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Intermittents du spectacle : requalification des 30 ans de CDDU en CDI et licenciement sans cause d’une documentaliste. Par Frédéric Chhum, Avocat et Marion Simoné, Elève-Avocat.
Parution : vendredi 22 mai 2020
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Peut on employer valablement en contrat à durée déterminée d’usage (CDDU) une documentaliste, intermittente du spectacle, pendant 30 ans ?

Dans son jugement du 25 février 2020, le Conseil de prud’hommes de Paris répond que non.

La collaboration de la documentaliste, intermittente du spectacle est requalifiée en CDI et la rupture du 30 septembre 2019 et requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le Conseil de Prud’hommes de Paris (Section Encadrement, chambre 2) a condamné France Télévisions à payer les sommes suivantes, au bénéfice de l’intermittente du spectacle :
- 3 080 euros à titre d’indemnité de requalification ;
- 4 410 euros à titre du reliquat d’indemnité compensatrice de préavis ;
- 441 euros à titre d’indemnité de congés payés sur préavis ;
- 60 060 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement ;
- 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 1 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

L’intermittente du spectacle obtient 93 991 euros bruts.

Le jugement est définitif car les parties n’ont pas interjeté appel.

1) Rappel des faits et de la procédure.

Madame X a été engagée par la SAS France Télévisions en qualité d’agent spécialisée d’émission par contrat de travail à durée déterminée d’usage depuis 1988.

Depuis 2010, elle est engagée en qualité de documentaliste.

Le 26 juillet 2019, France Télévisions lui notifiait la fin de sa collaboration aux termes de son dernier CDD.

C’est dans ces circonstances que Mme X a saisi le Conseil de Prud’hommes et elle réclamait :
- La requalification de ses CDD d’usage avec reprise de son ancienneté au 1er décembre 1988 et ce à temps plein ;
- La fixation du salaire de référence à 4 000 euros bruts mensuels hors prime d’ancienneté et prime de toute nature et subsidiairement 3 080 euros selon les mêmes modalités ;
- Constater l’inconventionnalité du barème de l’article L1235-3 du code du travail ;
- Condamner France Télévision à verser à Mme X les sommes suivants : 30 000 euros au titre de l’indemnité de requalification ; 54 750 Euros à titre de rappels de salaire pour la période du 30 Septembre 2016 au 30 septembre 2019 du fait de la disponibilité permanente de Madame X pendant les périodes intercalaires ainsi que 5.475 au titre des congés payés ;14 050,60 euros au titre de rappel de la prime d’ancienneté pour la période septembre 2016 à septembre 2019 ainsi que 1 405 euros au titre des congés payés afférents ; 13 158,75 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis subsidiairement 10 398,75 euros bruts ainsi que les congés payés afférents soit 1 315,87 euros bruts et 1 039,8 euros bruts ; 89 918,12 euros nets à titre d’indemnité de licenciement subsidiairement 71 058,12 euros nets ; 80 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

En tout état de cause :
- Condamner France Télévisions à verser à Madame X la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du CPC ;
- Ordonner à France Télévisions de rembourser le Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à Madame X dans la limite de 6 mois ;
- Ordonner à Madame X la remise des documents conformes sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir et jusqu’à la parfaite exécution ;
- Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir ;
- Condamner France Télévisions aux entiers dépens.

2) Jugement du Conseil de Prud’hommes de Paris (encadrement Chambre 2) du 25 février 2020.

2.1) Sur la demande de requalification des CDD d’usage en CDI.

Le Conseil de prud’hommes rappelle que

« La Cour de Cassation dans une jurisprudence constante du 23 janvier 2008 précise que le juge doit s’assurer de la validité des CDD d’usage au regard de trois critères :

- Il doit intervenir dans un secteur défini par décret ;

- Que soit constaté l’existence dans ce secteur d’un usage permettant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée pour l’emploi considéré ;

- Que le recours à des contrats successifs est justifié par des raisons objectives ».

Le Conseil de prud’hommes affirme qu’

« en l’espèce l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi n’est pas remplie.

Depuis 30 ans, Mme X a été employée par France Télévisions.

S’agissant de ses missions, il n’est pas contestable qu’elle servait à pourvoir un emploi récurrent ».

En conséquence, le Conseil de prud’hommes de Paris requalifie les 30 ans de CDD d’usage de Madame X en CDI.

2.2) Sur la reprise d’ancienneté au 1er CDD irrégulier.

France Télévisions soulevait la prescription de l’action au motif que Mme X n’aurait travaillé que 2 jours en 1994 : l’action serait prescrite avant le 18 mars 1996.

France Télévisions plaidait que Madame X n’a travaillé que 2 jours en 1994 / 7 jours en 1995 : si les périodes non travaillées sont incluses dans l’ancienneté reconstituée en cas de requalification judiciaire, cela suppose qu’il n’y ait pas une durée d’interruption telle qu’il soit impossible de considérer l’ensemble des collaborations comme formant un tout indissociable.

Les collaborations de Mme X entre 1988 et 1996 ne peuvent être globalisées avec la période durant laquelle elle a collaboré avec la société France Télévision de manière régulière et continue, à savoir à compter du 18 mars 1996.

Le Conseil fait droit à la demande de prescription. Toutefois, il ne requalifie les CDDU de Madame X qu’à compter du 18 mars 1996.

2.3) Sur la requalification des CDDU en CDI à temps plein.

« En cas de requalification des CDD en CDI, la Cour de Cassation a rappelé que le salarié peut prétendre à un rappel de salaire pendant les périodes intercalaires [1].

En l’espèce, Madame X prétend avoir été à la disposition permanente de France Télévisions entre deux contrats de travail.

De 2015 au jour de la fin de la collaboration, Madame X n’avait pas d’autre employeur selon ses simples dire.

Elle est bien fondée à solliciter un ajustement de sa rémunération qui ne tient pas compte des périodes indemnisées par le pôle emploi [2].

Madame X pour effectuer sa proposition de salaire a pris comme référence deux salariés qui ont été intégrés en CDI à temps plein en qualité de documentaliste, de l’accord collectif et de l’ancienneté de 34 ans de Madame X sans rapporter la preuve de la similitude des missions.

Madame X ne démontre pas avoir été à la disposition de son employeur en dehors des périodes travaillées ; elle est déboutée de sa demande de requalification de son CDD à temps partiel en CDI à temps plein ».

2.4) Sur la fixation du salaire mensuel de référence.

C’est une question cruciale pour déterminer le montant des indemnités de rupture.

Le Conseil de prud’hommes relève que « La demanderesse demande à ce que son salaire soit fixé à hauteur de 4 000 euros, étant entendu qu’elle se fonde sur une requalification de son contrat de travail à temps plein ce qui n’est pas octroyé par le Conseil ».

Le défendeur demande lui à ce que soit pris comme base de calcul la moyenne des trois dernières rémunérations effectives de Mme X soit 2 100 euros.

La Conseil de prud’hommes prend la rémunération des trois derniers mois soit les mois de Juillet Août Septembre à hauteur de 60% du temps de travail soit la somme de 3 080 euros pour fixer la rémunération de base de Madame X ce qui correspond à la demande subsidiaire de la demanderesse.

2.5) Sur la demande indemnitaire liée à la requalification du contrat de travail en CDI.

Le conseil de prud’hommes affirme qu’en vertu des dispositions de l’article L1245-2 du code du travail, « l’indemnité qui répare le préjudice lié à la requalification d’un contrat de travail ne peut être inférieure à un mois de salaire ».

Le conseil de prud’hommes considère que Madame X ne démontre pas d’un préjudice supérieur à celui lié à la requalification de son CDD en CDI.

Il octroie une indemnité à hauteur d’un mois de salaire, soit 3 080 euros.

2.6) Sur la demande de rappel de prime d’ancienneté.

L’article 1.4.2 du livre 2 Titre 1 de l’accord collectif d’entreprise du 28 mai 2013 prévoit une prime d’ancienneté.

Selon sa demande, Mme X peut prétendre à un rappel de salaire de ce chef entre le 30 septembre 2016 et le 30 septembre 2019 selon le tableau détaillé dans ses conclusions en page 21.

Pour tenir compte des sujétions particulières liées à l’exercice de missions par intermittence la rémunération servie aux intermittents est fixée selon les engagements de la branche de sorte à garantir un écart de 30% par rapport aux salaires des permanents exerçant les mêmes fonctions (FTV n°12).

Le Conseil la déboute la documentaliste intermittente du spectacle de sa demande.

2.7) Sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le Conseil de Prud’hommes a accordé suite à la requalification des CDD en CDI les indemnités relatives au licenciement sans cause réelle et sérieuse en l’absence de respect des formalités prévues par le code du travail.

Le Conseil de prud’hommes affirme que « Faute d’avoir été rompu en la forme, le licenciement de Mme X est ispo facto sans cause réelle ni sérieuse […] »

Le Conseil considérant que le barème « Macron » de l’article L1235-3 du code du travail s’applique, constate que le licenciement n’a pas été effectué en la forme.

Il accorde à la documentaliste, intermittente du spectacle de France Télévisions :
- Le préavis sous forme de reliquat soit 4 410 euros ;
- L’indemnité conventionnelle de licenciement : soit un total de 60 060 euros ;
- Une indemnité pour réparation du préjudice subi du fait du licenciement sans cause réelle ni sérieuse à hauteur de 25 000 euros.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[115 janvier 2014 n°12-23095, 12-23096.

[2Cass 9 juin 2017, n°16-17.634.