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COVID-19 : l’homologation des ruptures conventionnelles reprend son cours. Par Xavier Berjot, Avocat.
Parution : lundi 27 avril 2020
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Un décret n° 2020-471 du 24 avril 2020 « portant dérogation au principe de suspension des délais pendant la période d’état d’urgence sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 dans le domaine du travail et de l’emploi » (JO 25) met fin à une incertitude juridique qui pesait sur l’homologation des ruptures conventionnelles.

1/ L’incertitude : l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020.

Afin de faire face aux conséquences de la propagation de la pandémie du Covid-19, les délais de certaines procédures administratives ont été suspendus par une ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

En effet, l’article 2 de l’ordonnance dispose :
« Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ».

L’article 1er I de l’ordonnance précise que sont inclus dans son champ d’application les délais arrivant à échéance entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré, et le cas échéant, prorogé.

La loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 du 23 mars 2020 a été publiée le 24 mars 2020 et prévoit, en son article 4, une durée de deux mois à compter de son entrée en vigueur.

Il est ainsi prévu que l’état d’urgence sanitaire se termine le 24 mai 2020.

L’ordonnance n° 2020-306 vise donc les délais qui arrivent à échéance entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020 [1].

L’article 1er II, précise que sont exclus du champ d’application de ce texte :
- Les délais et mesures résultant de l’application de règles de droit pénal et de procédure pénale, ou concernant les élections régies par le code électoral et les consultations auxquelles ce code est rendu applicable ;
- Les délais concernant l’édiction et la mise en œuvre de mesures privatives de liberté ;
- Les délais concernant les procédures d’inscription dans un établissement d’enseignement ou aux voies d’accès à la fonction publique ;
- Les obligations financières et garanties y afférentes mentionnées aux articles L211-36 et suivants du code monétaire et financier ;
- Les délais et mesures ayant fait l’objet d’autres adaptations particulières par la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 ou en application de celle-ci.

Enfin, l’article 1er III prévoit que sont incluses les mesures restrictives de liberté et aux autres mesures limitant un droit ou une liberté constitutionnellement garantie, sous réserve qu’elles entraînent pas une prorogation au-delà du 30 juin 2020.

Seule la matière pénale étant exclue des prévisions de l’ordonnance, celle-ci s’applique à toute la matière civile, commerciale, fiscale et sociale.

2/ La position de certaines DIRECCTES [2].

Après la publication de l’ordonnance, beaucoup de praticiens du droit du travail et d’employeurs se sont interrogés sur le point de savoir s’il était toujours possible ou opportun de signer une rupture conventionnelle et d’en obtenir l’homologation.

Certaines DIRECCTES admettaient l‘homologation des ruptures conventionnelles et facilitaient même la démarche de l’employeur et du salarié en prononçant des homologations expresses.

D’autres DIRECCTES adoptaient la position suivante :

L’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 a modifié les délais échus pendant la période d’urgence sanitaire.

Elle prévoit notamment la suspension des délais à compter du 12 mars, jusqu’au 24 juin 2020 [3], notamment pour tout acte ou formalité de manière générale prescrit par la loi ou le règlement sous peine de nullité ou sanction [4], et pour les décisions acquises implicitement en matière de procédure administrative [5].

Ainsi, concernant l’incidence en matière de rupture conventionnelle et, sous réserve de précisions futures données par l’administration du travail :

S’agissant du délai de rétraction de 15 jours calendaires courant à compter de la signature de la convention prévu à l’article L1237-13 du code du travail, il existe deux cas de figure :
- le délai de rétraction est écoulé avant le 12 mars, c’est-à-dire que la convention de rupture a été signée avant le 25 février 2020 (inclus). Dans ce cas, le droit de rétraction de chaque partie doit être regardé comme éteint et la procédure peut suivre son cours ;
- le délai de rétraction n’est pas écoulé avant le 12 mars, c’est-à-dire que la convention de rupture a été signée après le 25 février (non inclus). Dans ce cas, ce délai est suspendu à date et recommencera à courir à l’issue du 24 juin 2020 [6].

S’agissant du délai d’instruction de 15 jours ouvrables à compter de la réception de la demande d’homologation par la DIRECCTE prévu à l’article L1237-14 du code du travail - commençant à courir le lendemain du jour ouvrable de réception et expirant au dernier jour ouvrable d’instruction à 24 heures -, il est également suspendu pour toutes les demandes d’homologation reçu après le 22 février 2020 (non inclus).

Les DIRECCTES en tiraient les conclusions suivantes :
- d’une part, pour les demandes effectuées après cette date, l’homologation n’est plus réputée acquise à l’issue du délai d’instruction de 15 jours. L’homologation tacite n’interviendra qu’à l’issue du délai qui recommencera à courir après le 24 juin 2020 ;
- d’autre part, toute convention signée après le 28 février 2020 (inclus), dont le délai de rétractation n’est donc pas échu au 12 mars 2020, ne pourra pas faire l’objet d’une acceptation expresse dans la mesure où les parties pourraient toujours se rétracter postérieurement au 24 juin 2020.

Cette position des DIRECCTES - certes juridiquement étayée - était susceptible de bloquer la conclusion des ruptures conventionnelles.

3/ Les apports du décret n° 2020-471 du 24 avril 2020.

Le décret dresse une liste de dérogations au principe de suspension des délais, fondées sur des motifs de sécurité, de protection de la santé, de sauvegarde de l’emploi et de l’activité, ainsi que sur des motifs de sauvegarde de l’emploi et de l’activité et de sécurisation des relations de travail et de la négociation collective.

Son article 1er dispose :
- « En application de l’article 9 de l’ordonnance du 25 mars 2020 susvisée, l’annexe au présent décret fixe les catégories d’actes, de procédures et d’obligations, dont les délais, suspendus à la date du 12 mars 2020 en application des articles 7 et 8 de la même ordonnance, reprennent leur cours, pour des motifs de sécurité, de protection de la santé, de sauvegarde de l’emploi et de l’activité, et de sécurisation des relations de travail et de la négociation collective ».

L’annexe prévoit expressément « l’homologation de la rupture conventionnelle », excluant tout doute sur le sujet.

Il est désormais acquis que le délai d’instruction de 15 jours ouvrables pour l’homologation expresse ou tacite des ruptures conventionnelles n’est pas suspendu.

Quant au délai de rétractation de 15 jours calendaires, rappelons que l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 précise que « les délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement (…) » ne sont pas affectés par les règles de prorogation des délais.

Xavier Berjot Avocat Associé SANCY Avocats [->xberjot@sancy-avocats.com] [->https://bit.ly/sancy-avocats] Twitter : https://twitter.com/XBerjot Facebook : https://www.facebook.com/SancyAvocats LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b

[1Sauf prorogation ultérieure de l’état d’urgence sanitaire.

[2Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.

[3Date fixée par l’ordonnance qui pourrait être avancée ou reculée.

[4Article 1 et 2.

[5Article 7.

[6Date qui pourra être avancée ou reculée en fonction de l’évolution de la situation.