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La surveillance technologique des travailleurs en France. Par Arthur Humez, Etudiant.
Parution : lundi 18 mai 2020
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En France, la question du traçage et la surveillance d’individus se pose en ce moment. Cependant, il faut rappeler qu’en matière de droit social , la surveillance d’individus existe déjà.
En effet, l’employeur peut déjà surveiller ses salariés par des moyens technologiques.

Les principes préalables aux mesures de contrôle.

D’abord , pour toutes les mesures de contrôle technologiques utilisées par l’employeur, celui-ci devra, au préalable, respecter certains principes afin que l’utilisation des ces moyens de contrôle soient fondés légalement.

La proportionnalité des mesures de contrôle de l’employeur.

L’article L. 1121-1 du Code du travail dispose que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché. »

Ainsi, l’employeur doit respecter une certaine proportionnalité dans la mesure de contrôle qu’il va exercer auprès de ses salariés. L’employeur doit donc préalablement identifier et pouvoir justifier les raisons pour lesquelles il met en place un procédé de surveillance. Ces justifications liées pourraient se porter sur des objectifs de sécurité dans l’entreprise, à une protection contre le vol par exemple.

Le principe de respect de la vie privée.

Au regard de l’article 9 du Code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée. Celle-ci doit être respectée, y compris lorsque le salarié est, dans l’entreprise, sous la subordination de l’employeur Ainsi, dans un arrêt du 5 septembre 2017 Barbulescu c/ Roumanie, la CEDH a rappelé que le respect de la vie privée s’appliquait même au cœur de l’entreprise. En effet, le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée.
Ainsi, l’employeur ne peut pas non plus surveiller le salarié pendant les congés payés qu’il aurait pris.

Les données personnelles et les principes du RGPD.

Pour renforcer la protection de la vie privée et des libertés individuelles du salarié, le RGPD entré en application en Europe le 25 Mai 2018 définit comme une donnée à caractère personnel « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable ». Ainsi, de telles informations ne pourront être utilisées que si l’usage qui en est fait s’inscrit dans le respect des principes énoncés par le RGPD. Ces données à caractère personnel peuvent inclure par exemple la géolocalisation, le contrôle de la messagerie ou encor l’accès biométrique.

L’information et la consultation du CSE.

D’après l’article L.2323-32 du Code du travail, lors de la mise en place d’un procédé de surveillance permettant le contrôle de l’activité des salariés, il faut une information et la consultation préalable du CSE. Ce qui lui permet de donner son avis sur la pertinence et la proportionnalité entre les moyens utilisés et le but recherché. Sinon, l’employeur encourt la suspension de la mesure de surveillance d’après un arrêt de la chambre sociale de la cour de cassation en date du 10 Avril 2008, n°06-45.741 .

L’information individuelle des salariés.

La mise en place d’un dispositif de surveillance doit également satisfaire l’information individuelle des salariés d’après l’article L1222-4 du Code du travail qui dispose que « Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance. »

Ainsi, l’employeur est tenu d’informer le salarié sur les finalités poursuivies, la base légale du dispositif, l’identité du responsable de traitement, les destinataires des données, la durée de la conservation des données, leur droit d’opposition pour motif légitime, leurs droits d’accès et de rectification et enfin de la possibilité d’introduire une réclamation auprès de la CNIL.

Les différents types de contrôles technologiques du travailleur.

L’employeur dispose de nombreux moyens de contrôle technologique afin de surveiller les salariés de son entreprise.

Les badges électroniques et la technologie biométrique.

Les badges électroniques permettent le contrôle de l’activité des salariés et des horaires de travail. Ceux-ci peuvent être autorisés après information des salariés et consultation du CSE.

Pour ceux-ci, il n’est pas nécessaire de demander une autorisation préalable à la CNIL en cas de dispositif biométrique. En revanche, l’entreprise doit être en conformité avec le RGPD et le traitement biométrique doit être inscrit au registre des traitements de l’entreprise. De plus, l’employeur peut recourir à la technologie biométrique sans le consentement des intéressés, mais uniquement pour le contrôle de l’accès, stagiaires ou prestataires soit à des locaux, soit à des appareils ou applications informatiques et seulement à condition que ce recours à la technologie biométrique soit « strictement nécessaire » et « dument justifié ».

La CNIL a adopté le 10 janvier 2019 un règlement type relatif à la « biométrie sur les lieux du travail » qui vient préciser les obligations des employeurs qui souhaitent recourir à la technologie biométrique. Ce règlement un caractère contraignant et ainsi doit être respecté par les entreprises. Le règlement n’autorise le recours aux dispositifs biométriques que pour les finalités suivantes c’est-à-dire le contrôle d’accès aux locaux limitativement identifiés par l’entreprise comme devant faire l’objet d’une restriction de circulation ; puis le contrôle d’accès aux appareils et applications informatiques professionnels limitativement identifiés de l’entreprise.

La surveillance des adresses électroniques.

Pour la surveillance des adresses électroniques, l’employeur doit être attentif à respecter la vie privée des salariés dans le cas où l’employeur souhaite accéder aux documents, fichiers ou courriers d’un salarié. Concernant cela, ces documents ont, par défaut, un caractère professionnel, et l’employeur peut donc les lire y compris en dehors de la présence du salarié d’après un arrêt de la chambre sociale du 15 Décembre 2010 n°08-42.486.

Le respect de la vie privée a été consacré à l’article 9 du Code Civil. Le respect de la vie privée implique en particulier le secret des correspondances. Un arrêt du 5 septembre 2017 Barbulescu c/ Roumanie de la CEDH a rappelé que le respect de la vie privée s’appliquait pour le secret des correspondances. Ainsi, les salariés ont droit, même au travail, au respect de leur vie privée et au secret de leurs correspondances privées. Un employeur ne peut pas librement consulter les courriels privés de ses salariés, et ce, même s’il a interdit d’utiliser les outils de l’entreprise à des fins personnelles.

Mais, afin qu’ils soient protégés, les messages personnels doivent être identifiés comme tels. Ainsi le salarié peut préciser dans l’objet du mail « Personnel » ou « Privé » comme dans un arrêt de la chambre sociale du 2 Octobre 2001 n°99-42.942.

Si le contenu du message relève de la vie privée du salarié, l’employeur ne peut pas invoquer ce message pour le sanctionner d’après un arrêt de la chambre sociale de la cour de cassation du 5 Juillet 2011, n°10-17.284.
Dans le cadre d’un logiciel de contrôle de la messagerie, ce dernier devra être déclaré à la CNIL.

Les dispositifs de vidéosurveillance.

Concernant les dispositifs de vidéo surveillance, l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller ses salariés, mais seulement dans le cadre d’un contrôle de leur activité et à la condition de les avoir informés préalablement. C’est en ce sens qu’a statué la chambre sociale de la cour de cassation dans un arrêt « Neocel » en date du 20 novembre 1991 n°88-43120.

En effet, l’employeur est autorisé à mettre en place un système de vidéosurveillance permettant le contrôle de ses salariés, en respectant certaines conditions préalables : ainsi il doit respecter les libertés individuelles et la vie privée des salariés, il doit consulter les représentants du personnel et informer les salariés et enfin il doit prévoir un droit d’accès aux enregistrements visuels les concernant [1].

Les systèmes de géolocalisation.

De plus, pour en revenir au sujet d’actualité de la géolocalisation, l’employeur peut mettre en place un dispositif de géolocalisation des véhicules utilisées par les salariés afin de pouvoir les localiser.

Avant la mise en place du dispositif, l’employeur informer par tout moyen les salariés du procédé de surveillance mis en place et consulter le CSE. Un dispositif de géolocalisation ne peut être valablement mis en place qu’à condition qu’il soit justifié par la nature des tâches à accomplir et proportionné au but recherché selon l’article L1121-1 du Code du travail.

L’utilisation d’un système de géolocalisation pour assurer le contrôle de la durée du travail n’est licite que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen qui est moins que la géolocalisation [2].

La géolocalisation est interdite pour ls salariés bénéficiant d’une liberté dans l’organisation de leur travail [3].

Le contrôle d’Internet.

L’employeur peut contrôler et limiter l’utilisation d’Internet de ses salariés notamment par des dispositifs de filtrages de sites.

Toutes les connexions établies sur des sites Internet pendant le temps de travail grâce à l’outil informatique mis à disposition par l’employeur pour l’exécution du travail sont présumées avoir un caractère professionnel, ainsi, l’employeur peut les rechercher pour les identifier, la présence des salariés n’est pas nécessaire au moment de cela.

L’utilisation sur les lieux du travail des outils informatiques à des objectifs autres que professionnelles est généralement tolérée. Cependant , l’utilisation d’internet doit rester raisonnable et ne doit pas affecter par exemple la sécurité des réseaux ou la productivité de l’entreprise. Or, dans un arrêt du 18 mars 2009 n°07-44247, la Cour de cassation a jugé que constituait une faute grave du salarié rendant impossible son maintien provisoire dans l’entreprise, un usage excessif d’Internet à des fins non professionnelles, pour une durée totale de 41 heures de connexion durant le seul mois de décembre.

Les sanctions.

Selon l’article L226-1 du Code pénal , il est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000€ d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, de porter volontairement atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui en captant, en enregistrant ou en transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ; ou alors en fixant, en enregistrant ou en transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé.

Les preuves obtenues par un procédé de contrôle illicite ou qui ne respecteraient pas certaines conditions ne seront pas considérés comme valables. Ainsi, ces mêmes preuves ne seraient pas recevables.
Enfin, il faut aussi dire qu’un licenciement disciplinaire, justifié par des faits dont la preuve est illégalement apportée, est sans cause réelle et sérieuse.

Ainsi, le 30 Avril 2020, Ikea a été renvoyé devant un Tribunal correctionnel par une ordonnance de renvoi pour une affaire d’espionnage de ses salariés. En effet, l’enseigne avait organisé un moyen de "collecte de données à caractère personnel , par un moyen frauduleux , déloyal ou illicite".
En effet , l’enseigne est accusé d’avoir obtenu des informations figurant dans le STIC (Système de traitement des infractions constatées), un fichier des services de police répertoriant les auteurs et les victimes d’infractions. Ainsi , il est probable que ce mode de procédé de surveillance des salariés est illicite et donc qu’un possible licenciement sur la base de ces preuves illicite est parfaitement illégal.

Arthur Humez, Chargé d’études juridiques

[1Cass. Soc. 07.06.2006 : n°04-43866.

[2Cass.soc, 19/12/18, n°17-14.631.

[3Cass.soc, 17/12/14, n°13-23.645.