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La Belgique, une "lasagne institutionnelle" ! Par Bernard Cosyns, Juriste.
Parution : mercredi 20 mai 2020
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En Belgique, comme en France et dans de nombreux autres Etats à travers le monde, la crise sanitaire Covid-19 a engendré une crise économique, dont il sera difficile de sortir... d’autant plus que le pays est une véritable "lasagne institutionnelle" et que les compétences des pouvoirs publics sont de plus en plus éclatées du fédéral au plus local. On dit de ce pays qu’il est la patrie du surréalisme. Si un étranger a compris le fonctionnement du pays, c’est qu’on lui a mal expliqué !

Déjà avant la crise sanitaire "Covid-19", le pays avait beaucoup de mal à fonctionner puisque les élections fédérales, au printemps 2019, n’avaient pas permis de constituer une majorité suffisamment forte pour former un nouveau Gouvernement fédéral.

Alors qu’elle était un "Etat unitaire" au moment de son indépendance en 1830, la Constitution de 1994 confirme que la Belgique est devenue un "Etat fédéral", composé de Régions et de Communautés... et c’est encore trop simple : les nouvelles Régions et Communautés n’ont pas emporté la disparition des anciennes Provinces, issues de l’Ancien régime et de la période néerlandaise.

Rappelez-vous : Waterloo 1815. A cette époque, la Belgique est essentiellement française. Avec la défaite de Napoléon Ier, la plus grande partie du territoire revient aux anciennes "Provinces Unies", c’est-à-dire les Pays-Bas. L’est du pays est attribué à la Prusse et, comme en Alsace-Lorraine, la langue de cette région devient l’allemand. Cette partie reviendra à la Belgique en 1919.

C’est ainsi que trois langues et trois communautés linguistiques se côtoient aujourd’hui : le néerlandais au nord, le français au sud et l’allemand à l’est. La capitale, Bruxelles, est majoritairement francophone, alors qu’elle est enclavée dans la région de langue néerlandaise, même si les francophones sont devenus très nombreux dans les communes périphériques.

Au niveau économique, la Belgique est divisée en trois Régions : la Région flamande au nord, la Région bruxelloise au centre et la Région wallonne au Sud. Les communes germanophones relèvent toujours de la Région wallonne, même si de plus en plus de voix s’élèvent à l’est, voire même ailleurs dans le pays, pour donner à ces communes le statut de Région.

En attendant, trois Communautés viennent s’ajouter aux trois Régions : la Communauté flamande (ou de langue néerlandaise), la Communauté française (ou de langue française) et la Communauté germanophone (ou de langue allemande).
Et Bruxelles ? Pourquoi faire simple quand il est possible de compliquer ? Le Brabant unitaire ayant cessé d’être une Province, les dix-neuf communes qui composent la Région (bilingue) de Bruxelles-Capitale (vous diriez : des arrondissements) sont, en droit, à la fois une Région, une Région linguistique et une Agglomération. En outre, pour certaines matières, il y a trois Commissions communautaires : la Commission communautaire (de langue) française, la Commission communautaire flamande et la Commission communautaire commune. L’Agglomération est compétente pour la propreté publique, le service d’incendie et les transports collectifs de personnes (taxis et voitures avec chauffeur), sachant que ces sont les organes de la Région, qui exercent les pouvoirs des organes de l’Agglomération.

Alors quand survient une crise sanitaire doublée d’une crise économique, tout est très compliqué : des "pouvoirs spéciaux" doivent être octroyés aux organes exécutifs par les organes législatifs, qui ne peuvent plus fonctionner. Les élus de tous ces organes législatifs donnent ainsi à leur organe exécutif des pouvoirs extraordinaires pour gérer cette situation inédite.

... et il y a autant de ces "gouvernements" qu’il y a de découpages institutionnels : le Gouvernement fédéral pour toute la Belgique, le Gouvernement flamand pour la Région (Communauté) flamande, le Gouvernement wallon pour la Région wallonne, le Gouvernement bruxellois pour la Région de Bruxelles-Capitale, ainsi que cinq autres "gouvernements communautaires" puisque le Gouvernement flamand est aussi un gouvernement communautaire pour la Région flamande : le Gouvernement de la Communauté française pour la "Fédération Wallonie-Bruxelles" (région de langue française en Wallonie et région bruxelloise), le Gouvernement germanophone (région de langue allemande) et, dans la Région bruxelloise, le Gouvernement francophone (Collège), le Gouvernement néerlandophone (Collège) et le Gouvernement bilingue (Collège réuni).

Les anciennes Provinces étaient au nombre de neuf dans la "Belgique unitaire" : il y en maintenant dix, dont les "deux Brabants", le Brabant flamand dans la Région flamande et le Brabant wallon dans la Région wallonne. Les neuf communes de langue allemande, dans lesquelles la Communauté germanophone est compétente pour les matières communautaires, font partie, avec les communes de langue française, de la Province de Liège, une des cinq Provinces wallonnes (Brabant wallon, Hainaut, Liège, Namur et Luxembourg). Les cinq Provinces flamandes (Anvers, Brabant flamand, Flandre Orientale, Flandre Occidentale et Limbourg) incluent toutes les communes de langue néerlandaise. Au total, il y a 589 communes pour toute la Belgique, sous réserve des fusions volontaires, essentiellement encouragées dans la Région flamande.

Vos "Communautés de Communes" correspondent à nos "Intercommunales" : ce sont des fédérations de communes, qui s’associent pour gérer certaines politiques locales (ou municipales).

Quand survient une crise, comme celle du "Covid-19", il ne faut pas s’étonner, dans ce pays du surréalisme, qu’il faille réunir un "Conseil National de Sécurité", pour rassembler tous les chefs de ces multiples exécutifs, Premier Ministre et Ministres-Présidents, ainsi que les autres Ministres en charge des matières concernées : rien que pour la Santé, neuf Ministres !

Que dire alors quand il s’agit de soutenir l’économie, c’est-à-dire non seulement les grandes entreprises mais, surtout, les petites et moyennes entreprises, les très petites entreprises, en ce compris les auto-entrepreneurs, pour leur accorder des "aides" compatibles avec les normes européennes (aides "de minimis"). Les trois Régions et la Communauté germanophone accordent ces propres aides économiques, aides à l’emploi et aides à la formation, tandis que le Pouvoir fédéral est compétent pour le "chômage économique" (travailleurs salariés) et le "droit passerelle" (travailleurs indépendants), la fonction publique étant elle-même éclatée... Plus encore en période de crise, il en ressort des discriminations entre les entrepreneurs, selon qu’ils sont flamands, wallons, germanophones ou bruxellois, surtout s’ils sont établis sur les "frontières régionalo-linguistiques" de Mouscron (ouest) jusqu’à Voeren (est) et dans les communes de langues allemandes (nord du Grand-Duché de Luxembourg).

Hélène Carrère d’Encausse a écrit un ouvrage intitulé "L’Empire éclaté" (Le Livre de Poche, LGF, 1998), tentant une explication sur l’éclatement de l’URSS. Nous pourrions tenter le même exercice pour l’éclatement annoncé de la Belgique, dont certains proposent déjà qu’elle adopte un modèle confédéral. Il reste juste à envisager une date !

Bernard Cosyns Juriste à temps partagé, Auto-Entrepreneur, Bruxelles, Belgique