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L’heure de la régularisation du télétravail. Par Angeline Barbet-Massin, Avocat.
Parution : mardi 5 mai 2020
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A la suite des annonces du 16 mars 2020 du Président Emmanuel Macron, plus de cinq millions de Français, soit environ 25 % des salariés, travaillent depuis leur domicile.
Face à l’urgence sanitaire, ils ont été placés d’office en télétravail sans aucun formalisme.

Or, cette organisation du travail est en principe occasionnelle et nécessite l’accord du salarié. L’article L1222-11 du Code du travail précise cependant qu’« en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie », il n’est pas nécessaire de recueillir l’accord du salarié, ce qui a permis une mise en place collective et automatique du télétravail au sein des entreprises.

Compte tenu des annonces faites par le Premier Ministre Edouard Philippe, le 28 avril dernier, il apparaît que cette organisation du travail va perdurer et doit continuer à être privilégiée, notamment pour les cadres.

Il convient en conséquence, après l’urgence, de régulariser la situation.

1. Le principe : une mise en place encadrée.

Le télétravail doit être mis en place dans le cadre :
- d’un accord collectif,
- ou, à défaut, dans le cadre d’une charte « télétravail » élaborée par l’employeur après avis du comité social et économique, s’il en existe un.

Cet accord ou, à défaut, cette charte, doit préciser :
- Les conditions de passage au télétravail et de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail,
- Les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail,
- Les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail,
- La détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail.

2. Comment faire pour régulariser la situation ?

Plusieurs situations doivent être distinguées selon les dispositifs mis en place au sein de la Société avant l’épidémie de coronavirus :

- Si la Société avait déjà conclu un accord collectif :

Il conviendra, par le biais d’un avenant, d’adapter cet accord aux nouvelles réalités d’application du télétravail et notamment en élargissant le nombre de fonctions éligibles au télétravail, ainsi que le nombre de jours télétravaillés.
Les accords prévoyaient généralement un jour de télétravail par semaine, ce qui ne pourra plus être la norme aujourd’hui. Une réflexion également sur une rotation des équipes et des horaires pourra être menée à cette occasion.
Pour ce faire, il faudra se référer à la clause de révision insérée dans votre accord pour mettre en place cet avenant. Le CSE devra être informé et consulté.

- Si la Société avait mis en place une « Charte télétravail » :

Pour mémoire, lorsque l’employeur avait établi une charte pour encadrer le télétravail, il avait nécessairement élaboré cette charte après avis du comité social et économique (C. trav., art. L. 1222-9). De même, le CSE avait dû être consulté puisque la charte touche aux conditions de travail des salariés. (ANI, 19 juill. 2005, art. 11).

Ainsi, il appartiendra à la Société de modifier la Charte et de soumettre les modifications à l’avis et à la consultation du CSE.

- Si aucun accord ou charte n’existait au sein de la Société :

Pour aller le plus rapidement possible, l’élaboration par l’employeur d’une Charte télétravail est à privilégier. Cependant, la mise en place du télétravail par une charte ne pourra se faire que dans l’hypothèse où il y a des délégués syndicaux dans l’entreprise et que la négociation sur le télétravail a été engagée mais qu’elle a échoué.

En l’absence de délégué syndical, l’employeur peut directement opter pour la rédaction d’une charte et il n’est pas tenu d’utiliser les techniques subsidiaires de négociation (négociation avec un salarié mandaté, avec le CSE...).
En revanche, le CSE, s’il existe, devra être informé et consulté.

3. Qu’en est-il des coûts afférents du télétravail ?

Le télétravail était préalablement régi par les dispositions de l’article L1222-10 du Code du travail qui prévoyait que l’employeur devait prendre en charge « tous les coûts découlant directement de l’exercice du télétravail, notamment le coût des matériels, logiciels, abonnements, communications et outils ainsi que la maintenance de ceux-ci ».

Cependant, l’ordonnance 2017- 1387 du 22 septembre 2017 est venue modifier cet article et a supprimé cette disposition.

Est-ce à dire que la Société ne devra pas dédommager un salarié en télétravail ?

La question, à ce jour, n’a pas été réellement tranchée.

Cependant, l’article L1222-9 du Code du travail précise que pour le télétravail régulier, l’accord collectif ou la charte doivent prévoir « les conditions de mise en œuvre du télétravail », ce qui semble induire les conditions d’indemnisation du télétravail.

Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que l’employeur est tenu par une obligation de prise en charge des frais professionnels. Cette jurisprudence étant de portée générale, elle s’appliquerait également aux salariés en télétravail.

Le Ministère du travail est venu conforter cette analyse dans un question/réponse du 17 avril 2020 : ce question/réponse n’a aucune valeur contraignante mais les Sociétés auront plus de difficultés à pouvoir justifier une absence totale d’indemnisation de leurs salariés, en cas de demande.

Le Question/Réponse précise : « Dans le contexte de crise sanitaire actuel - le télétravail s’effectuant, dans la majorité des cas, sur la totalité de la durée de travail effectif et étant rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise, pour garantir la protection des salariés et pour des raisons de santé publique – il y a lieu de considérer que l’employeur est tenu de verser à son salarié une indemnité de télétravail, destinée à rembourser au salarié les frais découlant du télétravail.

En effet, l’employeur a une obligation de prise en charge des frais professionnels. Cette obligation est prévue sans restriction par la jurisprudence et celle-ci, de portée générale, doit couvrir les télétravailleurs.
Toutefois, au regard de la difficulté à identifier et circonscrire les dépenses incombant à l’activité professionnelle de celles relevant de la vie personnelle, l’employeur a intérêt à privilégier une somme forfaitaire qui sera de nature à simplifier sa gestion.

Si l’allocation versée par l’employeur est forfaitaire, elle sera réputée alors utilisée conformément à son objet et exonérée de cotisations et contributions sociales dans la limite globale de 10 euros par mois, pour un salarié effectuant une journée de télétravail par semaine. Cette allocation forfaitaire exonérée passe à 20 euros par mois pour un salarié effectuant deux jours de télétravail par semaine, 30 euros par mois pour 3 jours par semaine… (site Urssaf). Lorsque le montant versé par l’employeur dépasse ces limites, l’exonération de charges sociales pourra être admise à condition de justifier de la réalité des dépenses professionnelles supportées par le salarié ».

Attention donc à bien régulariser la situation au sein de votre entreprise, car si l’urgence a pu justifier un abandon du formalisme juridique au début de la crise, il n’en est plus de même aujourd’hui et cette situation pourra être source de conflits.

Angeline Barbet-Massin Avocat Associé Courriel: [->abarbetmassin@arrow-avocats.fr] Site: https://arrow-avocats.fr
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