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Prolongement des délais de la procédure d’instruction des AT/MP durant l’état d’urgence sanitaire. Par Soumia Aziria, Avocate.
Parution : mardi 5 mai 2020
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Le décret 2019-356 du 23 avril 2019, entré en vigueur le 1er décembre 2019, a refondé toute la procédure des accidents du travail (AT) et des maladies professionnelles (MP).

L’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 portant sur les diverses mesures prises pour faire face à l’épidémie de Covid-19, publiée au JO du 23 avril prolonge les délais applicables à la procédure de reconnaissance des accidents du travail et maladies professionnelles.

Les nouveaux délais applicables à la procédure d’instruction des accidents du travail.

Habituellement, la victime était tenue d’ informer son employeur dans les 24 heures de son accident. Ce délai a été prorogé de 24 heures. Il doit désormais informer son employeur dans un délai de 48 heures.

L’employeur quant à lui devait déclarer, à la Caisse primaire de d’assurance maladie (CPAM) dont relève la victime, tout accident dont il a connaissance dans un délai 48 heures. Ce délai est prorogé de 3 jours. Dorénavant, l’employeur dispose d’un délai de 5 jours francs [1] pour déclarer un AT.

En outre, l’employeur qui souhaite émettre des réserves sur l’accident dispose désormais d’un délai de deux jours supplémentaires pour formuler des réserves motivées auprès de la CPAM. Ainsi, il bénéficiera d’un délai de 12 jours francs au total. Il en est de même en cas de rechute.

En cas de réserves motivées, la Caisse procède à une instruction (enquête, questionnaire et consultation de dossier). L’employeur disposait d’un délai de 20 jours francs à compter de la réception du questionnaire pour répondre. Ce délai est désormais prorogé de dix jours francs, soit un délai total de 30 jours.

Pour notifier la décision de prise en charge ou la mise en place d’une enquête complémentaire, la CPAM disposait d’un délai de 30 jours. Ce délai est prorogé, sans indication de la durée exacte, jusqu’à une date fixée par arrêté, au plus tard le 1er octobre 2020.

Lors de l’envoi du questionnaire ou de l’ouverture de l’enquête complémentaire, la Caisse informe les parties des dates d’ouverture et de clôture de l’instruction ainsi que de la période au cours de laquelle ils peuvent formuler des observations ou uniquement consulter le dossier. Cette information devant être effectuée 10 jours francs au plus tard avant le début de cette phase de consultation.

A l’issue des investigations et au plus tard 70 jours francs à compter de la date de réception de la DAT, la Caisse met à disposition des parties prenantes le dossier pour consultation. Les parties disposent d’un délai de 10 jours pour consulter le dossier et formuler des observations. Il semblerait que ce délai soit prorogé de 20 jours [2].

Nouveauté, l’ordonnance du 22 avril 2020 offre également la possibilité de répondre aux observations formulées par l’une des parties et renforce le principe du contradictoire en imposant aux CPAM d’organiser une nouvelle consultation. Dans le cadre de la procédure de reconnaissance des accidents du travail et des maladies professionnelles, le salarié et l’employeur peuvent produire des éléments qui n’étaient pas présents au dossier au moment de la consultation des pièces. Dans cette hypothèse, une nouvelle consultation doit être organisée pour les parties, avant que la CPAM ne se prononce [3].

Dans le cadre d’une instruction, la Caisse disposait d’un délai de 90 jours pour notifier sa décision. A l’issue du délai, le caractère de l’accident est implicitement reconnu. Ce délai est prorogé jusqu’à une date fixée par arrêté, au plus tard le 1er octobre 2020.

En cas de rechute ou de nouvelle lésion, l’employeur disposait d’un délai de 20 jours francs pour répondre à compter de la date de réception du questionnaire. Ce délai est prorogé de cinq jours soit 25 jours francs à compter de la date de réception du questionnaire. La Caisse disposait habituellement d’un délai de 60 jours francs pour notifier sa décision de prise en charge ou non de la rechute. Ce délai est prorogé jusqu’à une date fixée par arrêté, au plus tard le 1er octobre 2020.

Les nouveaux délais applicables à la procédure d’instruction des maladies professionnelles.

Habituellement, la déclaration de maladie professionnelle accompagnée du certificat médical initial devait être adressée par la victime ou ses ayants droit à la caisse dans les 15 jours qui suivent la cessation du travail. Cette durée initiale est prorogée de 15 jours. Ainsi, la victime disposera dorénavant d’un délai de 30 jours soit 1 mois pour déclarer son affection à compter de la cessation du travail. La CPAM est tenue d’adresser rapidement à l’employeur un double de la déclaration de maladie professionnelle (DMP) et du certificat médical initial (CMI).

Dans le cas d’une révision ou d’un ajout de tableau des maladies professionnelles, la victime disposait de trois mois à compter de l’entrée en vigueur du nouveau tableau. Ce délai est prolongé de deux mois. La victime aura donc 5 mois pour transmettre sa DMP.

L’instruction débute toujours par l’envoi d’un questionnaire portant sur les conditions de travail. Dès réception, l’employeur dispose de 30 jours pour répondre au questionnaire. Ce délai est prorogé de 10 jours supplémentaires, soit une durée totale de 40 jours.

La CPAM peut procéder à une enquête complémentaire. Néanmoins, elle doit informer l’employeur de la procédure d’instruction, c’est-à-dire de la date avant laquelle elle devra prendre sa décision, et des dates de la mise à disposition du dossier. Cette information devant être effectuée fournie 10 jours francs au plus tard avant le début de cette phase de consultation.

Le dossier est mis à disposition au plus tard 100 jours après la réception des documents (DPM + CMI) pour une première phase de consultation avec une possibilité d’observations écrites des parties durant 10 jours francs. Ce délai de mise à disposition du dossier dans le cadre de la procédure de reconnaissance des maladies professionnelles mentionnées à l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale est prorogé de vingt jours (Ord, art 11, alinéa 5). Ainsi, les parties disposeront d’une durée totale de 30 jours pour consulter le dossier et formuler des observations. En principe, 10 autres jours francs sont laissés aux parties avant la décision de la caisse, au cours desquels les parties pourront consulter les pièces du dossier sans pouvoir formuler d’observations.

L’ordonnance du 22 avril 2020 prévoit également un droit de consulter une seconde fois le dossier d’instruction dans l’hypothèse où l’une des parties prenantes formule des observations. Cette possibilité n’était pas prévue dans la procédure d’instruction habituelle.

Au terme du délai de 120 jours, la caisse informe l’employeur de sa décision de refus, de prise en charge ou de saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). Ce délai est prorogé jusqu’à une date fixée par arrêté, au plus tard le 1er octobre 2020. La saisine du CRRMP ouvre un nouveau délai d’instruction de 120 jours au maximum, lequel est également prorogé jusqu’à une date fixée par arrêté, au plus tard le 1er octobre 2020.

Les délais de contestation des décisions de prise en charge ou de notification des taux d’IPP.

Pour rappel, l’employeur doit introduire son recours, devant la commission de recours amiable (CRA) de la CPAM, dans un délai de deux mois suivant la notification de la décision de prise en charge. A défaut, la décision de reconnaissance est définitive pour l’employeur. Il en va de même s’agissant des contestations des taux d’incapacité permanente partiel (IPP). L’employeur doit former son recours devant la commission médicale de recours amiable de la CPAM dans un délai de deux mois.

Néanmoins, ces délais de contestation des décisions de prise en charge ont été suspendus par l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 relative à la « prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et l’adaptation des procédures pendant cette même période ».

En effet, tous les actes, recours, actions en justice, formalités, inscriptions, déclarations, notifications ou publications, prescrits par la loi ou le règlement, à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, désistement d’office, péremption, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque sont suspendus à compter du 12 mars 2020 jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire. Ainsi, le terme des délais échus avant le 12 mars 2020 n’est pas reporté et les délais dont le terme est fixé au-delà d’un mois suivant la date de la cessation de l’état d’urgence sanitaire ne sont pas prorogés. A ce jour, la date de la cessation de l’état d’urgence est le 24 mai 2020. Elle pourrait être modifiée en fonction de l’évolution de la crise sanitaire.


Concrètement, que le délai ait expiré le 17 mars 2020 ou va expirer le 17 mai 2020, les mêmes règles s’appliquent. Les délais recommencent à courir à nouveau pour leur durée initiale, un mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire. Ainsi, les délais de contestation des décisions de prises en charge sont suspendus depuis le 12 mars et recommencent à courir à compter du 24 juin. Aussi, tous les délais de recours contre les décisions de la CPAM notifiées depuis le 12 janvier contestables jusqu’au 12 mars sont suspendus. Les recours devront être introduits au plus tard le 24 août 2020.

Exemple :
- Décision notifiée le 9 janvier : recours CRA au 9 mars.
- Décision notifiée le 12 mars : délai suspendu jusqu’à un mois suivant la fin de l’état d’urgence soit jusqu’au 24 juin. Recours CRA jusqu’au 24 août 2020.
- Décision notifiée le 28 avril : délai suspendu jusqu’au 24 juin. Recours CRA jusqu’au 24 août 2020.

Il en va de même pour la contestation des taux IPP :
- Notification du taux IPP le 10 janvier : recours CMRA au 10 mars.
- Notification du taux IPP le 14 janvier : délai au 14 mars suspendu jusqu’au 24 juin. Recours CMRA jusqu’au le 24 août.

S’agissant de la saisine du tribunal judiciaire, tous les délais de recours sont suspendus depuis 12 mars jusqu’à un mois suivant la cessation de l’état d’urgence.

En conséquence, aucune forclusion ne pourra être opposée en l’absence de recours durant l’ensemble de la période « juridiquement protégée » c’est à dire du 12 mars jusqu’à la cessation de l’état d’urgence sanitaire + 1 mois [4].

L’employeur devra introduire ses recours avant le 24 août 2020 sauf modification de la date de cessation de l’état d’urgence liée à l’évolution de la crise sanitaire. A suivre donc…

Soumia Aziria, Docteur en droit Avocate au barreau de Paris https://aziria-avocat.fr/

[1Ce décompte s’effectue en jours francs, c’est-à-dire qu’on ne prend pas en compte le jour d’envoi. Le premier jour de décompte est le jour suivant la notification de la décision. 
Le dernier jour compte entièrement dans le délai jusqu’à minuit inclus. Si le délai obtenu après calcul se termine le week-end ou un jour férié, le délai est prolongé jusqu’au 1er jour ouvrable suivant. Si, après report, le dernier jour obtenu est encore un jour férié, un samedi ou un dimanche, il est à nouveau reporté, selon les mêmes principes

[3Article 11.6 de l’ordonnance précitée.

[4Circulaire du 26 mars 2020 de présentation des dispositions du titre I de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période

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