Village de la Justice www.village-justice.com

Vie privée et violation du secret médical en temps de pandémie. Par Ramdane Ghennai, Avocat.
Parution : jeudi 7 mai 2020
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/vie-privee-violation-secret-medical-temps-pandemie,35174.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Les déclarations faites, ici et là, à travers les moyens d’information tous types confondus peuvent-elles être considérées comme étant une violation du secret médical et, par conséquent nuire à la vie privée, lorsqu’elles identifient des personnes, atteintes par le coronavirus ou, encore lorsqu’elles révèlent des spécificités pouvant permettre facilement, l’identification, par autrui, des personnes contaminées ou mortes, par l’effet de cette pandémie.

En hommage à toutes les victimes du coronavirus

Que leurs âmes reposent en paix

Cette question s’impose pour deux raisons, étroitement liées. Primo, parce que la protection de la vie privée est érigée de par la constitution, en un droit fondamental, garanti par la loi, et secundo, parce que, l’inobservation du secret médical est punie par le Code pénal.

A- La protection de la vie privée.

L’article 46/1 de la Constitution du 06/03/2016 affirme que « la vie privée et l’honneur du citoyen sont inviolables et protégés par la loi ». Cet article cite des exemples de droits, se rattachant à la vie privée des personnes, que l’Etat doit garantir, en l’occurrence, le secret de la correspondance et les communications privées, ainsi que la protection des personnes physiques dans le traitement des données à caractère personnel. En outre, d’autres articles, de la Constitution, consacrent des droits afférents à la vie privée tel que, sans énumérer toute la liste, l’inviolabilité de la personne humaine [1], et du domicile [2], la liberté de conscience d’opinion et de culte [3].

L’article 66 de la Constitution reconnaît le droit de tous les citoyens à la protection de leur santé. Pour cela, la loi n°18-11 du 02 juillet 2018 relative à la santé est venue préciser que son objectif est, d’assurer la prévention, la protection, et la promotion de la santé des personnes « dans le respect de la dignité, de la liberté, de l’intégrité et de la vie privée ».

Plus clairement, l’article 24 de ladite loi consacre pour toute personne « le droit au respect de sa vie privée ainsi qu’au secret des informations médicales la concernant…  ». Il est entendu par secret médical, d’après la même disposition, « l’ensemble des informations parvenues à la connaissance des professionnels de santé ».

Le respect du secret médical n’est pas le seul moyen ou la seule obligation juridique, protégeant la vie privée des personnes. Comme cela a été cité auparavant, la Constitution a consacré la protection des personnes physiques dans le traitement des données à caractère personnel. A cette fin, le législateur a fixé les règles y afférentes par la loi n°18-07 du 10 juin 2018, dont le second article stipule que « le traitement des données à caractère personnel, quelle que soit son origine ou sa forme, doit se faire dans le cadre du respect de la dignité humaine, de la vie privée, des libertés publiques et ne doit pas porter atteinte aux droits des personnes, à leur honneur et à leur réputation ». Cette loi sous-entend, par données à caractère personnel « toute information quel qu’en soit son support, concernant une personne identifiée ou identifiable,… d’une manière directe ou indirecte, notamment par référence à un numéro d’identification ou à un ou plusieurs éléments spécifiques de son identité physique, physiologique, génétique, biométrique, psychique, économique, culturelle ou sociale ».

Il est à noter, que l’article cinq a soumis, aux dispositions de ladite loi, les traitements automatisés de données à caractère personnel, ayant pour finalité « la recherche ou les études dans le domaine de la santé ainsi que l’évaluation ou l’analyse des pratiques ou des activités de soins ou de prévention ». A première vue, cela semble être une atteinte à la vie privée étant donné que cette disposition transgresse apparemment le principe du secret médical. Au fait, le législateur a posé des conditions sine qua non auxquelles tout traitement de données personnelles doit se soumettre impérativement. Il a, également, prescrit des exceptions au principe de la liberté de traitement, en matière de santé, pour mieux protéger les données sensibles, relatives à la santé des personnes.

S’agissant des conditions préalables imposées à tout traitement de données personnelles, et sauf disposition contraire, aucune opération de traitement ne peut être effectuée sans le consentement exprès de la personne concernée [4]. Toute opération de traitement est soumise obligatoirement à une déclaration préalable faite auprès de l’autorité nationale de protection des données à caractère personnel et, à l’obtention de son autorisation [5]. Cette institution est créée en tant qu’autorité administrative indépendante auprès du Président de la République.

Quant aux exceptions soustraites au traitement des données personnelles relatives à la santé des personnes, la loi interdit tout traitement « ayant pour fin, le suivi thérapeutique ou médical individuel des patients », ou lorsque ces études sont réalisées par les personnels assurant ce suivi et destinées à leur usage exclusif ou, encore, lorsqu’il s’agit de traitements « effectués à des fins de remboursement ou de contrôle par les organismes chargés de l’assurance maladie » et ceux effectués au sein des établissements de santé par les médecins responsables de l’information médicale.

Le contraire, aurait été une violation caractérisée du secret médical, punie pénalement.

B- La violation du secret médical.

L’article 46/2 de la Constitution est catégorique en ce que, la loi punit toute violation de la vie privée du citoyen. L’inobservation du secret médical est évidemment attentatoire à la vie privée, et donc, pénalement punissable. Seulement, quoique contenant 42 dispositions pénales, la loi sur la santé n’incrimine pas, au sens stricto sensu, la violation du secret médical. En clair, cette loi ne contient pas d’article déterminant des sanctions pénales applicables aux contrevenants.

Pour ce faire, l’article 417 renvoie à l’application du Code pénal, en stipulant que « l’inobservation de l’obligation du secret médical et professionnel expose son auteur aux sanctions prévues aux dispositions de l’article 301 du Code pénal ».

Cela étant, le respect du secret médical n’est pas toujours une règle immuable. Plusieurs exceptions, permettant la divulgation du secret médical, sont contenues dans la loi relative à la santé. L’article 24 précise que le secret médical peut être levé par voie de justice. Cela arrive précisément lorsque une juridiction désigne, dans un procès relatif à la responsabilité médicale, un expert pour mission de consulter le dossier médical du justiciable qui demande réparation et, dresser un rapport d’expertise pour faciliter la résolution juridictionnelle du litige.

Si tout malade est en droit d’être informé sur son état de santé et les soins qu’il nécessite, aussi bien que les risques qu’il encourt, les personnes mineures ou, incapables, exercent ce droit par l’intermédiaire des parents ou le représentant légal, sans que cela constitue une divulgation du secret médical.

L’article 25 de la loi sanitaire accorde aux membres de la famille du malade, le droit de recevoir les informations nécessaires, destinées à leur permettre d’apporter un soutien à leur parant à une double condition à savoir la gravité du diagnostique de la maladie et la non- opposition du malade. Selon l’article 25, « le secret médical ne représente pas un empêchement à l’information de la famille d’une personne décédée » quand cette information s’avère nécessaire, pour connaître les causes du décès et défendre la mémoire du défunt ou, de faire valoir ses droits et ceci sauf volonté contraire exprimée par le défunt de son vivant.

Selon l’article 169, si les professionnels de la santé sont tenus au secret médical, la prise en charge collective du patient nécessite le partage, entre les membres de l’équipe médicale, des informations parvenues aux uns et aux autres et ce, dans l’intérêt médical du malade.

Par ailleurs, les professionnels de la santé sont tenus d’informer, dans l’exercice de leur profession, les services concernés « des violences subies, notamment par les femmes, les enfants et les adolescents mineurs, les personnes âgées, les incapables et les personnes privées de liberté, dont ils ont eu connaissance », et que toute blessure suspecte, doit faire l’objet d’une déclaration obligatoire [6].

L’article 301/2 du Code pénal exonère les professionnels de la santé, qui dénoncent les cas d’avortement dont ils ont eu connaissance à l’occasion de l’exercice de leurs professions, des peines prévues dans l’alinéa premier. De même, les professionnels de la santé, cités en justice pour une affaire d’avortement « sont déliées du secret professionnel et doivent fournir leur témoignage ».

En dehors des exceptions permises par la loi, l’inobservation du secret professionnel est punie par l’article 301/1 du Code pénal fixant la peine encourue par les personnes dépositaires des secrets qui les révèlent, sans être autorisées par la loi à le faire. Cet alinéa est rédigé comme suit : « les médecins, chirurgiens, pharmaciens, sages-femmes ou toutes autres personnes dépositaires, par état ou profession ou par fonctions permanentes ou temporaires, des secrets qu’on leur confie, qui, hors le cas où la loi les oblige ou les autorise à se porter dénonciateurs, ont révélé ces secrets, sont punis d’un emprisonnement d’un (1) à six (6) mois et d’une amende de cinq cents (500) à cinq mille (5.000) DA ».

La lecture attentive de l’article 301/1 permet de déduire les éléments constitutifs du délit de la violation du secret médical. Outre l’élément légal, l’élément matériel est constitué par la révélation d’une information couverte par le secret médical. La révélation ne doit pas être tolérée par la loi, comme précédemment expliqué. Quant à l’élément moral, l’auteur de la révélation doit être un professionnel, tenu au secret, ce qui veut dire que la révélation faite par une personne non-dépositaire du secret révélé, ne constitue pas le délit en question. La volonté de révéler le secret est une condition exigée pour établir l’inculpation. Le délit n’est pas établi quand la révélation est faite par négligence. Le mobile du délit et l’intention de nuire ne sont pas requis pour que le délit soit établi et, par conséquent, pénalement punissable. Les représentants du ministère public ne sont pas habilités à engager des poursuites judiciaires du chef de la violation du secret médical, sans plainte préalable, de la partie civile.

A la question initiale, la réponse ne saurait être entièrement négative ou affirmative pour des raisons afférentes aux conséquences néfastes de la pandémie sur les besoins vitaux de la société et des personnes. La loi ne doit-elle pas répondre aux exigences du moment ? Est-il concevable de poursuivre, pénalement, du chef d’atteinte à la vie privée ou violation du secret médical alors que, le devoir impératif de l’instant consiste à déclarer les cas de contamination par le coronavirus pour préserver toute la nation !

La nécessité n’oblige-elle pas l’adaptation de l’application de certaines règles juridiques, avec le danger sanitaire qui menace la santé publique ?

Répondre aux questions par des interrogations reflète, sans doute, l’état d’incubation dans lequel toute l’humanité se trouve sinistrée et, fortement endeuillée.

Ramdane Ghennai, Avocat Enseignant universitaire en retraite Avocat agréé près la C.S et le C.E [->ramdaneghennai@protonmail.com]

[1Art 40.

[2Art 47.

[3Art 42.

[4Art 7.

[5Art 12.

[6Art 198.