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Influence du Coronavirus sur les relations contractuelles liées aux évènements sportifs et culturels. Par Coralie Devernay, Avocat.
Parution : vendredi 8 mai 2020
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Compte tenu de la propagation du coronavirus et des mesures de confinement en résultant, la quasi-totalité des événements culturels et sportifs sont progressivement annulés ou reportés.
Quelles sont les conséquences de ces annulations et reports ? Comment les appréhender au mieux contractuellement ?

Les grandes manifestations sportives et culturelles, plus largement tous les événements regroupant plus de 5.000 participants et faisant l’objet d’une déclaration en préfecture, ne pourront se tenir avant le mois de septembre.

Dans le domaine de la culture, de nombreux événements (concerts, festivals, représentations théâtrales) ont été annulés (par exemple : Les Vieilles Charrues, Le Printemps de Bourges, le Festival d’Avignon, Solidays, le Festival de Cannes [traditionnellement à la fin du mois de mai]), suspendus ou reportés (par exemple : la sortie du dernier film « James Bond » [initialement prévue au mois d’avril et reporté à la fin de l’année 2020]).

La situation est semblable dans le domaine du sport, et l’on peut citer notamment :
- La fin de la saison 2019-2020 des sports professionnels (Ligue 1 et Ligue 2 de football, Top 14 de rugby…) ;

- Le report des Jeux Olympiques de Tokyo en l’état à l’été 2021 (ce qui constitue une première pour les Jeux Olympiques de l’ère moderne en temps de paix, seuls les deux conflits mondiaux ayant précédemment entraînés le report technique puis l’annulation des Jeux) ;

- Le report de l’Euro de football à juin 2021 (ce qui n’était encore jamais arrivé en 60 ans d’existence de la compétition) ;

- Le report du tournoi de tennis de Roland Garros en l’état pour la fin du mois de septembre 2020 (habituellement programmée au mois de Juin) ;

- L’annulation du Grand-Prix de F1 de Monaco qui n’avait pas connu d’interruption depuis 1955 ;

- L’annulation du Tournoi de tennis de Wimbledon (il s’agit de la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale qu’un tournoi du Grand Chelem est annulé),

- Le report du Tour de France, pour la première fois de son histoire, et qui devrait se déroulait en l’état à la fin de l’été du 29 août au 20 septembre 2020.

Au-delà des décisions politiques ou sanitaires des pouvoirs publics s’imposant à tous, le droit des contrats permet-il aux parties de prendre en compte une situation de pandémie pour modifier ou annuler leur relation contractuelle ?

Les notions de force majeure (I) et d’imprévision (II) permettent de répondre par l’affirmative.

I - La force majeure.

Le recours à la notion de force majeure permet à la partie qui s’en prévaut d’excuser l’inexécution de son obligation, de telle sorte que sa responsabilité contractuelle ne pourra être engagée par son cocontractant du fait de son manquement.

A - Prévisibilité de l’évènement.

L’article 1218 du Code civil dispose que constitue un événement de force majeure tout événement dont la survenance ne pouvait être raisonnablement envisagé par les parties lors de la conclusion du contrat et dont les effets seraient irrésistibles.

Aussi, l’imprévisibilité doit s’apprécier au jour de la conclusion du contrat.

Dans le cadre de l’épidémie de Covid-19, les critères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité devraient pouvoir être retenus pour les contrats conclus en 2019. Car cette épidémie (ou ce risque d’épidémie) n’était pas encore connue.

En revanche, pour les contrats conclus depuis le début de l’année 2020 ils doivent s’apprécier au cas par cas par rapport à l’objet du contrat et son lien avec un territoire affecté par l’épidémie. Car cette épidémie (ou ce risque d’épidémie) était déjà connue.

B - Gravité de l’évènement.

Les effets de la force majeure sur les obligations contractuelles peuvent être différents en fonction de la gravité de la situation.

En principe, la reconnaissance de la force majeure libère le débiteur de ses obligations. Le créancier ne peut donc pas obtenir de dommages-intérêts en raison de l’inexécution du contrat.

Si l’empêchement n’est que temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue, à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. À titre d’exemple, dans le monde du football, les championnats de France de Ligue 1 et de Ligue 2 ont d’abord été suspendu, en conséquence leurs diffuseurs avaient annoncé leur intention de suspendre le paiement des droits TV qui devaient intervenir au début du mois d’avril jusqu’à la reprise des matchs, avant de trouver un accord avec la ligue de football professionnelle pour aménager les versements dans l’éventuelle reprise des matchs .

En revanche, si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont alors libérées de leurs obligations. Aussi, depuis l’intervention du Premier ministre, qui a annoncé le 28 avril 2020 que « la saison 2019-2020 de sports professionnels, notamment celle de football, ne pourra pas non plus reprendre » entérinée par la Ligue de football professionnelle, Canal +, l’un des diffuseurs du championnat de France de football, a adressé à la Ligue un courrier annonçant la résiliation du contrat de diffusion de la ligue 1 et de la ligue 2 .

Dans le cadre d’un contrat à exécution spontanée, il y a lieu de procéder à des restitutions et à la remise en état des parties au jour de la formation du contrat.

À l’inverse, pour les contrats à exécution successive, il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation ayant reçu sa contrepartie. En conséquence, dans le cadre du championnat de France de football, si ce dernier ne pouvait pas reprendre, ses diffuseurs pourraient être en droit de demander la résolution du contrat afin de s’exonérer de leurs obligations. Toutefois, pour la période antérieure à la suspension de la compétition, les sommes versées ayant reçu contrepartie (à savoir la diffusion des 28 premiers matchs de la saison) ne pourront être restituées.

C - Reconnaissance de la force majeure.

Dans tous les cas, il incombera à la partie qui l’invoque de démontrer que les conditions de la force majeure sont réunies, et notamment l’impossibilité de mettre en œuvre des mesures appropriées permettant l’exécution de ses obligations. Dans le cas de la pandémie due au Covid 19, il faut alors établir un lien de causalité entre l’épidémie et l’impossibilité d’exécuter ses obligations.

La réunion de ces conditions sera appréciée au cas par cas, en fonction des données de l’espèce.

À titre d’exemple, le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) a considéré que la Fédération marocaine de football n’était pas autorisée à reporter le tournoi de la Coupe d’Afrique des Nations de 2015, malgré l’épidémie d’Ebola touchant alors le continent africain. Pour ce faire, le TAS avait considéré que cette épidémie n’était pas un événement de force majeure, car il ne rendait pas l’organisation du tournoi impossible.

Pour le Covid 19, la situation est différente. Car le confinement général et la « distanciation sociale » imposés par les pouvoirs publics conduit de facto a une paralysie de la quasi-totalité des activités du pays (à l’exception de celles considérées comme essentielles).

D - Anticipation de la force majeure.

Les parties sont libres de préciser contractuellement quels événements sont susceptibles de constituer un cas de force majeure, de modifier sa définition et/ou d’en prévoir les conséquences sur la relation contractuelle.

Elles peuvent ainsi prévoir de :
- dispenser totalement ou partiellement l’exécution du contrat
- suspendre l’exécution du contrat pendant la durée de l’événement de force majeure
- résilier le contrat après une période déterminée
- solliciter une prolongation du délai d’exécution des obligations contractuelles.

Ce type de clauses est à privilégier, car elles permettent de s’adapter à la situation, et permettront notamment d’inviter les parties à renégocier leurs accords (notamment de sponsoring et de diffusion) dans le cas où un événement pourra être amené à être reporté.

À titre d’exemple :

Dans le cadre de l’organisation du tournoi de Champions League par l’UEFA, l’article 83 du règlement prévoit que :
« Toutes les questions non prévues dans le présent règlement, telles que les cas de force majeure, seront tranchées par le Panel d’urgence de l’UEFA ou si cela n’est pas possible en raison de contraintes de temps, par le président de l’UEFA ou, en son absence, par le secrétaire général de l’UEFA. Ces décisions sont définitives ».

Dans le cadre de l’organisation des Jeux Olympiques de Paris 2024, il est notamment prévu, dans les contrats conclus entre l’organisateur des Jeux et les fournisseurs, que :
« si le cas de force majeure persiste plus de quinze jours, les parties devront se rapprocher afin de négocier et fixer de nouvelles conditions contractuelles adaptées aux circonstances créées par le cas de force majeure. Dès que l’effet d’empêchement dû à la force majeure cessera, les obligations du contrat initial reprendront pleinement vigueur pour la durée restant à courir. Si le cas de force majeure persiste et si la négociation a échoué, le contrat sera résilié de plein droit ».

Dans le cadre de la vente de tickets au public, les conditions générales de vente de la billetterie du club de football du Paris-St-Germain prévoient notamment que :
« La responsabilité du PSG ne peut en aucun cas être engagée pour la survenance d’évènements constitutifs de la force majeure ou du fait d’un tiers. Sont notamment exclus de sa responsabilité : la survenance d’intempéries, de grèves, de changement de réglementation, de suspension de terrain, de report ou d’annulation de Match, d’une décision d’une autorité compétente (ex. : arrêté préfectoral ou ministériel, décision de la LFP, la FFF, l’UEFA …). En cas de survenance d’un fait visé ci-avant, le PSG décidera, à sa seule discrétion et sans obligation de sa part, s’il accorde ou non à l’Acheteur une compensation. »

En cas d’annulation de l’événement, le club parisien sera tenu de rembourser les billets achetés par le public, mais celui-ci ne pourra pas demander de dommages et intérêts au club parisien pour la non tenue des matchs, mais auront seulement droit au remboursement de leurs billets.

II - L’imprévision.

A - Notion d’imprévision.

Au-delà de la question de la force majeure, les parties peuvent aussi s’interroger sur la possibilité de solliciter la renégociation des termes du contrat sur le fondement de l’imprévision.

Les conditions d’application de l’imprévision sont moins contraignantes que celles de la force majeure et ne tendent pas aux mêmes fins.

Car elles ont pour but une renégociation du contrat et non pas sa remise en cause.

Avant la réforme du droit des obligations de 2016, la Jurisprudence considérait qu’il n’était pas possible de porter atteinte aux prévisions contractuelles des parties, dès lors que les circonstances économiques attachées au contrat avaient changé, la Cour de cassation faisant prévaloir le principe de la force obligatoire des contrats et rejetant la possibilité d’une révision du contrat par le juge, même en présence de circonstances affectant l’équité.

La réforme de 2016 a opéré un renversement de cette jurisprudence en consacrant, dans certaines circonstances, la révision du contrat pour imprévision.

Désormais, l’article 1195 du Code civil prévoit qu’en cas de changement de circonstances imprévisibles au moment de la conclusion du contrat qui rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie, l’imprévision lui permet de demander la renégociation du contrat. En cas de refus ou d’échec de la négociation, les parties peuvent mettre fin au contrat ou solliciter du juge qu’il révise le contrat.

B - Conditions nécessaires.

Cette disposition trouvera à s’appliquer lorsque trois conditions sont réunies :

1 - Un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat.

Les circonstances qui déséquilibrent le contrat ne doivent pas exister au moment de la formation du contrat.

En l’absence de précisions dans le texte, les circonstances à prendre en compte peuvent être de tous ordres : économique, politique, juridique, social, ...

Le texte ne précise pas comment doit s’apprécier l’imprévisibilité. Mais par analogie avec la jurisprudence relative à la force majeure, cette imprévisibilité doit être entendue de manière raisonnable.

2 - Le changement de circonstances rend l’exécution du contrat excessivement onéreuse.

Un partenaire commercial contraint de mettre en œuvre des mesures particulièrement onéreuse pour continuer à exécuter ses obligations contractuelles pourrait invoquer l’existence d’un cas d’imprévision.

Une simple exécution plus difficile est donc insuffisante.

À l’inverse il n’est pas nécessaire que l’exécution soit impossible, il suffit qu’elle soit devenue excessivement onéreuse pour une partie. Ainsi, l’exécution du contrat doit être telle que le contrat est devenu ruineux pour la partie touchée par le changement de circonstances.

3 - La partie touchée par le changement de circonstance doit ne pas avoir accepté d’en assumer le risque

Les parties disposent de la possibilité d’aménager contractuellement les conditions de l’application de l’imprévision.

Aussi, si l’une des parties a, lors de la conclusion du contrat, accepté d’assumer le risque économique lié à un éventuel changement ultérieur des circonstances, elle ne pourra pas se plaindre de l’éventuelle survenue de ce changement et demander la renégociation ou la révision du contrat de ce chef.

C - Mise en œuvre.

Si ces conditions sont réunies, plusieurs mécanismes peuvent être envisagés :

1- Tout d’abord, la partie, dont l’exécution des obligations est devenue excessivement onéreuse, "peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant".

Toutefois, le texte précise que durant cette renégociation, la partie qui l’a demandée doit continuer à exécuter ses obligations. Car l’imprévision n’est pas de nature à libérer la partie concernée, qui reste tenue d’exécuter le contrat, qu’elles qu’en soient les conséquences, tant qu’il n’a pas été renégocié ou mis fin au contrat.

2 - Ensuite, en cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent ou demander au juge d’un commun accord de procéder lui-même à son adaptation au moyen d’une requête conjointe.

3 - Enfin, à défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une seule des parties, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe.

III - Application pratique au Covid 19.

A - Tout d’abord, il est indispensable de bien connaître ses obligations contractuelles pour pouvoir apprécier leur étendue, mais surtout leurs conséquences en cas d’annulation ou de report de l’événement.

Dans un premier temps, il est nécessaire d’identifier si le contrat contient des dispositions relatives à la force majeure et le cas échéant :
- examiner la date de conclusion du contrat ; si le contrat a été conclu avant la date à laquelle le Covid-19 a été qualifié d’épidémie, il pourrait être considéré que l’impact du Covid-19 n’était pas prévisible et constitue un événement de force majeure ;
- examiner la définition de la force majeure éventuellement donnée par le contrat ;
- répertorier les obligations qui ne pourraient plus être exécutées en raison de la situation actuelle ;
- déterminer les mesures qui pourraient être mises en place afin d’éviter ou de réduire les effets du Covid-19 sur l’exécution des contrats.

En cas d’absence de dispositions relatives à la force majeure, il convient de :
- vérifier si les critères d’application de la force majeure sont réunis ;
- déterminer la durée de l’empêchement, et par conséquent si le contrat doit être suspendu ou résilié.

B – On peut aussi envisager une renégociation du contrat au titre de l’imprévision afin d’obtenir un report de l’exécution des obligations, si cela est possible, ou bien une prorogation de certains contrats.

À titre d’exemple, dans le monde du football, la plupart des contrats sont à durée déterminée (contrats de sponsoring, de joueurs, de diffusions), ces derniers se terminant généralement à la fin de la saison fixée au 30 juin. Aussi, il sera nécessaire pour les clubs de football d’envisager la prolongation des contrats s’achevant à cette date jusqu’au terme de la saison (qui n’est pour l’heure pas encore fixé).

C – Indépendamment de la question de l’invocation de la force majeure ou de la révision du contrat pour imprévision, l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 prévoit la suspension des effets de certaines clauses contractuelles à raison de l’état d’urgence sanitaire.

Cette ordonnance n°2020-306 comporte un certain nombre de dispositions ayant des conséquences sur les sanctions applicables en cas d’inexécution des contrats en cours

L’article 4 prévoit notamment que les astreintes, les clauses pénales, les clauses résolutoires ainsi que les clauses prévoyant une déchéance, lorsqu’elles ont pour objet de sanctionner l’inexécution d’une obligation dans un délai déterminé sont suspendues si ce délai expire « entre le 12 mars 2020 et un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire », soit en l’état actuel le 24 juin 2020 .

Aussi, la prise d’effet de ces clauses « est reportée d’une calculée après la fin de cette période [la période juridiquement protégée], égale au temps écoulé entre, d’une part, le 12 mars 2020 ou, si elle est plus tardive, la date à laquelle l’obligation est née et, d’autre part, la date à laquelle elle aurait dû être exécutée » .

D – Enfin, il n’est pas inutile de vérifier si des polices d’assurance spécifiques relatives à l’annulation d’événements sportifs ont été contractées et examiner leurs conditions d’application et modalités de prises en charge des pertes d’exploitation résultant d’un évènement auquel pourrait être rattaché le Covid 19.

À titre d’exemple, le contrat d’assurance du tournoi de tennis de Wimbledon contiendrait une clause spéciale « pandémie ». Aussi, les organisateurs du tournoi devraient pouvoir toucher une compensation afin de combler une partie des pertes liées à l’annulation du tournoi .

A l’inverse certains organisateurs n’ont pas prévu d’assurance particulière, à l’instar des organisateurs du tournoi de Rolland Garros qui n’auraient pas souscrit ce type d’assurance. L’on comprend donc la nécessité pour eux de reprogrammer le tournoi plus tard dans l’année.

Enfin dans certains cas, les assureurs ont souhaité exclure les pandémies de leur garantie. Mais là encore l’interprétation de la clause peut s’avérer problématique, comme l’illustre le litige opposant actuellement les organisateurs du Festival Helfest avec sa compagnie d’assurance. Cette dernière refusant d’indemniser les pertes financières résultant de l’annulation de l’événement au motif que le contrat d’assurance exclues notamment les pertes pécuniaires résultant d’une « épidémie de pneumonie atypique (SRAS : syndrome respiratoire aigu sévère) ». La question se pose ici de savoir, si le Covid-19 peut être considéré comme une forme dérivé du SRAS ou non.

Coralie Devernay, Avocat Cabinet CLERY DEVERNAY