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Les recours possibles pour les victimes d’escroquerie sur Internet. Par Bruno Aguiar Valadão, Juriste.
Parution : mercredi 6 mai 2020
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Alors que l’Autorité des Marchés Financiers a tiré la sonnette d’alarme sur les risques d’escroqueries dans le contexte du Covid-19 liés au confinement et à l’usage accru d’Internet, le nombre de victimes ne cesse accroître.

Avec le virus, la cyberdélinquance se propage, comme en témoignent les nombreuses victimes d’importants placements frauduleux dans des produits atypiques (cryptomonnaies, or, métaux rares, vin, etc.).

Trois voies principales leur sont ouvertes pour agir en justice.

I - L’action pénale.

Selon l’article 313-1 du Code pénal, l’escroquerie est « le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ».

De par sa nature délictueuse, le dépôt de plainte reste la première étape juridique en réaction à l’escroquerie.

Il ne faut en revanche pas ignorer la forte probabilité du classement sans suite de ces plaintes. Sur les 320.000 cas d’escroqueries et infractions assimilées de l’année 2017, les services de police et de gendarmerie ont mis en cause près de 75.000 personnes sur cette même année. Près de 76,56% des plaintes déposées seraient donc classées sans suite ou ne permettraient pas de poursuivre les responsables. Et pour cause : souvent basés à l’étranger, les escrocs préparent minutieusement leur plan d’action, laissant très peu de chance à leur poursuite et, par conséquent, au dédommagement des victimes.

II - L’action civile.

Lorsque les fonds versés au bénéfice des escrocs et de leurs sociétés fantômes font l’objet d’opérations par l’intermédiaire d’un établissement bancaire, la responsabilité civile de ce dernier peut être mise en cause.

La victime dispose alors de deux possibilités : engager la responsabilité civile de sa banque (1) ou celle de l’établissement bancaire de l’escroc (2).

1) Engager la responsabilité civile de son établissement bancaire.

Les établissements bancaires sont soumis à un devoir de vigilance basé sur deux fondements juridiques distincts : l’un d’origine légale, l’autre de nature jurisprudentielle.

Sur le plan légal, les banques doivent respecter une obligation de contrôle interne (articles L.561-32 et suivants du Code monétaire et financier), ainsi qu’une obligation de vigilance constante (article L.561-6 du Code monétaire et financier) liées à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

Sur le plan du droit prétorien, c’est une obligation de vigilance et de surveillance du fonctionnement des comptes qui pèse sur les banquiers, et dans laquelle deux notions s’affrontent :
- le principe de non-ingérence (ou de non-immixtion), qui interdit au banquier de s’immiscer dans les affaires de ses clients ;
- et l’obligation pour le banquier de relever les anomalies apparentes dans le cadre de son obligation générale de surveillance du fonctionnement des comptes, et particulièrement des mouvements de fond.

A ce titre, il a pu être jugé que d’importants changements dans le fonctionnement habituel du compte bancaire sont constitutifs d’anomalies apparentes qu’auraient dû relever l’établissement bancaire [1].

Puis, une autre Cour d’appel a également pu juger qu’il appartiendrait à l’établissement bancaire d’interroger ses clients sur toute opération dont l’apparence est anormale eu égard au fonctionnement habituel du compte [2].

Si le juge qualifie un manquement à ce devoir de vigilance, la responsabilité civile délictuelle de l’établissement bancaire peut donc être engagée et l’établissement peut être condamné au paiement de dommages et intérêts.

2) Engager la responsabilité civile de l’établissement bancaire de l’escroc.

Lorsque les escrocs restent introuvables, mais qu’ils ont utilisé des comptes bancaires domiciliés en France pour réaliser l’escroquerie, la responsabilité de la banque qui a permis l’ouverture de ces comptes peut, dans certains cas, être mise en cause.

En effet, la plupart des escrocs usurpent l’identité d’autres personnes dans le but d’ouvrir des comptes bancaires frauduleux, sur lesquels ils perçoivent les fonds transférés par les victimes.

Or l’article R.312-2 du Code monétaire et financier prévoit que le banquier doit, préalablement à l’ouverture d’un compte, vérifier le domicile et l’identité du client.

Et la présentation d’un document officiel n’est pas suffisante pour autoriser l’ouverture d’un compte. Le banquier doit vérifier l’exactitude des renseignements recueillis, en adressant par exemple une lettre dite d’accueil à l’adresse indiquée par l’intéressé.

Si la banque n’est pas en mesure de démontrer avoir procédé aux vérifications préalables à l’ouverture du compte, sa responsabilité délictuelle peut être engagée. Elle pourra être obligée de réparer le préjudice subi par la victime d’escroquerie.

Bruno Aguiar Valadão, Juriste. Co-fondateur & Directeur de V pour Verdict

[1CA Agen, 6 janvier 2016, n°14/00480.

[2CA Rennes, 10 février 2016, n°14/00931.

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