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Contester l’évaluation du Pretium Doloris en droit du dommage corporel ? Par Michel Benezra, Avocat.
Parution : lundi 18 mai 2020
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Le pretium doloris est le préjudice le plus contesté puisque le plus "palpable" par les victimes de dommages corporels.

1° Le Pretium doloris, un préjudice réparti entre les souffrances endurées (SE) et le déficit fonctionnel permanent (DFP).

La Nomenclature Dintilhac va distinguer les préjudices patrimoniaux des préjudices extra patrimoniaux afin de prendre en compte la réalité des souffrances endurées par la victime de dommages corporels avant et après sa consolidation.

Le pretium doloris est en réalité une composante de deux postes de préjudices :
- le préjudice des souffrances endurées est un préjudice extra patrimonial temporaire, compris entre le moment de l’accident et la consolidation de la victime de dommages corporels ;
- le déficit fonctionnel permanent, qui apparait après la consolidation est, comme son nom l’indique, un préjudice permanent. Il est défini par Dintilhac comme étant « La réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel qui résulte de l’atteinte à l’intégrité anatomophysiologique médicalement constatée ». Finalement, ce sont les douleurs qui persisteront, même après la consolidation. Cette dernière sera calculée par un pourcentage.

En matière de souffrances endurées, donc avant la consolidation de la victime de dommages corporels, les experts vont dresser un rapport et attribuer une cotation, une sorte "d’échelle dans la douleur".

Cette cotation va de 1 (très léger) à 7 (très important) et va correspondre à une fourchette indemnitaire.
Pour un ordre d’idée du chiffrage indemnitaire du pretium doloris :
cotation 1 - préjudice très léger : environ 1 500 max
cotation 2 - préjudice léger : environ 3 000 max
cotation 3 - préjudice modéré : environ 6 000 max
cotation 4 - préjudice moyen : environ 10 000 max
cotation 5 - préjudice assez important : environ 22 000 max
cotation 6 - préjudice important : environ 35 000 max
cotation 7 - préjudice très important : environ 100 000 max

En matière de déficit fonctionnel permanent, donc après la consolidation de la victime de dommages corporels, les experts prendront en considération l’atteinte définitive purement médicale ayant une incidence tant sur le corps humain de la victime que dans sa sphère personnelle en fonction du degré de réduction des capacités physiques, motrices et psychosensorielles de la victime sur une fourchette allant de 0 à 100 %.

Il convient de rappeler néanmoins, que le pretium doloris n’est dans ce dernier cas, qu’une composante du dfp.

2° L’expertise médico-légale : un moment clé pour l’évaluation du préjudice de Pretium doloris.

L’enjeu de la cotation des préjudices est donc très important pour les compagnies d’assurance mais aussi, et surtout, pour les victimes de dommages corporels !
Et il ne faut pas s’y tromper... Les compagnies d’assurance ont des intérêts financiers opposés à ceux de la victime de la route et à ce titre, elles n’hésiteront pas à systématiquement calculer l’indemnisation à la baisse !

Afin de présenter l’offre d’indemnisation définitive, des expertises seront menées par la compagnie d’assurance. L’expertise la plus importante sera celle menée, quelques semaines après la consolidation de l’état de santé de la victime accidentée : c’est-à-dire, le moment à partir duquel l’état de santé de la victime cessera d’évoluer. Il s’agit de l’expertise dite de consolidation.

Il ne faut pas avoir la naïveté de penser que les experts mandatés par les compagnies d’assurance (appelés d’ailleurs, médecins de compagnie) travaillent en toute indépendance et impartialité : ces derniers sont rémunérés par la compagnie qui a tout intérêt à obtenir un rapport d’expertise qui lui est favorable, économiquement.

Au cours de ces expertises, la victime a besoin d’être systématiquement assistée d’un binôme médecin conseil de victimes et avocat spécialisé en droit de la réparation des dommages corporels, lesquels sauront la conseiller au mieux.

L’avocat orientera la victime de dommages corporels vers un médecin-conseil de victimes avec lequel il a l’habitude de travailler afin de garantir une égalité des armes lors de l’examen médico-légal pour l’indemnisation de ses préjudices corporels et de ses préjudices psychologiques.

Deux associations de médecins conseil de victimes de dommages corporels travaillent régulièrement avec les cabinets d’avocats spécialisés en réparation des dommages corporels et en indemnisation des préjudices [1]. Les médecins membres de ces deux associations ont en effet les connaissances médico-légales indispensables et l’expérience nécessaire dans le domaine spécifique aux accidents corporels de la circulation.

Avant l’expertise, le médecin conseil désigné par la victime pour l’accompagner prendra soin de s’enquérir du dossier médical : il prendra connaissance des circonstances de l’accident, de l’ampleur des blessures, du nombre d’hospitalisations et d’interventions chirurgicales...

3° L’avocat de victimes de dommages corporels peut contester le rapport et l’évaluation du pretium doloris.

A l’instar de tous les autres préjudices, la victime de dommages corporels, via son avocat, peut émettre quelques contestations quant à l’évaluation du pretium doloris qui a été réalisée.

Dans le cadre d’une expertise unilatérale, en cas de contestations, la victime peut consulter avec le rapport rendu, un médecin conseil et en cas de désaccord, elle pourra solliciter l’organisation d’une expertise amiable contradictoire.

En cas de refus, la victime pourra saisir le Tribunal par un référé expertise, afin de désigner un expert judiciaire pour évaluer de nouveau ses préjudices corporels et ses préjudices psychologiques.

Lorsque c’est l’expertise judiciaire qui est contestée, l’avocat de la victime de dommages corporels pourra dans le cadre de la notification du pré-rapport d’expertise formuler en amont des observations (ou "dires" d’avocat) concertées avec le médecin-conseil de victimes. Par exemple la sous-évaluation du pretium doloris peut être avancée avec quelques arguments.

Si c’est toute l’expertise judiciaire qui est contestée, la contestation se fera au fond (et non en référé) en réalisant un incident de procédure pour solliciter la nullité de l’expertise.

Par exemple, cela pourrait être le cas de l’état antérieur de la victime qui a été relevé à torts afin de rapporter le défaut de lien de causalité entre le fait générateur (accident) et les souffrances endurées par la victime. Le but est d’éviter la remise en cause par la compagnie d’assurance du lien de causalité, ce qui limiterait considérablement le montant de l’indemnisation.

Sur ce point, l’analyse du certificat médical initial, réalisé par les médecins ayant pris en charge la victime juste après l’accident, aura un intérêt majeur.

Aussi, afin d’éviter toutes contestations, longues et complexes, cours de l’expertise, l’avocat de victimes de dommages corporels, s’assurera que la victime est bel et bien interrogée sur l’ensemble des postes de préjudices réparables.

S’agissant particulièrement du pretium doloris, il s’assurera que la cotation cochée par l’expert de la compagnie d’assurance est bien argumentée : en effet, la loi ne dresse pas de classement exhaustif par type de blessures.

Le rapport devra donc être particulièrement détaillé. En pratique, les plaies suturées sont de cotation 1, les traumatismes crâniens oscilleront entre la 4 et 5ème cotations, en fonction de la gravité des lésions et de la lourdeur de la prise en charge. Les polytraumatismes, amputations ou grandes brûlures sont logiquement classés dans les cotations les plus élevées.

Finalement, le rapport sera transmis à un inspecteur régleur de la compagnie qui se chargera d’évaluer le chiffrage monétaire de la réparation. L’avocat aussi, de son coté, se chargera d’établir son propre chiffrage.

En cas d’absence de compromis amiable, le juge tranchera après assignation de la compagnie d’assurance par l’avocat de la victime.

L’avocat pourra demander auprès du juge judiciaire le versement d’une provision d’un montant qu’il justifiera afin que la victime puisse subvenir à ses besoins financiers (notamment frais de santé, aides à domicile...) dans l’attente de l’issue du procès. Le montant de la provision sera versé par la compagnie d’assurance et sera à déduire du montant total de l’indemnisation.

Michel Benezra, avocat associé BENEZRA AVOCATS Droit Routier & Dommages corporels Tél : 01.45.24.00.40 | [->info@benezra.fr] https://www.benezra-victimesdelaroute.fr