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La formidable odyssée des modes amiables : Osez la médiation virtuelle ! Par Marguerite Zauberman, Magistrat, Eric Basso, Médiateur et Martin Lacour, Avocat.
Parution : mardi 5 mai 2020
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La situation de confinement qui est en train de prendre fin n’a pas permis d’organiser les médiations avec la présence physique des parties et, le cas échéant, de leurs conseils. Encore aujourd’hui le nombre de personnes pouvant se réunir pour la tenue s’une médiation en présentiel est limité. Lorsque les parties ne souhaitent pas repousser la tenue de la réunion de médiation à la date (incertaine) où toutes les restrictions liées à l’urgence sanitaire et au confinement seront levées, le médiateur a la possibilité de proposer des alternatives utilisant des technologies de communication virtuelle : la téléconférence (utilisation du téléphone), la visioconférence(utilisation d’une plateforme permettant l’accès à un logiciel de visioconférence), …

Comment l’organiser ? Quels sont les avantages, les difficultés et les points d’attention ? Les quelque propos qui suivent sont simplement issus de notre expérience et de notre pratique de la médiation en visioconférence, en vue d’un échange sur cette pratique qui s’est développée du fait des circonstances, et qui va possiblement s’installer durablement.

1/ Avant la médiation.

a) Il convient d’apprivoiser le média technologique qui sera utilisé. L’offre de ces media est abondante sur le marché. Souvent l’utilisation du logiciel est gratuite, mais dans ce cas pour une utilisation limitée dans le temps (la visioconférence est interrompue au bout de X minutes) et avec des fonctionnalités également limitées. Pour ne pas être contraint par ces limitations, il faut souscrire un abonnement professionnel payant.

Parmi les autres critères de choix, nous suggérons de vérifier si la plateforme est sécurisée, en matière d’utilisation des données personnelles déclarées par les utilisateurs (pour rappel, le RGPD vous impose de veiller à ce que tous vos sous-traitants soient en conformité), et contre les intrusions ; si elle propose une démonstration ou un tutoring qui permet de se familiariser avec les fonctionnalités offertes par le logiciel ; si elle permet l’ouverture d’une ou plusieurs salles virtuelles séparées pour l’organisation d’apartés ; comment il est possible d’organiser un paperboard ou un équivalent (par exemple un document Word sur lequel les médiés ou le médiateur peuvent écrire).

b) Il y a lieu de vérifier si la plateforme impose un nombre maximum de participants.
Si le nombre de participants est supérieur à 10, et que cela est autorisé par le logiciel, il est possible éventuellement de prévoir deux écrans raccordés au même poste pour pouvoir plus facilement visualiser tout le monde et visualiser les éventuels documents partagés.

c) Entretiens individuels : ils nous semblent indispensables avec chaque médié en préalable à l’organisation d’une réunion plénière.

Pourquoi ? pour ressentir comment chaque médié réagit devant la caméra. Est-il à l’aise pour s’exprimer sur ce média ? Le médiateur réussit-il à établir un contact avec le médié qui ait du sens, à percevoir son langage corporel et les variations de ses émotions à travers les expressions de son visage et de sa voix ?

Cette expérimentation de l’utilisation du média facilitera d’autant l’observation des parties pendant la réunion plénière.

d) Confidentialité : le contrat de médiation ou le règlement du Centre de médiation concerné prévoit-il la médiation virtuelle ?
Convient-il de prévoir que l’enregistrement de la réunion et des documents partagés est interdit ou est-ce prévu par le règlement du Centre de médiation concerné ?

e) Présence d’un traducteur : si elle est nécessaire, il convient de vérifier - que le traducteur est disponible dans la langue des médiés, - quelles sont les obligations auxquelles le traducteur est soumis, en particulier du point de vue de la confidentialité , - si tous les médiés donnent leur accord à sa présence.

2/ S’installer pour la médiation en visioconférence.

Plusieurs points méritent une attention particulière :
a) Fatigue des yeux : elle est importante et il faut vérifier quelle est la luminosité qui convient pour que vos yeux ne soient pas gênés dans la durée ;
b) Position de la caméra : il convient de vérifier que cette position vous permet d’être vu par les participants à la médiation sous l’angle que vous souhaitez et qu’ils aient la sensation d’être regardés dans les yeux, sans quoi cela peut créer une gêne importante ;
c) Bien régler le son : pour bien entendre les médiés et pour être entendu par eux ;
d) Souhaitez-vous utiliser un casque, ce qui permet d’avoir les mains libres et facilite donc la prise de notes ?
e) Si vous souhaitez prendre des notes, ouvrir une page dans une application adéquate (par exemple Word) avant le début de la réunion, éventuellement sur un autre poste informatique si vous en avez un ;
f) Enfin pour votre confort, il peut être utile de prévoir une bouteille d’eau et un café ;
g) Prévoir éventuellement un timer, qui permet de surveiller le temps de parole de chaque intervenant, toutes les applications n’en intégrant pas un.

3/ Démarrer la médiation.

a) Un tour de table permet à tous les participants, y compris au médiateur de se présenter et de faire connaissance ;
b) Comme dans les médiations en présentiel, le médiateur va rappeler les principes de la médiation, son déroulement, et demander à chaque médié un accord formel sur les règles : de non-interruption de la personne qui parle ; de défendre ses intérêts, bien sûr, en restant de bonne foi et en montrant une réelle volonté d’arriver à un accord. Pour notre part, nous recommandons également un accord sur l’interdiction d’enregistrer la réunion ;
c) La médiation virtuelle exigeant un niveau de concentration plus important que la médiation en mode présentiel, aussi bien pour le médiateur que pour les parties, il peut être utile de prévoir une durée plus courte, par exemple 2h30 à 3h, et un temps de parole limité par intervenant, par exemple 10 minutes ;
d) Pour les mêmes raisons, si possible éviter de faire plus de deux réunions de ce type dans la journée.

4/ Pendant la médiation.

a) Il est beaucoup plus facile d’observer chacun des participants en visio-conférence qu’en présence des parties, sans qu’aucun n’ait le sentiment de ne pas être regardé, ou que l’autre partie bénéficie d’une attention plus importante, ce qui peut être un grief adressé au médiateur au regard de son impartialité.

b) Faire respecter une certaine discipline au regard du temps de parole (10 minutes/intervenant), nous semble nécessaire pour éviter les tensions qui pourraient apparaître du fait de la fluidité du média. Cette discipline peut devenir ludique entre les parties (ceux qui tiennent le délai, et en sont fiers, et ceux qui ont plus de mal), étant entendu que celui à qui le temps convenu n’a pas suffi pourra à nouveau s’exprimer ultérieurement. C’est le médiateur qui est l’animateur de la réunion, et qui a donc la faculté de fermer les micros (mode « mute ») des uns ou des autres.

c) Les difficultés techniques susceptibles d’apparaître pendant la médiation sont souvent une occasion pour les parties de collaborer afin de trouver la solution du problème technique et la mettre en œuvre, ce qui favorise une relation non conflictuelle entre les parties.

d) Rôle des conseils : comme lorsque la médiation se tient en présence des parties, il est important d’avoir fixé leurs rôles et les limites de leur intervention. Il nous paraît toutefois que les interventions des conseils sont plus aisément contenues en visioconférence alors que ceux-ci ne sont pas assis à côté de leurs clients.

e) Apartés : certains logiciels permettent l’ouverture de salles en dehors de celle réservée à la médiation plénière et dans ce cas, la gestion des apartés ressemble à la pratique des apartés en médiation en mode présentiel. Lorsque cette faculté n’est pas offerte par le logiciel, certains médiateurs interrompent la session plénière, tiennent les apartés puis reviennent en plénière. Il peut toutefois être préférable de tenir les apartés après la séance plénière, indépendamment, avant la date de la prochaine réunion (ici, la distanciation géographique permet plus aisément de créer aussi une distanciation temporelle).

5/ Terminer la réunion de médiation.

Il est utile de garder quelques minutes avant l’heure de fin de réunion prévue pour :
- prévoir le calendrier et en particulier la date de la prochaine réunion ;
- recueillir un commentaire des participants sur le mode virtuel : qu’en ont-ils pensé ? se sont-ils sentis à l’aise pour exprimer leurs attentes au regard du différend à résoudre ? sont-ils prêts à utiliser ce mode dans le futur ?
- et bien sûr pour remercier les participants d’avoir accepté ce mode et pour le bon déroulement de la réunion !

6/ Quels sont les avantages et les inconvénients/risques du mode visioconférence ?

Les inconvénients ou risques liés au mode virtuel tiennent à ce que le champ d’observation du médiateur est limité à ce que montre la caméra des participants et ne permet pas de s’assurer qu’il n’y a pas d’intrus, ni que les expressions ou réactions sont toutes liées à ce qui se passe dans le cours de la médiation.

De plus, l’absence de contact physique pour saluer les participants, l’absence d’accueil en personne limitent la faculté pour le médiateur de mettre les médiés à l’aise au démarrage du processus qui est souvent anxiogène pour les parties. Enfin, des difficultés peuvent exister en termes d’accès à un réseau avec une bande passante insuffisante pour permettre ce mode de communication.

En revanche, le mode visioconférence offre le bénéfice de l’immédiateté : les parties pouvant participer à partir de leur lieu de travail ou leur domicile, même à partir de leur téléphone portable, la médiation peut se mettre en place beaucoup plus rapidement. Il n’y a pas lieu de se préoccuper de la disponibilité d’une salle pour organiser la médiation, et aucune difficulté liée à la distance ou aux modes de transport des parties n’est un obstacle.Enfin le médiateur qui est l’animateur et l’organisateur de la réunion a la faculté de fermer les micros des uns ou des autres !

Conclusion : si l’utilisation de la visioconférence se développe actuellement du fait des circonstances, il est vraisemblable qu’il convienne de considérer celles-ci comme une opportunité car les technologies alternatives à la présence physique des parties vont possiblement s’installer durablement, en particulier lorsque les parties à la médiation sont géographiquement situées à grande distance les uns des autres, et ne veulent pas ou ne peuvent pas se déplacer quelles qu’en soient les raisons (coût du déplacement, temps consommé par le déplacement, écologiques…)..

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Mindmap réalisée par Marguerite Zauberman, Magistrat, Eric Basso, Médiateur et Martin Lacour, Avocat.
Marguerite ZAUBERMAN Magistrat de l'ordre judiciaire honoraire Médiateur agréé CMAP Médiation des entreprises: médiateur national délégué Inscrite auprès de la cour d'appel de Paris Eric BASSO Médiateur près la Cour d'Appel d'Aix en Pce Médiateur certifié CMAP-ESCP Europe Médiateur agréé Marseille Médiation Martin LACOUR Avocat au Barreau de Paris Praticien et formateur en processus collaboratif (AFPDC) Formé à la négociation raisonnée et la médiation (IFOMENE) Membre de l’association CAP COLLABORATIF et de l’AFPDC [->lacour.martin@avocat-conseil.fr]
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