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Les mécanismes du gouvernement d’entreprise au Maroc. Par Ayoub Haddi, Etudiant.
Parution : lundi 18 mai 2020
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Le Maroc n’a pas épargné sa volonté d’associer son tissu économique aux mécanismes de gouvernance. Le commissariat aux comptes (l’audit externe), la fiscalité, le conseil d’administration, les assemblées générales sont tous des exemples de mécanismes de gouvernance esquissés dans le cadre légal marocain.

Depuis plus de deux décennies, le paysage national a connu de profondes mutations d’ordre économique, financier et comptable : réformes des marchés financiers, réformes fiscales, réformes bancaires, réformes comptables, etc. Ces mutations ont un dénominateur commun : l’amélioration de la transparence, la consolidation du climat d’affaires et la réponse aux exigences internationales, à savoir celles de l’OCDE, du FMI, de la BM, etc. En effet, l’amélioration de la transparence financière et de la sécurité des investisseurs est devenue l’un des axes majeurs de travail et de réflexion dans de nombreux pays ces dernières années [1].

Dans cette optique, la création des entreprises au Maroc a connu un dynamisme inédit. Selon l’OMPIC, le nombre des entreprises nouvellement créées au premier semestre de l’année 2019 s’est élevé à 50.135, soit 2.670 nouvelles créations de plus par rapport à la même période de l’année précédente.

La gouvernance et ses mécanismes vont de pair avec l’entreprise. Le but desdits mécanismes est de réduire et d’influencer les latitudes de discrétion des dirigeants. Ce sont les manipulations comptables massives donnant une fausse image de la situation qui sont à l’origine de la grande majorité des scandales financiers [2]. L’affaire Enron, Worldcom et Parmalat sont des exemples révélateurs. Très souvent, le dirigeant cherche à maximiser ses intérêts au détriment de l’actionnaire (Théorie de l’agence) et à se soustraire aux mécanismes de gouvernance (Théorie d’enracinement). Les enjeux de la gouvernance des entreprises résultent de la distinction entre la propriété du capital (actionnaires) et son contrôle (dirigeants) [3]. Une réflexion donc sur les mécanismes de bonne gouvernance s’est avérée et s’avère encore impérative.

Charreaux (1996) confirme que « le gouvernement des entreprises recouvre l’ensemble des mécanismes qui ont pour effet de délimiter les pouvoirs et d’influencer les décisions des dirigeants, autrement dit, qui "gouvernent" leur conduite et définissent leur espace discrétionnaire ».

Le présent article se penche sur la problématique suivante : Quels sont les mécanismes du gouvernement d’entreprise esquissés dans le droit marocain ? et comment l’éthique constitue un élan de gouvernance ?

Le Maroc n’a pas épargné sa volonté d’associer son tissu économique aux mécanismes de gouvernance. Le commissariat aux comptes (l’audit externe), la fiscalité, le conseil d’administration, les assemblées générales sont tous des exemples de mécanismes de gouvernance esquissés dans le cadre légal marocain. Plusieurs auteurs ont confirmé que la force légale est un levier de gouvernance.

En 1976, Jensen et Meckling ont mis l’accent sur l’audit comme un moyen pour réguler le problème des asymétries d’information. Par la suite Ciron & Taffer [4] ont souligné l’importance des qualités d’indépendance et de compétence pour un audit de qualité.

La norme générale comptable souligne : « La comptabilité pourrait être une forme banale de l’illusion et de mensonge si les informations qu’elle présente n’étaient ni pertinentes, ni fiables ». L’auditeur externe en sa qualité d’expert-comptable est un garant qui veille sur la régularité et la sincérité des comptes. Le droit des affaires marocain a doté l’expert-comptable - qui doit-être inscrit sur la liste nationale de l’Ordre des experts comptables du Maroc pour avoir la qualité de commissaire aux comptes - d’un pouvoir afin de fournir aux détenteurs de fonds une information conforme au droit comptable tout en préservant les qualités liées à sa personne prévues par la loi comme par les chartes professionnelles. La S.A et les autres formes de société qui dépassent un certain seuil de chiffre d’affaires, sont tenues de désigner un ou des commissaires aux comptes. Dans un tel contexte, le dirigeant est donc astreint à produire des états de synthèse qui reflètent, bel et bien, la réalité de la firme.

Par ailleurs, la fiscalité marocaine est un champ fertile quant à la sanction des dérapages comptables. A travers les dernières lois de Finances, le C.G.I, et la loi 47-06 régissant la fiscalité des collectivités territoriales, le législateur a haussé le ton face au laxisme du contribuable. Certaines fraudes commises par le dirigeant pourraient être passibles d’emprisonnement, d’amendes très lourdes et de majorations, entre autres, la production d’écritures comptables fausses ou fictives, l’augmentation frauduleuse du passif et la dissimulation du prix d’achat ou de vente. Partant de ces constats, on peut souligner que la multitude des sanctions introduites dans le cadre fiscal en vigueur est susceptible de discipliner le dirigeant marocain.

En plus, le conseil d’administration est un groupe de personnes morales ou physiques ayant pour mission de contrôler la gestion de l’entreprise. Il comprend plusieurs membres, entre autres, un président élu, un secrétaire et un trésorier. Au Maroc, ce dispositif a été instauré par la loi 17-95 régissant la S.A. Selon l’article 39 de ladite loi, la société anonyme est administrée par un conseil d’administration composé de trois membres au moins et de douze membres au plus. Ce dernier nombre est porté à quinze lorsque les actions de la société sont inscrites à la cote de la bourse des valeurs. Le conseil d’administration s’interprète comme un mécanisme visant à protéger les actionnaires du jeu opportuniste des dirigeants, voire des salariés [5]. Dans ce sens, l’obligation d’être administrateur/ actionnaire [6] et la possibilité d’être salarié/actionnaire [7] sont deux dispositions qui concilient, certes, l’actionnariat et le salariat et consolident davantage l’efficacité du conseil d’administration en matière de gouvernance.

En supplément, les théoriciens de la « Corporate Governance » ont considéré que les assemblées générales sont des mécanismes internes de gouvernance (via l’expression des votes). En fait, à travers l’assemblée, les actionnaires exercent un contrôle direct. La loi sur la S.A distingue deux types d’assemblées générales : Primo, celui qui est ordinaire. Secundo, celui qui est spécial. Les deux ont un rôle de représenter l’actionnariat [8]. L’assemblée générale ordinaire (AGO) a pour vocation de présenter les comptes annuels afin de les faire approuver par les membres de l’assemblée, prendre des décisions sur les orientations futures de l’entreprise, affecter le résultat, etc. Les assemblées spéciales sont compétentes pour statuer sur toute décision relative aux actions. Les assemblées sont des mécanismes qui permettent à l’actionnaire d’avoir une panoplie d’informations sur différents aspects juridiques, comptables et stratégiques de l’entreprise. Sur ce, on peut dire que lesdites assemblées réduisent l’asymétrie de l’information entre le dirigeant et l’actionnaire. Elles sont donc un bouclier de l’actionnaire contre la fraude du dirigeant.

Au-delà de tous ces mécanismes, l’éthique, en tant que mécanisme spontané, reste un gage d’image fidèle et des concepts qui en découlent notamment la régularité et la sincérité. Selon Pesqueux [9] le concept d’image fidèle relève bien de l’éthique, ce qui n’est ni un concept moral, ni un concept déontologique. Si la déontologie comptable pose le problème du rapport des règles à la profession, la comptabilité comme jeu social pose celui du questionnement éthique. En fait, le choix éthique ne se posant que là où existe un degré de liberté d’action [10]. Bref, « le succès d’une entreprise dépend aujourd’hui non seulement du respect des règles du jeu économique, mais aussi de la référence à des valeurs supérieures telles que l’honnêteté, le respect des autres, la solidarité. L’éthique d’entreprise ne nie pas le profit et la performance, mais devient au contraire une nécessité économique : les entreprises sont évaluées par leur public sur des critères éthiques. Elle s’exprime à travers un système de valeurs partagées par les dirigeants et les salariés, des méthodes de management et de comportements de l’ensemble du personnel » [11].

Bibliographie.
Baghar. (2018). « La gestion des résultats comptables au Maroc et impact des normes IFRS ». International Journal of Business & Economics Strategy, p:103-109.
Benbrahim. (2006). « Éthique et gouvernance : entre intentions et pratiques ». Managament et avenir, 43-59.
Benghazala et al. (2018) « La RSE impacte elle la comptabilité des entreprises : Les accruals des entreprises cotées », p : 1-16.
Charreaux. (1996). « Vers une théorie du gouvernement des entreprises ». RePEc, p : 421-496.
El Maguiri. (2016). « La gestion du résultat dans les opérations fusions acquisitions ». Thèse de doctorat, p : 1-434, Groupe ISCAE
Siraj El et Ettahiri, (2011). La gouvernance des entreprises cottées. Revue de Gestion et d’Economie, p M : 1-19.
OCDE. (2004). Principes de gouvernement de l’entreprise. Paris.
Jensen et Meckling. (1976), « Theory of the firm : Managerial behavior, agency costs and ownership structure”, Journal Financial Economics », p:305-360.

Ayoub HADDI - Master MSTCF, ENCG SETTAT.

[1Crifo et Rebérioux, 2015, cité par Benghazala et al, 2018.

[2Baghar, 2018.

[3OCDE 2004.

[41992, cité par Ettahiri et Aaroubi, 2011.

[5Charreaux, 1996.

[6Article 44 de la loi 17-95.

[7Article 43 de la loi 17-95.

[8Article 108 de la loi 17-95.

[92000, cité par El Maguiri 2016.

[10El Maguiri 2016.

[11François Lepineux 2003, cité par Benbrahim, 2006.