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Utilisation des réseaux sociaux au Maroc : Un projet de loi démesuré. Par Iliass Segame, Avocat.
Parution : mardi 5 mai 2020
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Approuvé par le Conseil du gouvernement le 19 mars 2020, l’engouement et les critiques acerbes que suscitent ce texte sont manifestes eu égard aux circonstances qui l’ont révélé au public, alors que le projet est encore en passe d’être soumis au Parlement. Une telle initiative, quand bien même ne revêtirait-elle que la forme d’une première mouture, nécessite que l’on s’attelle à l’étude de ses principales dispositions en raison de l’ampleur des considérations juridiques susceptibles d’être générées.

« Les réseaux sociaux, les réseaux de diffusion et les réseaux assimilés présentent de nombreux défis et menaces liés principalement aux risques engendrées par la cybercriminalité ainsi que les phénomènes d’atteinte à la sécurité numérique des citoyens, des institutions eu égard, particulièrement, à l’augmentation des bénéficiaires des services d’Internet ainsi que la prolifération des opérations à distance suite au développement des moyens.

Conscient du caractère impératif et de l’importance du développement numérique et des risques que celui-ci présente, le Maroc a récemment initié un ensemble de mesures juridiques et institutionnelles visant à lutter contre les nouveaux modes de cybercriminalité, sans porter atteinte à la liberté de communication numérique à travers les nouveaux médias dans la mesure où celle-ci est considérée comme étant une forme d’exercice de la liberté d’expression garantie en vertu de la constitution » [1].

C’est en ces termes, entre autres, qu’a été introduite la première mouture du projet de loi n°22.20 réglementant l’utilisation des réseaux sociaux, des réseaux de diffusion et des réseaux assimilés. Approuvé par le Conseil du gouvernement [2] le 19 mars 2020, l’engouement et les critiques acerbes que suscitent ce texte sont manifestes eu égard aux circonstances qui l’ont révélé au public [3], alors que le projet est encore en passe d’être soumis au Parlement. Il s’agit là d’une démarche inédite du législateur qui tente de réglementer l’activité des « fournisseurs de services » de réseaux sociaux, dont l’impact n’est plus à démontrer, et qui échappe à tout contrôle de l’Etat. Une telle initiative, quand bien même ne revêtirait-elle que la forme d’une première mouture, nécessite que l’on s’attelle à l’étude de ses principales dispositions en raison de l’ampleur des considérations juridiques susceptibles d’être générées [4].

En effet, à la lecture de la lettre du projet de loi, il en ressort que le législateur entend prôner une régulation intempestive de l’exploitation des réseaux sociaux (I), en dotant l’administration ou l’institution désignée à cet effet d’un ensemble de prérogatives exorbitantes (A) lui permettant de faire exécuter par les fournisseurs de réseaux les obligations qui leur incombent en vertu dudit projet (B). Cette réglementation s’accompagne d’une série de sanctions draconiennes (II) aux fins de lutter contre les atteintes à la sûreté et à l’ordre public économique (A) ainsi qu’à l’encontre de la diffusion de fausses nouvelles (Fake news) et d’actes portant préjudice à l’intégrité des personnes (B).

I) Une régulation démesurée de l’utilisation des réseaux sociaux.

Champ d’application. En vertu de l’article 3 alinéa 1 du texte projet de loi « Sont soumis aux dispositions de la présente loi les fournisseurs exploitant la plateforme Internet pour proposer les services de réseaux sociaux ou de diffusion, ou tout autre service assimilé, aux utilisateurs dans un but lucratif et sont dénommées ci-après ’les fournisseurs de services ».

Qu’est-il exactement entendu par réseaux sociaux ? A la lecture de l’article 1 du projet de loi, il s’agit « des sites électroniques qui disposent d’une plateforme internet et fondés sur certaines bases informatiques, et qui permettent à leurs utilisateurs de créer des comptes personnels ou des pages personnelles et de communiquer, de publier, de partager des contenus électroniques ainsi que d’interagir avec le contenu des autres utilisateurs ».

C’est ainsi que toute entreprise ou fournisseur qui proposerait, à but lucratif, des services de réseaux sociaux, à l’instar du groupe Facebook, serait donc assujettie aux dispositions du projet de loi.

Par ailleurs, les utilisateurs faisant recours aux services des réseaux sociaux [5] sont également concernés par ce projet de loi dans la mesure où l’alinéa 2 du même article précise que « Sont également soumis aux dispositions de la présente loi les usagers des réseaux sociaux, les réseaux de diffusion et assimilés qui procèdent à la publication de certains contenus ou au partage de ceux-ci avec d’autres utilisateurs ou à l’interaction avec les contenus publiés ou permettent de rendre lesdits contenus disponibles au public ».

Ceci étant, le projet de loi a également soumis à ses dispositions, « les plateformes dédiées à la communication individuelle ou à la publication d’un contenu spécifique » [6]. La formule adoptée, empreinte de généralité et d’ambiguïté, permet de couvrir une catégorie de plateformes [7] qui ne répond pas aux critères de définition du concept de « réseau social ».

En revanche, le législateur a expressément exclu du champ d’application du projet de loi en disposant que les « journaux électroniques, qui ne sont pas considérés comme étant des réseaux sociaux conformément au projet de loi, demeurent soumis à la réglementation qui leur est applicable » [8].

Aux fins d’exercer un contrôle sur les fournisseurs de services présents en territoire marocain (B), le législateur entend doter l’administration ou l’institution désignée d’un ensemble de prérogatives (A).

A) Des prérogatives exorbitantes conférées à l’administration ou à l’institution désignée.

Pouvoir de supervision et de contrôle. Pour permettre toute la latitude dans l’exercice de son autorité, le législateur confère à l’administration désignée à cet effet « les fonctions de superviser ou de contrôler les services présentés par les réseaux sociaux, de diffusion et autres réseaux assimilés. Il lui appartient, de manière générale, d’assurer la bonne application des dispositions de la présente loi » [9].

Octroi d’autorisation. Parmi ses autres fonctions, l’administration ou l’institution désignée serait compétente en vertu de l’article 6 du projet pour octroyer une autorisation ou une licence d’exploitation aux fournisseurs de réseaux présents sur le territoire marocain préalablement à l’exercice de leurs activités. S’agissant des fournisseurs de réseaux situés en dehors du territoire marocain échappant à l’emprise de l’administration ou l’institution désignée, celle-ci peut toutefois conclure des conventions de coopération et de partenariat avec ces entités [10].

Pouvoir de sanction. Le législateur permet à l’administration ou l’institution désignée de prononcer un certain nombre de mesures coercitives à l’encontre des fournisseurs de services qui ne se conformeraient pas aux obligations qui leur incombent en vertu du projet de loi [11]. C’est ainsi que l’administration est compétente pour envoyer des mises en demeures, dans un premier temps, au fournisseur de services « défaillant » lorsqu’il ne fait pas suite immédiatement à toute demande présentée par l’administration désignée et qu’il ne procède pas à la suppression de tout contenu illicite [12] ou portant manifestement atteinte à la sûreté et l’ordre public, et ce, après cinq (5) jours à compter de la réception. A défaut d’obtempération, l’administration peut prononcer une sanction administrative s’élevant à 500.000 dirhams en suspendant son activité temporairement et ce, dans un délai ne pouvant être supérieur à cinq (5) jours.

Quid si le fournisseur de services ne donne toujours pas suite à la demande de l’administration dans le délai de cinq (5) jours ? Dans cette situation, l’administration ou l’institution désignée à cet effet retire l’autorisation ou la licence d’exploitation qui leur a été délivrée et leur interdit d’exercer leurs activités au sein du territoire marocain en procédant au traitement des contraventions relevés sur les réseaux sociaux, les réseaux de diffusion et autres assimilés [13].

B) Des obligations particulièrement fastidieuses incombant aux fournisseurs de réseaux.

Le projet de loi met à la charge des fournisseurs de réseaux un certain nombre d’obligations des plus laborieuses. La lettre des articles 8 et 9 illustre parfaitement ce constat. En effet, l’article 8 du projet impose aux fournisseurs de réseaux de mettre en œuvre une procédure interne efficace et transparente aux fins de traiter les plaintes relatives aux contenus électroniques illégaux, en permettant aux usagers à travers des mesures simplifiées et accessibles à tout moments de signaler et présenter les plaintes relatives aux contenus illicites. Par ailleurs, l’article précité indique également qu’« Il convient au fournisseur de services de permettre :

1) La consultation immédiate du contenu de la plainte et la vérification de sa conformité puis sa conservation ou sa prohibition, sa suspension ou la restriction de son accès ;

2) Donner suite à toute demande présentée par l’administration ou l’instance désignée à cet effet tendant à supprimer, interdire, cesser, ou restreindre l’accès à tout contenu électronique illicite ;

3) Supprimer, interdire, restreindre l’accès à tout contenu électronique qui constitue manifestement une menace dangereuse à la sûreté, l’ordre public ou qui serait susceptible de porter atteinte aux constantes du Royaume, ses sacralités et ses symboles dans un délai ne pouvant être supérieur à 24 heures à compter de la date de réception de la plainte, sous réserve d’accord sur une durée supérieure entre les deux parties (...) ;

4) La conservation, en cas de suppression, du contenu électronique illicite en tant que preuve pendant une période de 4 années à compter de la date de suppression. Ces contenus sont mis à la disposition de l’administration ou de l’instance désignée à cet effet et qui en fait la production devant les autorités judiciaires et administratives compétentes à chaque fois que nécessaire.

5) La notification immédiate de la partie plaignante et de l’utilisateur de toute décision prise concernant les contenus électroniques illicites accompagnée des justifications liée à cette mesure ».

Quant à l’article 9, celui-ci fait également montre de la même rigidité en édictant des mesures toutes aussi fastidieuses. C’est ainsi que les fournisseurs de réseaux, de réseaux de diffusion et de réseaux assimilés devront « présenter un rapport annuel comprenant l’inventaire des différents cas inhérents aux contenus illicites, du mode de traitement des plaintes y relatives. Ledit rapport est obligatoirement publié sur leurs sites électroniques dans un délai ne pouvant être supérieur à un mois après la fin de l’exercice précédent ».

L’article 9 ne s’arrête pas là et indique que le rapport précité « doit être visible en première page du site électronique et disponible au public de façon continue et qu’il comprenne au moins les éléments suivants :
1- Les principales remarques relatives aux efforts effectués par les fournisseurs de réseaux pour lutter contre les crimes commis sur la plateforme internet qu’ils exploitent ;
2- Une description exacte du mode de dépôt des plaintes et de signaux des contenus électroniques illicites en déterminant les critères retenus quant à la prise des décisions de suppression, ou d’interdiction, ou de cessation des contenus illicites ou la restriction de leurs accès ;
3- Le nombre de plaintes déposées à propos des contenus illicites pendant la période couverte par le rapport, en distinguant entre les plaintes présentées par l’administration ou l’institution désignée à cet effet, et les utilisateurs personnes physiques ou morales en précisant les motifs de ces plaintes ;
4- La structure interne et les ressources humaines ainsi que les compétences techniques et linguistiques des systèmes responsables du traitement ;
5- Le nombre de plaintes ayant fait l’objet de consultations avec l’administration désignée à cet effet en vue de prendre une décision ;
6- Le sort des plaintes déposées et la décision prise à leur égard en distinguant entre celles présentées par l’administration ou par les utilisateurs ;
7- Déterminer la durée entre la réception des plaintes, signaux et la décision prise à leur égard ;
8- Les mesures retenues pour avertir la partie notifiée ou la partie plaignante et l’utilisateur titulaire du contenu signalé ou la plainte de la décision prise ;
9- Les difficultés rencontrées par les fournisseurs de réseaux pendant le traitement des plaintes et la prise de décision concernant les contenus électroniques illicites, accompagnées de propositions permettant d’améliorer les moyens de défense contre lesdites difficultés le cas échéant
 ».

II) Un arsenal de mesures draconiennes.

Le législateur a consacré le reste des dispositions du projet de loi, treize au total, à une série de mesures privatives de liberté et d’amendes, ou l’une de ces deux peines seulement, aux fins de lutter contre de nombreux actes susceptibles de faire l’objet de répressions au regard du projet de loi. Par souci d’organisation, ceux-ci seront classés selon qu’il s’agit d’atteintes portant préjudice à la sûreté et à l’ordre public économique (A) ou d’actes portant préjudice à l’intégrité des personnes physiques (B).

A) Les sanctions relatives aux atteintes à la sûreté et à l’ordre public économique.

Fabrication d’explosifs.
Les rédacteurs du projet de loi, au sein de l’article 13, sanctionnent « d’emprisonnement de 6 mois à 5 ans et d’une amende allant de 10.000 à 100.000 dirhams ou de l’une de ces peines seulement, tout individu qui sciemment, à travers les réseaux sociaux, ou les réseaux de diffusion, ou autres réseaux assimilés, procède à la publication et à la promotion d’un contenu électronique comportant la manière de fabriquer des équipements de destruction produits à base de poudres ou de matières explosives, ou de matières nucléaires ou biologiques ou chimiques ou de tout autre produit dédié à l’usage domestique, industriel ou lié à l’agriculture ».

L’appel au boycott.
Jusqu’à présent, l’appel au boycott de certains produits ou services ne peut être sanctionné au Maroc à moins que ce fait ne soit instigué par un concurrent de mauvaise foi conformément aux dispositions de l’article 184 de la loi 17-97 relative à la protection de la propriété industrielle et qui prévoient que « Constitue un acte de concurrence déloyale, tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. Sont notamment interdits :
(…)
2) Les allégations fausses dans l’exercice du commerce de nature à discréditer l’établissement, les produits ou l’activité industrielle ou commerciale d’un concurrent ;
 ».

Les appels au boycott empruntant désormais la plateforme des réseaux sociaux pour atteindre un nombre optimal de personnes, l’identification des instigateurs n’est pas du tout évidente dans la mesure où les politiques de confidentialité de la plupart des « fournisseurs de réseaux », à l’instar du groupe Facebook, sont très rigoureuses.

Aux fins de contrecarrer les appels au boycott sur les réseaux sociaux, le législateur, en vertu de l’article 14 du projet prévoit une peine « d’emprisonnement allant de 6 mois à 3 ans et d’une amende de 5.000 à 50.000 dirhams ou l’une de ces deux peines seulement, quiconque, à travers les réseaux sociaux, ou les réseaux de diffusion, ou autres réseaux assimilés, appelle au boycott de certains produits, ou marchandises, ou services, ou y incite ouvertement ».

L’appel au retrait de fonds des établissements de crédits et assimilés.
A cet égard, les rédacteurs du projet de loi ont également érigé une sanction consistant en une peine « d’emprisonnement de 6 mois à 3 ans et d’une amende allant de 5.000 à 50.000 dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque sciemment, à travers les réseaux sociaux, ou les réseaux de diffusion, ou autres réseaux assimilés, instigue le public ou les incite en vue de retirer leurs fonds des établissements de crédit ou autre institutions assimilées ».

Les « Fake news » portant atteinte à l’ordre public.
Pour la première fois, le législateur consacre une définition expresse de « la fausse nouvelle ». En effet, en vertu des dispositions du dernier alinéa de l’article 16 « Il est entendu par fausse nouvelle au sens du présent article, toute nouvelle conçue délibérément qui est publiée dans l’intention de tromper une autre partie et l’inciter à croire aux mensonges ou de mettre en doute les faits susceptibles d’être établis ». C’est ainsi qu’est passible d’une peine d’emprisonnement de 3 mois à 2 ans et d’une amende de 1.000 à 5.000 dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque procède, sciemment, à la publication sur les réseaux sociaux d’un contenu électronique comportant une fausse nouvelle [14]. Lorsque ce fait est susceptible de provoquer la terreur des personnes et de menacer leur quiétude, la peine énumérée précédemment est portée au double [15].

S’agissant de la propagation, sur les réseaux sociaux, de fausses nouvelles portant préjudice à l’ordre public, la sécurité nationale, sa stabilité ou le cours normal de ses institutions, les rédacteurs du projet ont prévu au sein de l’article 17 une peine « d’emprisonnement allant de 2 ans à 5 ans et d’une amende de 3.000 dirhams à 30.000 dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement ».

Les « Fake news » portant atteinte aux produits et services et aux personnes morales.
En sus de la répression de l’appel au boycott, une autre mesure pénale, relative à la publication et à la diffusion de fausses nouvelles mettant en doute la qualité de certains produits et services, a été consacrée par le projet de loi. C’est ainsi que l’article 18 du projet prévoit une peine d’emprisonnement de 6 mois à 3 ans et d’une amende de 2.000 à 20.000 dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement à cet égard. Cette disposition ne manquera pas de provoquer une myriade de controverses dans la mesure où l’appréciation de la qualité ou du danger potentiel que peut constituer un produit nécessite le recours à des expertises techniques, voire à l’établissement de procès-verbaux de constatation par avoué judiciaire ou encore à des actions judiciaires, pour en établir la preuve.

Relevons par ailleurs que les entreprises ainsi que les établissements financiers bénéficient d’une protection particulière dans la mesure où les actes de boycott ou la diffusion de fausses nouvelles sont susceptibles d’engendrer une autre peine, à l’égard des contrevenants, fondée sur le préjudice causé aux personnes morales [16].

B) Les sanctions relatives aux atteintes à l’intégrité des personnes physiques.

Les dispositions du projet de loi prévoient également un dispositif tendant à protéger l’intégrité des personnes physiques sur les réseaux sociaux, notamment les mineurs. De façon générale, le législateur, a érigé une série de sanctions concernant :

L’usurpation d’identité numérique ou l’utilisation frauduleuse de données de tiers.
Précisions d’emblée qu’il est entendu par identité numérique aux termes de l’article 1 du projet de loi, « toutes les informations et données qui expriment la présence d’une personne sur la plateforme Internet, indépendamment de sa nature, plus particulièrement l’adresse du protocole internet qui s’attache à son ordinateur au réseau ou son adresse électronique et le mot de passe ainsi que le nom d’utilisateur ou le pseudonyme sous lequel il est connu sur les réseaux sociaux, ou les réseaux de diffusion, ou les réseaux assimilés, ou ses photos personnelles et de manière générale, toutes les données permettant son identification ». C’est ainsi que les rédacteurs du projet de loi ont érigé une sanction consistant en « l’emprisonnement de 6 mois à 3 ans et d’une amende de 3.000 à 30.000 dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement, quiconque procède, sciemment, à travers les réseaux sociaux, ou les réseaux de diffusion, ou autres réseaux assimilés, à l’usurpation de l’identité numérique de tiers ou l’utilisation de toutes données permettant de l’identifier afin de menacer sa quiétude et celle de tiers ou de porter atteinte à son honneur et à l’intégrité qui lui est dû ».

Le chantage électronique.
Cette forme de chantage n’étant pas expressément sanctionnée par le Code pénal marocain, le législateur pallie cette insuffisance en sanctionnant quiconque « procède au chantage en menaçant de publier par le biais des réseaux sociaux, ou les réseaux de diffusion, ou autres réseaux assimilés, d’un enregistrement ou d’un document comprenant des photos ou des conversations à caractère sexuel ou autres, obtenus par le consentement express ou tacite ou sans le consentement de la part de la personne concernée », d’un peine d’emprisonnement d’une année à ans et d’une amende de 5.000 à 50.000 dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement.

Publication de contenus violents, de nature pornographique ou dangereux.
Enfin, les rédacteurs du projet de loi ont consacré une série de sanctions privatives de liberté assorties d’amendes, ou de l’une de ces deux peines seulement, concernant la publication de contenus comprenant des actes de violences physiques [17], plus particulièrement lorsque il est susceptible de porter préjudice à la santé psychologique et physique des mineurs ou des personnes souffrant de déficiences mentales [18]. Par ailleurs, est également réprimandée la publication ou la diffusion, de contenus pornographiques transmis aux mineurs [19].

Par ailleurs, est également passible de sanctions, l’envoi, la publication ou la diffusion ou le partage de contenus incitant les mineurs à prendre part à des jeux dangereux susceptibles de les exposer à un danger psychologique ou physique, ainsi que la commercialisation de ce type de contenus dès lors qu’il est accessible aux mineurs [20]. Relevons enfin que les actes relatifs aux « jeux » précédemment énumérés sont passibles de peines en fonction des dommages subis par les mineurs ayant pris à ces activités.

Conclusion

La « réglementation » suggérée de l’utilisation des réseaux sociaux s’apparente davantage à un contrôle absolu et total. En effet, une lecture superficielle des obligations incombant aux « fournisseurs de services » de réseaux sociaux permet de réaliser toute l’étendue de l’immixtion et du contrôle démesurés exercé par l’administration qui serait désignée à cette fin ; d’aucuns y voient une extension supplémentaire du pouvoir de contrôle de l’Etat quant à l’appréciation du contenu publié et diffusé à travers les réseaux sociaux et autres assimilés, à l’aune des dispositions pénales consacrées par ledit projet.

Pour l’heure, les nombreux détracteurs du projet de loi sont rassurés à l’idée qu’aucun des « fournisseurs de services de réseaux sociaux » majeurs ne dispose d’une entité au Maroc, du moins pour l’instant.

D’autres, excipent d’une atteinte manifeste et d’une régression des acquis constitutionnels, plus particulièrement en ce qui a trait aux libertés de pensée, d’opinion et d’expression garanties en vertu de l’article 25 de la Constitution. A cet égard, les rédacteurs du projet de loi, au sein de l’article 2 du projet de loi, après avoir disposé que « la liberté de communication numérique à travers les réseaux sociaux, les réseaux de diffusion, et les autres réseaux assimilés est garantie », entendent légitimer et ériger les mesures consacrées en exceptions en poursuivant que « Cette liberté est exercée conformément à la Constitution et aux termes et conditions énumérés dans la présente loi ainsi qu’en application des textes législatifs et réglementaires en vigueur ».

S’agissant du droit des consommateurs, le projet de loi précité s’opposerait, selon cette tendance, farouchement aux droits fondamentaux que le législateur souhaitait renforcer en vertu du préambule de la loi n°31-08 relative aux mesures de protection du consommateur et qui dispose que « La présente loi constitue un cadre complémentaire du système juridique en matière de protection du consommateur, à travers laquelle sont renforcés ses droits fondamentaux, notamment :
(…)
- le droit au choix ;
- le droit à l’écoute
 ».

Dans une perspective économique, d’aucuns considèrent que le dispositif édicté par le projet de loi constitue une entrave au développement de l’économie nationale dans la mesure où celui-ci fausserait, davantage, le jeu de la concurrence et restreindrait l’initiative privée et la liberté d’entreprendre quant au développement d’une éventuelle activité des fournisseurs de services des réseaux sociaux sur le territoire marocain.

Indubitablement, le développement législatif du projet de loi relatif à l’utilisation des réseaux sociaux sera scrupuleusement suivi par la majorité des acteurs de la société marocaine, tant les controverses dont il fait l’objet suscitent leur appréhension et leur ire suite à sa révélation opportune.

Iliass Segame, Avocat, Chercheur en Droit

[1Paragraphe 4 et 5 du préambule du projet de loi n°22.20 relatif à l’exploitation des réseaux sociaux et des réseaux de diffusion et des réseaux assimilés (traduite en français).

[2En tenant compte des commentaires soulevés à cet égard et qui seront étudiés par la commission technique, puis ministérielle sollicitées à cet effet.

[3La note issue de la réunion du conseil de gouvernement du 19 mars confirmait l’approbation de la première mouture du projet de loi en question sur le site du secrétariat général du gouvernement sans que le texte celle-ci ne soit rendue publique sur la même plateforme.

[4Sous réserve toutefois d’une adoption en l’état par le Parlement.

[5En disposant par exemple d’un compte sur ces réseaux.

[6Art. 3 dernier alinéa du projet de loi.

[7L’on pense notamment aux blogs et autres plateformes dédiées qui se spécialisent dans des thèmes en particulier et dont le contenu n’est pas nécessairement publié sur les réseaux sociaux.

[8Article 4 du projet de loi.

[9Article 5 du projet de loi.

[10Article 7 du projet de loi.

[11Articles 10,11 et 12 du projet de loi.

[12L’appréciation du caractère illicite du contenu numérique est considérée à l’aune des dispositions 13 à 25 de la présente loi.

[13Art. 11.

[14Article 16 alinéa 1.

[15Article 16 alinéa 2.

[16Article 19 du projet.

[1717 Art. 22.

[1818 Art. 23.

[19Art. 24.

[20Art. 25.

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