux longs et arborants le drapeau noir, imiteraient ces prédécesseurs. Les talibans hirsutes hurlant « Allah ou Akbar » « mort à l’Amérique » avec une Kalashnikov à la main, seraient à l’image prophétique.

Les irresponsables en France qui vont faire leur prière en empiétant sur l’espace public puiseraient également leur source dans la « Sunna » autrement dit « la tradition prophétique ». Les extrémistes qui ont détruit les statuts millénaires de Bouddha ont été présentés par certains médias comme puisant leur doctrine aux origines de l’islam…Bien évidemment l’ensemble de ces exemples ne sont en rien représentatif de l’islam mais le fait d’une infirme minorité.

Il découle de nombreux ouvrages islamiques classiques que l’ensemble de ces comportements sont condamnés, interdits et contredisants tous les préceptes des premiers musulmans.

C’est ainsi que des données historiques contredisent cette assertion. Les musulmans originels sont présents depuis plus de 1 400 ans sur des sites historiques sans jamais porter atteinte aux monuments sur place. Les pyramides et le Sphinx sont toujours debout alors que la première génération des compagnons est présente en Egypte depuis 640 après J-C et sous le commandement de Amr Ibn al As désigné par le Calife Omar (2ème successeur du Prophète).

Cette digression historique permet de constater qu’il existe un abysse entre le texte religieux et la génération de musulman actuelle.

Sur le plan judiciaire, la jurisprudence est totalement muette sur la qualification à donner à l’expression salafiste. Il est particulièrement incontestable que c’est un terme péjoratif qui courroucera n’importe quelle personne de confession musulmane, dès lors que l’image de salafiste renvoie à des comportements violents, marginaux et contraires à l’ordre public parfois.

Le droit interne semble donc démuni sur ce point. Il faut se tourner vers la Cour européenne des Droits de l’homme pour constater une première esquisse d’une qualification juridique du mot salafiste. Dans un arrêt Belkacem c/ Belgique [5]. La Cour EDH a estimé que la Belgique n’avait pas violée les droits fondamentaux d’un individu qui diffusait des vidéos à caractère salafiste et qui appelaient à dominer les non-musulmans. Son appartenance salafiste était reconnue alors qu’en étudiant précisément ce cas, il s’agissait en réalité d’un groupuscule terroriste et non pas simplement salafiste mais bien « takfiriste » (pour aller plus loin voir les arrêts rendus par la Cour d’appel de Bruxelles dans le procès du groupe Sharia3 for Belgium).

-Takfirisme : Beaucoup de commentateurs et personnalités politiques devraient s’inspirer de la définition de ce groupe.

Lorsque l’on entend à tours de bras qu’untel est un islamiste, un salafiste un frère musulman ou un fondamentaliste, il faut bien comprendre que chacune de ces catégories ou groupes ont une histoire et une idéologie différente. De sorte que lorsque l’on veut qualifier un acte terroriste ou bien une revendication religieuse, les amateurs du buzz diront : « ce sont des islamistes qui ont perpétré tel attentat » « la mort de telle personne est due à des salafistes ou bien les frères musulmans ont pour but d’instaurer la charia ».

Or, les takfiristes sont la cause principale de tous les désordres perpétrés au nom de l’islam. Il s’agit d’un groupe idéologique qui revendique que l’islam a pour vocation l’extermination des noms musulmans et des musulmans en désaccord avec eux. Ils pensent que le musulman peut voler et tuer le non musulman. Le musulman modéré pratiquant et respectant l’environnement social français est considéré comme un apostat, traitre à l’islam, qui mérite un châtiment plus dur que celui des non musulmans. Nous pouvons donc tirer deux enseignements :
- Contrairement aux élucubrations de certains journalistes, il n’existe pas un seul islam qui serait par essence takfiriste puisque les musulmans sont les premières victimes du terrorisme ;
- Le Juge pénal a toute latitude pour sanctionner toute revendication au groupe takfiriste ou tous propos ou comportement qui s’apparentent à ce groupe terroriste. A ce jour, la loi dispose de toutes les armes pour sanctionner ce type d’appartenance ou d’adhérence [6].

Historiquement, les takfiristes sont les héritiers d’un groupe appelé les « Kharijtes », les sortants, qui refusèrent de se rallier aux Califes Ali et Muawiya suite à une médiation entre les musulmans. Ils apparaitront à chaque périodes troubles de cette religion. Ils furent les précurseurs du terrorisme international et se sont attaqués aux compagnons du Prophète de l’islam en tuant le 3ème Calife Othman et le 4ème Ali également gendre du Prophète.

-Islamisme : Ce terme est celui qui pose le plus de difficulté quant à sa qualification juridique.

Le dictionnaire Larousse le définit comme : « le mouvement religieux conservateur ayant pour but d’instaurer les lois appliquées à l’avènement de l’islam pour créer une société islamique et religieuse ». Ici, les victimes des accusations d’appartenance à l’islamisme sont plus démunies que les autres.

Il faut s’interroger tout d’abord, sur la question de savoir si la loi ou la jurisprudence distinguent les attributs d’une appartenance à l’islamisme ? Evidemment non ! La classe politique et les journalistes utilisent ce terme dès qu’une pratique religieuse leur semble contraire aux valeurs de la République mais la encore ils sombrent dans une subjectivisation de leur appréciation des choses et face à un raisonnement purement légaliste ou juridique, ils se réfugient vers la fameuse notion de civilisation française.

Dans tous les cas, il est impérieux de rappeler avec force, qu’une victime de ce type d’accusation aura tout intérêt à démonter une seule chose simple, claire et nette, que sa pratique religieuse n’est absolument pas dangereuse et ne trouble pas l’ordre public ou la tranquillité publique.

Jamais la Loi française ne pourra ériger en infraction une croyance dès lors qu’elle ne manifeste aucun trouble à l’ordre public. C’est ainsi qu’une femme musulmane traitée d’islamiste par le simple fait de porter un voile, un jilbab ou un hijab devra déposer plainte pour injure ou diffamation selon le contexte rappelé ci-dessus.

Un homme arborant une barbe ou se rendant quotidiennement dans un lieu de culte ne pourra supporter d’être qualifié d’islamiste, de salafiste ou même de fondamentaliste. Sous cet aspect, être désigné d’islamiste ne pourrait être autre chose qu’une injure.

-Djihadisme : Ce terme posera moins de difficultés au juge qui devra s’interroger sur sa portée calomniatrice ou diffamante.

Le djihad se définit étymologiquement comme « l’effort », « la lutte ». Cette expression s’est inscrite dans le vocabulaire guerrier de la bouche même des premiers musulmans au VI siècle. Avant l’avènement de l’islam, les arabes du Hijaz-Arabie actuelle- parlaient du combat armé en utilisant le terme de « Harb », la guerre.

Le mot Djihad est initialement utilisé et popularisé par le Prophète de l’islam dans un contexte de « combat défensif » lorsque son clan les « Quraychites » le poursuivirent de la Mecque à Médine refusant la propagation d’une religion monothéiste. Ils l’attaquèrent lors de la célèbre bataille du puit de Badr près de Médine. Il appela donc au Djihad pour défendre les musulmans ayant émigrés à Médine.

Ce terme est donc indiscutablement guerrier. Le fait d’appeler à tuer, blesser, emprisonner des gens au nom de l’islam peut aisément entrer dans la définition d’un djihadiste. Là aussi la situation sera plus délicate pour la prétendue victime de cette calomnie.

Si un individu est accusé de djihadisme, c’est forcément qu’un élément matériel existe pour donner foi à ces propos, un support audio ou vidéo faisant l’apologie d’un acte de terrorisme ou de propos violents, le soutien, même moral, à une organisation terroriste, l’appel à prendre des armes au nom d’une conviction religieuse… L’accusateur d’un de ces méfaits prouvera qu’il est véridique dans son accusation et ne pourra être condamné pour diffamation.

Rajoutez à cela que l’article 421-2-5 du Code pénal condamne à une peine d’emprisonnement de 5 années l’auteur de l’apologie d’un acte terroriste. A l’inverse, le Tribunal répressif sollicitera obligatoirement de l’accusateur qu’il justifie ses propos, ce qui ramène ce type de situation à des raisonnements juridiques plus classiques.

II-Les conséquences judiciaires de l’imprécision de la loi et de l’hystérisation du débat.

Il n’est pas vain de rappeler que les injures à caractère publique ou non publiques sont réprimées par les articles 29, alinéa 2, et 33, alinéa 4, de la loi du 29 juillet 1981 et 23, alinéa 1, 24, alinéas 6 et 7, de la même loi.

A ce titre, le contrôle de la Cour de cassation a évolué pour les infractions injurieuses ou diffamatoires. Dans un premier temps, la Cour de cassation estimait qu’il s’agissait d’une question de fait qui dépend du pouvoir souverain des juges du fond [7] avant d’évoluer et de considérer qu’elle exerce désormais son contrôle sur la qualification et qu’il s’agit d’une question de droit [8].

Les Avocats sont très régulièrement saisis de demandes de plaintes par des personnes physiques et même morales quant à ce climat qui gravite autour de la religion musulmane.

C’est ainsi, que la femme voilée est régulièrement injuriée et même agressée pour sa tenue et les mots employés sont durs : « Sale terroriste, rentre chez toi, islamiste, l’islam n’a pas sa place en France…  ». Les hommes de confession musulmane sont moins touchés par des injures directes mais subissent plus de diffamation par format internet. L’humoriste Yassine Bellatar a été injurié sur Twitter par un responsable de la marque Nocibé de « sale pourriture d’islamiste ».

Ces propos graves sont bien évidemment sanctionnés par la loi puisque l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 dispose : « Sera punie d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende l’injure commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

Plus grave encore, après les attentats ignobles de novembre 2015, la France a littéralement quitté la sphère universaliste des Droits de l’Homme. Ceci n’est pas une simple affirmation fracassante mais bien la retranscription d’une décision de la France de déroger aux dispositions de la Convention européenne des Droits de l’Homme [9].

Cette décision a entraîné la mise en place de l’état d’urgence et d’une répression sans précédent à l’encontre de mosquées, restaurants type kebab ou orientaux, personnes physiques suspectées de radicalisation… Des milliers de perquisitions ont été effectuées sans aucun résultats probants, des assignations à résidence ont été décidées, des interdictions de quitter le territoire et d’autres placement d’enfants. Des drames, des vies brisées, des familles séparées, des commerces détruits et des pertes financières énormes. Tout cela a été exercé sous le sceau de la rumeur et de la délation.

La fiche S, pourtant classée secret défense, a été généralisée et des individus sont donc marqués de ce sceau de la suspicion.

Véritable calvaire pour ceux qui en sont affublés, un individu fiché S ne pourra (entre autre) :
- Plus quitter le territoire sans être isolé et interrogé sur sa destination par la police aux frontières ;
- Plus travailler pour l’Etat ;
- Plus travailler dans des activités sensibles (Nucléaire, chauffeur de personnalité…).

Fin mai 2016, le Comité des nations unies contre la torture déclarait être particulièrement inquiet par les informations sur « l’usage excessif de la force par les forces de police au cours de certaines perquisitions ayant, dans certains cas, entraîné des séquelles psychologiques chez les personnes concernées » qui puisse « constituer une atteinte aux droits prévus au titre de la Convention ». 

Il est important que les victimes de ces injures et accusations se concentrent sur leurs droits en tant qu’individu et sur la portée discriminante, infamante et injurieuse que provoquent ces propos.

Une plainte avec constitution de partie civile devant le Doyen des juges d’instruction est fortement conseillée lorsque les propos tenus sont contenus par des auteurs dans des ouvrages papiers. Ces personnes ou sociétés diffamées et injuriées disposent généralement d’une exposition supérieure à la normale (maison d’édition, imam, association, personnalités).

Pour les personnes lambda, ils ne doivent très certainement pas se contenter de subir ces injustices et doivent se tourner vers la justice, des avocats spécialisées pourront les accompagner.

Samir Hamroun Avocat à la Cour [->samirhamroun.avocat@yahoo.fr]

[1Articles R621-1 et R621-2 du Code pénal.

[2Cour de cassation, Chambre criminelle, 27 septembre 2005, 05-80123.

[3Crim., 20/2/1990, n° 89-80.483.

[4Crim., 3/12/1991, Boizeau Bourdier, P . n° 90- 83.605.

[527 juin 2017, n° 34367/14.

[6Code pén., art. 421-1, 421-2, 421-2-1 et 422-2.

[7Crim., 16/02/1893, DP 1984, p.25, note M.B.

[8Chambre criminelle, du 15 mars 2005, 04-84.831.

[9Voir communiqué du Conseil de l’Europe 25 novembre 2015.