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[Etude] Au regard des conventions internationales, le confinement forcé général est-il légal ? Par l’Institut des Droits de l’Homme du Barreau de Paris et l’Institut des Droits de l’Homme des Avocats Européens.
Parution : vendredi 15 mai 2020
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Ou de la méconnaissance du principe de proportionnalité par la France.
A l’heure où le Gouvernement prolonge l’état d’urgence sanitaire, l’Institut des droits de l’homme du Barreau de Paris (IDHBP) et l’Institut des droits de l’homme des avocats européens (IDHAE) publient un rapport sur les modalités et conséquences des atteintes graves portées aux libertés publiques et droits fondamentaux, et à l’absence de proportionnalité du confinement forcé général, à l’urgence sanitaire. L’étude porte sur le respect du principe de proportionnalité, tel que défini par l’ensemble des textes nationaux et internationaux.

Rapport de l’Institut des droits de l’homme du Barreau de Paris (IDHBP) et de l’Institut des droits de l’homme des avocats européens (IDHAE) sur les modalités et conséquences des atteintes graves portées aux libertés publiques et droits fondamentaux, et à l’absence de proportionnalité du Confinement forcé général, à l’urgence sanitaire et qui appelle à mettre fin au confinement forcé général (CFG) et aux autres atteintes aux libertés publiques, tout en prenant des mesures sanitaires proportionnelles à la pandémie.

Le décret du 16 mars 2020 et la loi du 23 mars 2020, organisant l’urgence sanitaire en France, ont ainsi été analysés en détail par les Instituts des droits de l’homme, du Barreau de Paris et des avocats européens (IDHBP et IDHAE).

Les experts juridiques, qui ont analysé les textes sur l’état d’urgence sanitaire, s’interrogent sur leur compatibilité avec le principe de proportionnalité. En droit international, il limite et contrôle le pouvoir des États et figure aussi bien dans la Convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales (CEDH) de 1950 que dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (CDFUE) du 7 décembre 2000, que dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).

Au-delà des violations caractérisées du droit international, le dispositif gouvernemental pose le problème de décisions politiques prises uniquement sur avis d’experts scientifiques, sans consultation juridique permettant de préserver l’état de droit et ainsi in fine, de protéger vraiment la population.

L’étude comporte une analyse de l’ensemble des dispositifs pris par le Gouvernement au regard des normes internationales, et elle s’accompagne de contributions libres d’universitaires, avocats, internationalistes, et ONG. En annexe, on trouve les principaux textes et décisions. Le rapport a non seulement une vocation scientifique destinée aux professionnels, mais aussi, pédagogique, destinée aux citoyens. Les Instituts ont publié une synthèse de leur rapport.

Le rapport conclut que le dispositif entraine des atteintes graves aux droits fondamentaux applicables en France. Destinées à lutter contre la pandémie du coronavirus, ces restrictions des libertés publiques sont supposées provisoires mais le rapport alerte les citoyens sur les menaces qu’elles font peser sur la démocratie en transformant un régime d’exception en règle, sans qu’il soit adapté à la protection des personnes les plus fragiles. L’absence de proportionnalité des atteintes aux droits fondamentaux les rend illicites.

Pour mettre en doute la proportionnalité du dispositif, le rapport compare les décisions prises dans d’autres pays européens comme l’Allemagne, la Suisse ou la Suède dont les dispositifs ont beaucoup moins porté atteinte aux libertés alors que le nombre de morts dû à l’épidémie reste moins élevé qu’en France, rapporté à leur population. La justification de la mesure radicale prise par la France est celle d’une culture latine de la population réputée « indisciplinée » et « tactile ». Cela ne peut justifier dans une société démocratique, de l’étendue considérable des atteintes faites aux droits fondamentaux. En effet, il découle du principe d’indivisibilité de ces droits que le droit à la vie n’a de sens que s’il permet pleinement l’exercice des autres droits, attachés à la dignité humaine. Ce pourquoi René Cassin, l’un des principaux rédacteurs de la Déclaration universelle du 10 décembre 1948, affirmait : « Le droit à la vie, oui, mais pas à n’importe quelle vie ! ».

L’urgence sanitaire ne dispense ni d’un contrôle de proportionnalité effectif, ni du recours à l’expertise juridique ad hoc.

Au nom de l’urgence, l’Etat a décidé de recourir exclusivement à des scientifiques pour évaluer le risque sanitaire et définir son dispositif. Or il aurait aussi dû demander à des juristes d’évaluer le risque d’atteintes aux droits fondamentaux. L’absence de cette double évaluation, a empêché le contrôle de proportionnalité du CFG.

En Allemagne, les juristes, dont la place est centrale, sont nombreux à veiller de façon très attentive au respect des libertés, particulièrement à ce que les mesures prises pour lutter contre la pandémie ne bouleversent pas les équilibres institutionnels. C’est pour cela que le Gouvernement fédéral n’a jamais évoqué la possibilité de recourir à l’état d’urgence.

En France, le gouvernement n’a pas souhaité évaluer les risques juridiques liés à la mise en place du CFG. Il n’a pas non plus consulté les instances compétentes sur la protection des droits fondamentaux comme la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), le Défenseur des droits ou des experts spécialisé(e)s en droits fondamentaux (professeure(e)s ou avocat(e)s).

La loi d’urgence sanitaire et les mesures de confinement généralisé mettent à mal des droits fondamentaux.

Même les scientifiques n’avaient pas demandé le CFG ! Au départ, dans ses avis du 12 au 14 mars 2020, le Conseil scientifique n’a recommandé le confinement que pour les personnes à risque, ceci de manière « adapté » en particulier pour les « plus de 70 ans, et des personnes médicalement fragiles ». Son objectif était de soulager les services de réanimation français, en réduisant le nombre de formes graves nécessitant un séjour en service de réanimation. Mais le 16 mars, le CFG a été appliqué à toute la population, avec l’aval du Conseil scientifique. Ce dispositif, renforcé par la loi du 23 mars 2020, met en œuvre un « état d’urgence sanitaire », plus sévère que le précédent. Applicable jusqu’au 1er avril 2021, cette loi prévoit, que l’état d’urgence est déclaré par décret en Conseil des ministres sur tout ou partie du territoire, « en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population » (et non « la vie de la nation » comme stipulé dans les conventions internationales).

Or l’isolation des plus fragiles, couplée avec d’autres mesures et appliquée dans le respect de la dignité des personnes concernées (priorité au consentement, risque certifié médicalement sans critère d’âge, contacts sécurisés avec quelques proches, déplacements libres hors regroupement, lieux dédiés et agréables pour les personnes qui ne peuvent rester chez elle, garantie d’emploi, aides matérielles si nécessaire) apparaissait pourtant comme la réponse la plus proportionnée.

Le choix du CFG a entrainé une violation de la liberté de circuler et du droit à la vie privée et familiale, sanctionnée par des peines de prison, elles-mêmes contraires aux libertés garanties par la Constitution. Le rapport dresse la liste des atteintes aux droits fondamentaux, laquelle est impressionnante. Le CFG a ainsi fait basculer la France dans un régime d’exception, même s’il est déclaré comme provisoire, permettant que soient prises de nombreuses mesures aggravant encore les atteintes aux droits fondamentaux.

Restaurer les libertés publiques pour lutter contre la pandémie et préserver la démocratie.

L’urgence est désormais, en dépit et en raison de l’immensité des dégâts, de tout faire pour restaurer la démocratie. Comment ne pas rappeler que la Déclaration universelle des droits de l’homme a été adoptée en réaction aux atteintes à la dignité humaine et à la démocratie perpétrées pendant la Seconde guerre mondiale ?

En effet, permettre à l’exécutif de gouverner sans contrôle des citoyen(ne)s, ne peut qu’empirer la situation et y ajouter d’autres dangers. La France en a fait l’expérience après les attentats de 2015, les dérogations engendrées par l’état d’urgence ont tendance à s’inscrire en permanence dans l’arsenal législatif, comme dans le cadre de l’état d’urgence sécuritaire.

L’instauration d’un régime dérogatoire sans contrôle n’est une réponse ni à l’urgence sociale, ni à l’urgence écologique, ni à l’urgence économique, qui pourraient suivre l’urgence sanitaire. Au contraire, ces défis nécessitent une mobilisation libre consciente et volontaire de l’ensemble de la population et ses institutions. Cela passe par une réappropriation des droits fondamentaux par les individus.

Pour cela le rapport recommande que :

1°/ Le CFG dicté par la panique, soit complétement abandonné, dans les délais les plus brefs.

2°/ Une protection efficace soit assurée pour les personnes à risque dans le strict respect de leurs droits (priorité au consentement, risque certifié médicalement, sans critère d’âge prédéterminé…).

3°/ La loi d’urgence sanitaire soit abrogée, car inutile (si nécessaire, le droit interne et la CEDH permettent des restrictions aux droits fondamentaux, pour atteindre des buts légitimes et proportionnés, sans recourir à une telle loi d’urgence).

4°/ Les mesures prises en application de l’état d’urgence soient toutes supprimées, au besoin, au profit d’autres mesures, prises par les voies légales ordinaires, en tenant compte des exigences de santé publique et des droits et libertés fondamentales.

Bases légales .

Art. 15 al. 1 et al. 3 CEDH - Dérogation en cas d’état d’urgence.

1. En cas de guerre ou en cas d’autre danger public menaçant la vie de la nation, toute Haute Partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la présente Convention, dans la stricte mesure où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international.
3. Toute Haute Partie contractante qui exerce ce droit de dérogation tient le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe pleinement informé des mesures prises et des motifs qui les ont inspirées. Elle doit également informer le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe de la date à laquelle ces mesures ont cessé d’être en vigueur et les dispositions de la Convention reçoivent de nouveau pleine application.

Article 52 al. 1 CDFUE - Portée et interprétation des droits et des principes.

1. Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

Article 4 al. 1, 2 et 3 PIDCP

1. Dans le cas où un danger public exceptionnel menace l’existence de la nation et est proclamé par un acte officiel, les États parties au présent Pacte peuvent prendre, dans la stricte mesure où la situation l’exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent Pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations que leur impose le droit international et qu’elles n’entraînent pas une discrimination fondée uniquement sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l’origine sociale.
2. La disposition précédente n’autorise aucune dérogation aux articles 6, 7, 8 (par. 1 et 2), 11, 15, 16 et 18.
3. Les États parties au présent Pacte qui usent du droit de dérogation doivent, par l’entremise du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, signaler aussitôt aux autres États parties les dispositions auxquelles ils ont dérogé ainsi que les motifs qui ont provoqué cette dérogation. Une nouvelle communication sera faite par la même entremise, à la date à laquelle ils ont mis fin à ces dérogations.

Le rapport complet, le communiqué en français et en anglais peuvent être consultés sur les sites des Instituts.

Télécharger le rapport complet

Institut des droits de l'homme du barreau de Paris et Institut des droits de l'homme des avocats européens
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