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La clause de non-concurrence face à la liberté contractuelle en République Démocratique du Congo. Par Etienne Djuma, Étudiant.
Parution : lundi 11 mai 2020
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« Seul un concurrent mort n’est pas dangereux. » Rockefeller

Introduction.

Il est des principes sacro-saints en Droit des contrats et par-dessus tout, en matière de concurrence. Ces principes sont sous-tendus dans des textes tant nationaux qu’internationaux.

En République Démocratique du Congo par exemple, il existe, d’une part, « la liberté contractuelle » qui veut, cependant, que toute personne soit libre de contracter ou de ne pas contracter et dès lors que la décision de contracter est prise, c’est avec la personne de son choix et dans les activités de son choix. De l’autre part, « la clause de non-concurrence », une clause insérée dans un contrat de travail et stipulant qu’à la cessation dudit contrat, le salarié ne puisse exercer les activités semblables à celles de son ancien employeur pendant la durée déterminée ou encore le salarié ne puisse concurrencer son ancienne entreprise.

Il semblerait, cependant, que d’un côté, le législateur congolais serait en train d’adopter deux notions inconciliables, et de l’autre côté, il serait également entre de mettre sur pieds, deux notions dont l’une se classe comme exception de l’autre. De facto, la clause de non-concurrence semble limiter la liberté contractuelle des parties au contrat, elle se veut être l’exception de la liberté que disposent les individus pour entrer dans les liens d’un contrat ou se veut-elle être une limite à la liberté contractuelle. C’est pourquoi, il y a lieu de nous interroger sur le bien-fondé de l’adoption de la clause de non-concurrence en Droit positif RD Congolais face à la liberté contractuelle.

Tels sont essentiellement les différents aspects qui constitueront l’essentiel de la présente étude. Il importe, dès lors et dans l’immédiat, d’entamer la rude étape de notre recherche et par-dessus tout, d’analyser le point relatif à la liberté contractuelle.

I. La liberté contractuelle.

1. Notion.

La liberté contractuelle est une notion née du principe de droit dit d’autonomie de volonté. De ce principe, découle l’idée selon laquelle les parties sont libres de contracter ou de ne pas contracter. Par ailleurs, lorsque la décision de contracter est prise, la personne est libre de contracter avec la personne de son choix.
Cependant qu’il va sans dire que la liberté contractuelle revêt une double dimension. Elle s’exprime quant au fond qu’à la forme.

Sur le fond, de fait, elle signifie que les individus sont libres de conclure entre eux toute sorte de contrat naturellement, à l’intérieur de leur contrat librement établi, les parties vont tout autant en organiser le contenu. Elles vont, de plus, prévoir toutes les clauses voulues dans le contrat.

Par ailleurs, selon la théorie de la volonté philosophique, la volonté humaine est en elle-même sa propre loi, créatrice de sa propre obligation. Personne ne peut être obligé à contracter, et de surcroît, avec une personne qu’elle n’a pas voulue. Outre cela, celui qui décide de contracter et qui a, de ce fait, choisi son cocontractant, est libre de déterminer la nature de son contrat en consentant avec son cocontractant.

Quant à la forme, nous sommes d’avis qu’aucune forme n’est requise pour exprimer sa volonté d’être lié dans un contrat. C’est pourquoi, même un sourd-muet est libre d’exprimer, par toutes voies de Droit soient-elles, sa volonté d’être lié dans les liens d’un contrat quelconque.

Il s’en sort que chacun est libre de ses engagements contractuels. En principe, nul ne peut être juridiquement obligé de contracter. Ce qui voudrait dire que personne n’aurait pas été engagée que par un contrat que lorsqu’elle eut voulu en faire partie. Pour le cas d’un contrat de vente, avant d’être qualifié de vendeur et d’acheteur, chacun se décide d’abord de contracter.
De plus, même contrainte, une volonté n’en est pas moins une volonté (voluntas coacta, voluntas est). Une personne qui a agi sous la contrainte à la conclusion d’un contrat qui le lie avec une autre personne physique ou morale n’a pas usé de sa liberté contractuelle pour la conclusion de ce contrat. Par conséquent, le contrat sera déclaré nul et de nul effet en Droit.

À tout prendre, la liberté contractuelle est le corollaire direct de l’une des conditions pour la formation d’un contrat valable. Cette condition qu’est le consentement libre et exempt de vices des parties au contrat, veut qu’il y ait accord de volonté entre les cocontractants et il s’agit, en effet, d’un consentement sans vice. Les vices qui peuvent entacher le consentement des parties sont l’erreur, le dol, la violence et la lésion. C’est pourquoi, au moment où il se constaterait un de ces vices de consentement, le principe de la liberté contractuelle serait violé et par conséquent, le contrat sera frappé de nullité.

2. La portée du principe.

La liberté contractuelle est le pilier du droit de contrats. Elle restera ainsi dans les réformes successives puisque c’est la charpente du droit contractuel. Elle comporte trois principaux piliers à savoir :

1° La liberté de contracter ou de ne pas contracter :

L’individu peut contracter s’il veut et ne peut pas contracter s’il ne veut pas, tant et si bien que les textes de Droit lui garantissent cette liberté.

2° La liberté de choisir son cocontractant :

La personne est libre de se choisir la personne avec qui elle peut contracter. Son cocontractant ne lui sera, par conséquent et en aucun cas, imposé par aucune personne tierce au contrat.

3° La liberté de choisir les clauses de son contrat :

Les deux personnes qui veulent contracter sont libres d’introduire les clauses dans leur contrat qui leur semblent bonnes pour autant que tout se fasse dans le respect des dispositions légales et réglementaires. C’est pourquoi, les parties peuvent, sur base de la liberté contractuelle, inclure les clauses limitatives de la responsabilité, les clauses d’irresponsabilité, les clauses compromissoires, les clauses de compétence et tant d’autres.

Cependant, comme nous l’avions ci-haut évoqué, au cas où le consentement serait vicié par un quelconque vice de consentement (l’erreur, le do, la violence et la lésion) dans la conclusion d’un contrat, ce dernier sera frappé de nullité conformément au droit des obligations. Cela sous-entend qu’en cas d’un vice de consentement, la personne n’a pas usé de sa liberté de contracter ou de ne pas contracter, de la liberté de choisir la personne avec qui contracter et de sa liberté de se choisir les clauses du contrat par lui conclu.

3. Les limites à la liberté contractuelle.

Eu égard à ce qui précède, nous disons maladroitement que les limites à la liberté contractuelle viennent essentiellement et vraisemblablement de la législation nationale avec le souci de l’Etat de protéger l’ordre public et/ou d’autres valeurs notables cruciales comme la culture, la tradition et/ou les bonnes mœurs.

Cependant, en dépit de la liberté contractuelle, certains contrats sont obligatoires. Il en est ainsi des contrats d’assurance qui sont obligatoirement obligatoires pour les automobilistes. Les autres contrats ont des clauses imposées par la loi ou le règlement. Il en est de même du contrat de travail qui est soumis aux règles du droit du travail, certaines clauses peuvent être imposées par la puissance publique.

II. La clause de non-concurrence.

1. Notions.

Une clause de non-concurrence prévue (bien sûr) par les dispositions du code du travail en ses articles 53 et suivants, peut être insérée dans un contrat de travail aux fins d’éviter qu’à la fin de la relation du travail entre le salarié et son employeur, le premier (le salarié) ne concurrence pas son ancien employeur.

En effet, l’article 53 de la loi n° 015/2002 du 16 octobre 2002 portant code du travail telle que modifiée et complétée par la loi n°16/010 du 15 juillet 2016 dispose : « Est nulle de plein droit la clause interdisant au travailleur après la fin du contrat, d’exploiter une entreprise personnelle, de s’associer en vue de l’exploitation d’une entreprise ou de s’engager chez d’autres employeurs. Néanmoins, lorsque le contrat a été résilié à la suite d’une faute lourde du travailleur ou lorsque celui-ci y a mis fin sans qu’il y ait faute lourde de l’employeur, la clause sort ses effets pour autant que le travailleur ait de la clientèle ou des secrets d’affaires de son employeur une connaissance telle qu’il puisse lui nuire gravement, que l’interdiction se rapporte aux activités que le travailleur exerçait chez l’employeur, que sa durée ne dépasse pas un an à compter de la fin du contrat. La clause de non concurrence peut prévoir une peine conventionnelle à la charge du travailleur qui viole l’interdiction. A la demande de celui-ci, le tribunal compétent ramènera à un montant équitable l’amende conventionnelle excessive ».

Par définition, la clause de non-concurrence est celle par laquelle le salarié s’interdit lors de son départ de l’entreprise et pendant un certain temps par la suite, d’exercer certaines activités susceptibles de nuire à son ancien employeur.

Exemple : M. Étienne DJUMA signe un contrat de travail avec la société Vodacom Congo pour travailler comme étant directeur du service de marketing. Dans leur contrat, une clause de non-concurrence est insérée par la société en question. Clause selon quoi : « (...) pendant la durée du contrat et trois ans au-delà, l’employé devra s’abstenir de conclure un autre contrat de travail avec une autre société de télécommunication basée en République Démocratique du Congo, dans les conditions reprises dans le présent contrat (...) ». À la cessation de ce contrat, M. Étienne ne pourra, pendant une durée de trois ans comme stipulé dans leur contrat, conclure un autre contrat de travail avec une autre société de télécommunication basée en République Démocratique du Congo et, de surcroît, à un poste de responsable marketing de la société, sauf dans l’hypothèse d’un éventuel contrat conclu hors du champ d’intervention de cette clause.

Bref, la clause de non-concurrence est aussi bien une disposition interdisant au travailleur, après la fin du contrat, d’exploiter une entreprises personnelle, de s’associer en vue d’exploiter une entreprise ou s’engager chez d’autres employeurs exerçant la même activité que son ancien employeur.

Il convient de préciser qu’en Droit OHADA, la clause de non-concurrence n’est explicitement réglementée dans un aucun acte uniforme ; cependant, la clause de non-concurrence est très présente en Droit des affaires. En Droit commercial par exemple, on remarque souvent certains contrats tels que le contrat de distribution, l’intermédiaire commercial, la vente de fonds de commerce, la location-gérance, la franchise, l’agence commerciale, le contrat de commission, le contrat de cession de clientèle ou encore la cession de parts sociales ou d’actions.

2. Conditions de validité.

La clause de non-concurrence n’est valable que sous certaines conditions précises. Parmi celles-ci il y a une condition de forme et les autres en sont de fond. Il s’agit notamment :

1º Condition de forme :

La clause de non-concurrence ne se présume pas, elle doit obligatoirement être rédigée par un écrit, c’est-à-dire contenue ou stipulée dans le contrat du travail.

Cette obligation est faite par le législateur pour protéger toutes les deux parties au contrat. L’entreprise ou l’employeur, pour prouver éventuellement que son ancien employé était soumis à une clause de non-concurrence qui l’empêcherait de conclure avec ses concurrents et pour en bénéficier les avantages qui en découlent. L’employé, pour soutenir ses allégations selon quoi, il ne serait point soumis à une telle clause, d’où, pourra-t-il conclure avec une personne de son choix en toute quiétude.

Cependant, le cocontractant qui avait préalablement consenti à l’insertion de la clause de non-concurrence dans le contrat qui le lie avec son employeur ne peut, par la suite, en invoquer son ignorance de ladite clause car, dit-on, il n’est pas porté atteinte à celui qui consent en connaissance de cause (semper in obscuris quod minimum est sequimur). Au rebours, la clause sera entachée de nullité lorsque l’employé n’avait pas pris connaissance d’une telle clause lors de la conclusion du contrat qui le liait avec son ancienne entreprise ou, pour mieux dire, son ancien employeur, car, ajoute-t-on, il n’y a pas, à coup-sûr, d’acte volontaire au regard de ce qui n’était connu au préalable (nihil volitum quod non praecegnitum).

2º Conditions de fond :

Les conditions de fond se résument en :

✓ Il faut que le salarié ait été licencié pour faute lourde ou qu’il ait démissionné sans faute lourde de la part de son employeur ;
✓ Les intérêts légitimes de l’entreprise : l’employeur doit prouver ou signaler que la personne occupe un poste notable dans l’entreprise ou la compagnie avec comme conséquence que si le travailleur arrivait à contracter avec un concurrent, les intérêts de l’entreprise seraient, à cet égard, préjudiciés ;

✓ La spécificité de l’emploi ;

✓ La limitation dans le temps et dans l’espace : les durées des clauses de non-concurrence sont de deux (2) ans et celles-ci (les clauses) doivent prévoir, le plus souvent, une zone géographiquement limitée au territoire d’une ville ou d’une région ;

✓ L’indemnité de non-concurrence : la clause de non-concurrence est nulle dès lors qu’elle ne prévoit aucune contrepartie financière versée au salarié.

3. La portée de la clause de non-concurrence.

L’intérêt d’une telle clause est donc, comme nous venons de le constater, d’empêcher le salarié de concurrencer son ancien employeur après son départ de l’entreprise. Cependant, l’absence de la clause de non-concurrence renvoi au principe de la liberté contractuelle et aussi au principe de la liberté de commerce et de l’industrie (voir supra) qui seront mis en application.

En cas du non-respect de la clause de non-concurrence, le salarié perd son droit à l’indemnité compensatoire éventuellement prévue, et en doit donc remboursement.

III. L’admission en droit positif congolais de la clause de non-concurrence face à la liberté contractuelle.

Comme nous venons de le constater pertinemment précédemment, le législateur congolais a adopté d’une part, la liberté contractuelle, principe selon lequel toute personne est libre de contracter ou de ne pas contracter et dès lors que la décision de contracter est prise, c’est avec le cocontractant de son choix. De l’autre part, le même législateur insère la clause de non-concurrence qui stipule que le salarié en fin contrat ne puisse pas concurrencer son ancien employeur en contractant chez un de ses concurrents.
Par ailleurs, si dans le premier cas une personne était libre de contracter avec le cocontractant de son choix, le salarié en fin contrat ne jouirait pas, dans le second cas, de cette liberté, il est soumis, de ce fait, à une clause de non-concurrence qui l’empêcherait de contracter en toute quiétude chez d’autres employeurs concurrents de son ancien employeur.

Cependant, nous sommes d’avis qu’il ne s’agit pas d’une coïncidence d’adoption de ces deux notions à la fois. Le législateur congolais aurait voulu adopter un principe et son exception. De facto, le principe est dans une certaine façon « la liberté contractuelle » et l’exception en est « la clause de non-concurrence ». C’est pourquoi, tout individu est libre de contracter avec la personne de son choix et dans les conditions voulues par lui sauf s’il était précédemment soumis à une clause de non-concurrence dans un contrat précédemment conclu par lui, qui l’empêcherait de conclure un nouveau contrat en toute quiétude.

En outre, dans le but fort ultime de protéger les entreprises et par-dessus tout, les employeurs, le législateur met sur pieds un principe et son exception, tant et si bien que les individus, jouissant certes d’une liberté contractuelle, ne puissent porter atteinte aux intérêts de leurs anciens employeurs. Par conséquent, bien que les individus jouissent de la liberté de contracter avec les personnes de leur choix et dans les activités de leur choix, le législateur fait, par l’adaptation de la clause de non-concurrence, restriction à ceux-ci pourvu qu’ils ne puissent pas notablement porter préjudice aux intérêts légitimes de leurs employeurs lors de leur départ des entreprises.

En sus, nous estimons que c’est en connaissance des causes que le législateur est parvenu à adopter à la fois la liberté contractuelle et la clause de non-concurrence. Ces causes sont entre autres la protection des entreprises d’autant plus que celles-ci ont également besoin d’une protection par une législation en une matière quelconque.

Conclusion.

Somme toute, les entreprises ont également besoin d’une protection par une législation en une matière quelconque. En cherchant à protéger celles-ci, le législateur a adopté un principe et son exception. Il n’y aurait donc pas une nette contradiction du législateur lui-même lorsqu’il a adopté d’un côté, la liberté contractuelle qui veut, cependant, que toute personne soit libre de contracter ou de ne pas contracter et dès lors que la décision de contracter est prise, c’est avec la personne de son choix et dans les activités de son choix. Et de l’autre côté, la clause de non-concurrence, une clause insérée dans un contrat de travail et stipulant qu’à la cessation dudit contrat, le salarié ne puisse exercer les activités semblables à celles de son ancien employeur pendant la durée déterminée ou encore le salarié ne puisse concurrencer son ancienne entreprise.

En effet, la personne est libre de contracter avec le cocontractant de son choix sauf, hélas, si elle est soumise à une clause de non-concurrence dans un contrat précédemment conclu par lui qui limite ou qui mette frein à sa liberté de contracter.

Tel est globalement l’essentiel de notre présente étude. Celle-ci n’aura le mérite que d’ouvrir le débat pour éventuellement des révélations scientifiques présentes et pourquoi pas ultérieures sur la thématique.

DJUMA ÉTIENNE Galilée Juriste d\'affaires et spécialiste en droit des affaires OHADAA, en droit de la concurrence et en droit des sociétés commerciales et des contrats commerciaux. Actuellement, il est Assistant d\'enseignement à l\'Université Pilote de Kalemie (UPK) en République Démocratique Du Congo puis lauréat du concours de la magistrature organisée le 9 octobre 2022. Maître Etienne est auteur de nombreuses publications scientifiques sur le droit des affaires.