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Déconventionnement des sites naturels d’escalade : Quels enjeux pour les collectivités territoriales ? Par Maïté Cano, Avocat.
Parution : jeudi 7 mai 2020
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Après l’annonce récente par le Président de la Fédération française de la Montagne et de l’Escalade (FFME) de la dénonciation des conventions d’usage de sites naturels d’escalade (SNE) : quels sont les enjeux pour les collectivités territoriales disposant de falaises équipées pour la pratique de l’escalade sur leur territoire ?

Par un communiqué en date du 22 avril 2020, le Président de la Fédération française de la Montagne et de l’Escalade (FFME) a annoncé que 650 conventions d’usage de sites naturels d’escalade allaient être dénoncées.

Depuis plusieurs années, l’équipement et l’entretien de nombreux sites naturels d’escalade ont été portés par la FFME par le biais des ligues régionales et des comités territoriaux de la fédération et grâce à l’engagement de nombreux bénévoles.

Pour ce faire, la FFME a signé des conventions d’usage avec les personnes privés ou publiques propriétaires de falaises, par lesquelles la FFME s’engageait à équiper et entretenir le site et se voyait confier « la garde de la chose », au sens des dispositions de l’article 1242 du code civil.

Cependant, la décision rendue par la Cour d’appel de Toulouse le 21 janvier 2019 [1] et la lourde condamnation de la FFME et de son assureur à indemniser les victimes a sonné le glas des conventions d’usage.

Face au vide que va laisser la dénonciation de ces conventions, quelle place et quel rôle pour les collectivités territoriales propriétaires de sites naturels d’escalade ?

I.- Les conventions d’usage de SNE : avantages et inconvénients.

A/ Les conventions d’usage : un outil efficace pour la démocratisation des SNE.

Depuis de nombreuses années, la Fédération française de la Montagne et de l’Escalade proposait aux propriétaires la conclusion d’une « convention d’autorisation d’usage de terrains en vue de la pratique de l’escalade – site sportif » [2] qui comportait notamment les obligations et engagements suivants :
- Ouverture au public et aux personnes pratiquant l’escalade avec une « politique sportive » librement décidée par la FFME sur les zones concernées par la convention ;
- Installation et suivi technique des équipements de sécurité conformément aux normes fédérales d’équipement ;
- Mise en place du balisage du site, sans préjudice du pouvoir de police du Maire ;
- Entretien et maintenance du site d’escalade ;
- Transfert de la garde du site et des biens visées par la convention et responsabilité de la fédération pour les « conséquences juridiques pouvant résulter de la pratique de l’escalade sur le site » ;
- Garantie de la Commune par la FFME « dans le cas où sa responsabilité serait recherchée en raison de l’utilisation sportive du site », sauf dans le cas où la Commune serait intervenue sur le site en modifiant les conditions de sécurité ou aurait procédé à des travaux.

La signature de ces conventions a permis le développement considérable de l’équipement des sites naturels sur le territoire métropolitain et en outre-mer, et de contribuer à la démocratisation de la pratique de l’escalade sportive, sans compter l’attractivité touristique internationale de certains sites majeurs.

B/ Les conventions d’usage : transfert de la garde de la chose à la FFME.

L’intérêt principal de cette convention d’usage était le transfert de la garde de la chose, et donc de la responsabilité délictuelle du propriétaire du site naturel à la fédération.

On rappellera brièvement que la responsabilité du fait des choses tirée de l’article 1242 [3] du code civil (« On est responsable […] des choses que l’on a sous sa garde ») soumet le propriétaire de la chose à une présomption de responsabilité en cas de dommages, sans qu’il ne soit nécessaire de démontrer sa faute. Le gardien de la chose ne peut s’exonérer de sa responsabilité qu’en cas de force majeure, de faute de la victime ou du fait d’un tiers.

Etant précisé que la Cour de cassation a récemment considéré, à propos d’un accident entre deux motocyclettes lors d’un entrainement sportif dans un circuit fermé, que l’acceptation des risques par la victime n’était pas une cause exonératoire de responsabilité pour le gardien de la chose [4].

C’est sur ce fondement que le TGI de Toulouse et la Cour d’appel de Toulouse ont condamné la FFME et son assureur à indemniser les victimes de l’accident de Vingrau.

Les faits étaient les suivants : un guide et sa compagne ont été grièvement blessés par la chute d’un bloc de pierre lors d’une ascension sur un site d’escalade sportif géré par la fédération par le biais d’une convention d’usage conclue avec la Commune de Vingrau « 5 mètres de hauteur il a posé sa main sur un rocher et s’est hissé en tirant sur sa prise, que le rocher s’est désolidarisé entraînant sa chute et blessant gravement sa compagne au bras droit. »

Dans cette espèce, la Cour d’appel de Toulouse, confirmant le jugement de première instance, a retenu la responsabilité de la FFME en sa qualité de gardien de la chose, transférée par la convention d’usage :

« L’article 1384 alinéa 1 du code civil institue une responsabilité de plein droit, objective, en dehors de toute notion de faute qui pèse sur le gardien de la chose intervenue dans la réalisation du dommage, sauf à prouver qu’il n’a fait que subir l’action d’une cause étrangère, le fait d’un tiers ou la faute de la victime présentant les caractères de la force majeure. »

La Cour a considéré que « le rocher de la voie d’escalade a été l’instrument du dommage » et que la responsabilité de la FFME, qui « au moment de l’accident, disposait sur cette chose des pouvoirs d’usage, de contrôle et de direction qui caractérisent la garde », était engagée.

La fédération et son assureur ont alors été condamnés à indemniser les victimes des préjudices subis à hauteur de 1.620.000 d’euros [5].

Le recours indemnitaire de la fédération à l’encontre de la Commune de Vingrau devant la juridiction administrative afin de reconnaître la responsabilité de la Commune dans la réalisation du dommage du fait de travaux effectués à proximité du site, a par ailleurs été rejeté. Aucune faute de la Commune n’a été retenue [6].

II.- Dénonciation des conventions d’usage : quel rôle pour les collectivités territoriales ?

A/ Quel régime de responsabilité pour les collectivités propriétaires ?

La dénonciation des conventions d’usage mettra fin aux engagements et obligations de la FFME, à savoir, l’entretien, la maintenance du site et en particulier le transfert de la garde de la chose, au sens des dispositions de l’article 1242 du code civil.

La première conséquence pour les collectivités territoriales va donc être de reprendre à leur charge l’entretien et la maintenance des sites naturels, dont elles sont propriétaires et la responsabilité des dommages pouvant résulter la pratique sportive.

Se pose alors la question du régime de responsabilité applicable en cas d’accident sur le site.

Si la jurisprudence est fournie concernant « l’escalade » de monument public, de muret ou de fontaine publique [7], il existe peu de décisions portant sur la responsabilité d’une personne publique du fait de la pratique de l’escalade en site naturel.

A titre d’exemple, une décision du 4 juillet 2002 rendue par la Cour administrative d’appel de Bordeaux retient la responsabilité de la commune, non pas en raison de la chute d’un rocher sur une « partie du secteur non spécialement aménagé par la Commune pour pratiquer l’initiation à l’escalade », mais en raison d’un manquement à ses obligations en matière de police municipale pour n’avoir pas signalé « les dangers présentés par la falaise située à proximité immédiate de l’école d’escalade » [8].

Si dans cette espèce, la Cour parait, en creux, avoir reconnu la domanialité publique du site par la présence d’un aménagement spécial, une telle qualification serait-elle retenue pour l’ensemble des sites d’escalades propriétés de personnes publiques ?

L’analyse se fera au cas par cas, mais la localisation de nombreuses falaises et la préservation de leur caractéristique naturelle pourrait écarter cette qualification.

L’équipement d’un site naturel pourrait-il conduire à retenir la qualification d’ouvrage public, ouvrant la voie à une responsabilité pour dommages de travaux publics ?

A titre d’exemple, le Conseil d’Etat a considéré qu’une piste de ski ne constituait pas un « ouvrage public » [9], mais a notamment pu reconnaitre cette qualité à un ouvrage ou équipement sur la piste [10].

Si le juge administratif venait à raisonner par analogie avec le régime de responsabilité sur le domaine skiable, il ne fait pas de doute que de nombreuses problématiques sur la qualification d’ouvrage public d’un site d’escalade, de la domanialité publique ou privée du site en fonction de son affectation à un service public ou à l’usage du public, ou encore sur le régime de responsabilité applicable ne manqueront de se poser.

Sans compter les régimes spécifiques applicables aux espaces naturels classés, visés à l’article L.365-1 du code de l’environnement , pour lesquels la responsabilité administrative ou civile des propriétaires doit être appréciée en tenant compte des « risques inhérents à la circulation dans ces espaces » [11].

B/ Quelles perspectives pour les SNE ?

La première tentation pourrait être d’interdire l’accès aux sites naturels et d’en supprimer l’équipement, voire d’interdire la pratique de l’escalade sur son territoire.

Outre le fait que cela priverait de nombreux territoires d’une partie de leur attractivité touristique et sportive, sans compter le nombre croissant d’associations sportives et de salles privées qui assurent la promotion de l’escalade, cette décision n’empêcherait, à notre sens, ni la pratique « illégale » ni le rééquipement « sauvage » de ces sites.

Par ailleurs, l’interdiction générale de la pratique de l’escalade sur le territoire d’une commune est susceptible d’être considérée comme irrégulière [12].

La deuxième tentation serait de faire évoluer le régime de responsabilité en matière de pratiques sportives en site naturel, afin que le propriétaire et/ou gardien ne supporte pas seul la responsabilité d’un accident du fait de la pratique de l’escalade.

Sur ce point, il faut préciser qu’un amendement au projet de loi n°2750 portant accélération et simplification de l’action publique, adopté par le Sénat le 5 mars 2020, avait notamment pour objet de limiter la responsabilité du gardien pour les dommages causés à l’occasion d’un sport de nature, et d’abroger le régime spécifique de responsabilité dans les sites naturels protégés [13] :
Amendement 37 ter « Après l’article L. 311-1 du code du sport, il est inséré un article L. 311-1-1 ainsi rédigé :
Art. L. 311-1-1. – Les dommages causés à l’occasion d’un sport de nature ou d’une activité de loisirs ne peuvent engager la responsabilité du gardien de l’espace, du site ou de l’itinéraire dans lequel s’exerce cette pratique pour le fait d’une chose qu’il a sous sa garde, au sens du premier alinéa de l’article 1242 du code civil.
Le chapitre V du titre VI du livre III du code de l’environnement est abrogé ».

Le projet de loi de loi a été transmis à l’Assemblée Nationale.

En attendant une éventuelle modification législative, et c’est la troisième voie, les collectivités territoriales vont être contraintes de préparer la fin des conventions d’usage.

Il conviendra au préalable de disposer d’un inventaire à jour des falaises équipées et de l’état des équipements et aménagements réalisés (vétusté, conformité réglementaire, etc.) et de connaitre le coût estimé d’entretien de ces sites.

Cette démarche supposera de se rapprocher des ligues et des comités techniques départementaux, ainsi que des acteurs locaux, pour organiser la reprise des sites naturels d’escalade, voire des propriétaires privés qui disposent de falaises et dont la collectivité souhaiterait assurer la gestion.

Elle pourra également se combiner avec l’action du Département qui dispose d’une compétence de « développement maitrisé des sports de nature » aux termes de l’article L.311-3 du code du sport, et peut élaborer un plan départemental des espaces, sites et itinéraires relatifs aux sports de nature (PDESI) et créer une Commission départementale des espaces, sites et itinéraires (CDESI) chargé de mettre en œuvre le plan [14].

Cette collaboration entre les communes propriétaires et les départements parait encouragée par le gouvernement qui indique que les communes peuvent s’appuyer, dans le cadre des démarches de sécurisation des sites naturels, sur l’expertise des services du département, compétent en matière de sports de nature en application de l’article L.311-3 du code du sport [15].

Il reviendra donc aux collectivités territoriales de définir une politique pour ces sites naturels d’escalade qui se trouvent à la frontière de plusieurs compétences locales et notamment en matière sportive, touristique et économique.

CANO Maïté - Avocat au Barreau de Paris

[1CA Toulouse, 21 janvier 2019, n°16/02863

[2La norme de classement des voies et des sites naturels d’escalade, adoptée par le conseil d’administration de la FFME du 16 juin 2012 qui définit les « sites sportifs » comme des « falaises ou voies d’escalade de hauteurs variables équipées à demeure selon les normes fédérales d’équipement. Un site sportif présente des zones variées ; le milieu naturel n’est pas homogène et peut s’altérer dans le temps, entraînant des possibles chutes de pierres » - et qui sont à distinguer des sites de « terrains d’aventure » définis comme des « falaises ou voies non équipées à demeure ou de manière aléatoire ne respectant pas la norme fédérale d’équipement. Le terrain et l’équipement, très variés, demandent la plus grand vigilance du pratiquant. »

[3Ancien 1384

[4« La victime d’un dommage causé par une chose peut invoquer la responsabilité résultant de l’article 1384, alinéa 1er, du code civil, à l’encontre du gardien de la chose, instrument du dommage, sans que puisse lui être opposée son acceptation des risques » - Civ. 2e, 4 nov. 2010, pourvoi n° 09-65.947, FS-P+B+R à propos d’un accident survenu entre des concurrents à l’entraînement, évoluant sur un circuit fermé exclusivement dédié à l’activité sportive où les règles du code de la route ne s’appliquent pas.

[5TGI Toulouse, 14 avril 2016, n°11/02112 et CA Toulouse, 21 janvier 2019, 16/02863 : « 5 mètres de hauteur il a posé sa main sur un rocher et s’est hissé en tirant sur sa prise, que le rocher s’est désolidarisé entraînant sa chute et blessant gravement sa compagne au bras droit »

[6CAA Marseille, 9 octobre 2017, n°17MA00606.

[7Voir par ex. CE, 5 février 1988, n°70564, CAA Nantes, 31 octobre 2012, n°11NT01612 ; CAA Marseille, 23 février 2102, n°09MA02927 ; CAA Bordeaux, 15 mars 2011, n°09BX01566

[8CAA Bordeaux, 4 juillet 2002. N°9900073

[9CE 12 décembre 1986, Rebora : Rec. Lebon, p. 281

[10voir notamment CE 27 juin 1986, Grospiron : D. 1987. J. note M. Excoffier ; CE 13 février 1987, Vieville : Rec. Lebon, p. 60

[11Article L365-1 du code de l’environnement : « La responsabilité civile ou administrative des propriétaires de terrains, de la commune, de l’État ou de l’organe de gestion de l’espace naturel, à l’occasion d’accidents survenus dans le cœur d’un parc national, dans une réserve naturelle, sur un domaine relevant du Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres ou sur les voies et chemins visés à l’article L. 361-1, à l’occasion de la circulation des piétons ou de la pratique d’activités de loisirs, est appréciée au regard des risques inhérents à la circulation dans des espaces naturels ayant fait l’objet d’aménagements limités dans le but de conservation des milieux, et compte tenu des mesures d’information prises, dans le cadre de la police de la circulation, par les autorités chargées d’assurer la sécurité publique »

[12Voir par exemple, CAA Marseille, 6 décembre 2004, n°01MA00902 annulation d’un arrêté municipal interdisant la pratique de l’escalade toute l’année sur l’ensemble du domaine privé de la commune

[13Article L365-1 du code de l’environnement

[14Une telle coopération parait avoir été mise en œuvre par le Département de l’Ardèche et de la Drôme.

[15Voir Rép. Min. 20 février 2020, JO Sénat Q 13208, p.885

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