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Baux d’habitation, conséquences de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 sur la durée du préavis et la libération des lieux. Par Romain Rossi-Landi, Avocat.
Parution : jeudi 23 avril 2020
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Nous avons vu, dans un précédent article "Baux d’habitation, congé et état d’urgence sanitaire", que l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période permettait au bailleur de bénéficier d’un délai supplémentaire pour délivrer son congé à son locataire.

Dès lors, la question se posait de savoir si ce report dans la délivrance du congé par le bailleur avait pour conséquence de réduire le délai de préavis et donc la date de libération des lieux par le locataire.

La Direction des Affaires Civiles et du Sceau du Ministère de la Justice a donné des précisions dans une note du 7 avril 2020.

A) Le report du congé est possible jusqu’au 24 août 2020.

En matière de baux d’habitation, le bailleur qui souhaite reprendre son logement, pour les causes spécifiques précisées à l’article 15 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989, donc pour reprise, pour vendre, pour occuper, ou pour un motif légitime et sérieux, doit délivrer un congé à son locataire au moins six mois avant l’arrivée du terme du contrat.

A défaut d’avoir respecté ce délai de préavis, le contrat de bail est tacitement renouvelé pour une période de trois ans (article 10 de la loi du 6 juillet 1989 précitée) et le congé délivré est nul.

L’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période a édicté des mesures de suspension ou prorogation des délais dont l’exécution est devenue impossible en raison de l’état d’urgence sanitaire déclaré par la loi n°2020-290 du 23 mars 2020.

L’article 1er de cette ordonnance précise, en son I, que « Les dispositions du présent titre sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi du 22 mars 2020 susvisée ».

L’article 4 de la loi du 23 mars 2020 précise quant à lui que « l’état d’urgence sanitaire est déclaré pour une durée de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi ».

Cette loi ayant été publiée au Journal Officiel le 24 mars, sauf prolongation éventuelle, l’état d’urgence sanitaire expirera le 24 mai 2020.

L’article 1er de cette ordonnance vise donc la période comprise entre le 12 mars 2020 et le 24 juin 2020.

L’article 5 de cette même ordonnance précise quant à lui que « Lorsqu’une convention ne peut être résiliée que durant une période déterminée ou qu’elle est renouvelée en l’absence de dénonciation dans un délai déterminé, cette période ou ce délai sont prolongés s’ils expirent durant la période définie au I de l’article 1er, de deux mois après la fin de cette période ».

Il s’ensuit que, si le délai laissé au propriétaire pour délivrer un congé à son locataire devait expirer durant cette période soit entre le 12 mars et le 24 mai 2020, celui-ci sera prolongé de deux mois à l’issue du mois suivant la fin de ladite période soit jusqu’au 24 août.

Exemple : vous êtes bailleur, le bail conclu avec votre locataire expire le 15 octobre 2020 et vous deviez lui donner congé six mois avant la fin du bail, soit avant le 15 avril 2020.

La date du 15 avril étant inclue dans la période visée au I de l’article 1er de l’ordonnance, vous bénéficiez de la prolongation du délai de deux mois après le 24 juin 2020 et vous pouvez donc donner congé à votre locataire jusqu’au 24 août 2020.

Le congé sera donc, selon l’article 2 de l’ordonnance, « réputé avoir été fait à temps ».

Ainsi, si le bailleur délivre son congé le 10 juillet 2020, il sera réputé avoir été délivré régulièrement en application de l’article 5 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 précitée.

La délivrance du congé empêchera la tacite reconduction du bail à l’arrivée de son terme (article 10 al 2 de la loi du 6 juillet 1989).

Mais la question se pose de savoir si ce report dans la délivrance du congé par le bailleur a pour conséquence de réduire le délai de préavis prévu à l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989.

Le locataire devra-t-il tout de même libérer les lieux à la date d’échéance du bail ou bénéficiera-t-il également d’un délai supplémentaire ?

B) La durée du préavis reste inchangée et la date de libération des lieux est reportée.

L’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 ne répond pas expressément à cette question, précisant uniquement que les actes accomplis pendant ce délai seront réputés avoir été faits à temps.

La Direction des Affaires Civiles et du Sceau du ministère de la Justice a donné des précisions dans une note du 7 avril 2020.

Le délai de préavis prévu à l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989 s’analyse comme un « délai à rebours  », c’est-à-dire un délai qui court à compter de la réalisation d’un événement futur, à savoir la prise d’effet du congé, et se calcule en remontant dans le temps, en l’espèce six mois au moins, jusqu’à la date de délivrance du congé par le bailleur au locataire.

Il s’agit d’un délai de protection du locataire qui lui permet de prendre ses dispositions pour trouver un nouveau logement et organiser son déménagement.

Par conséquent, selon la chancellerie, « le délai de préavis prévu à l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989 ne saurait être raccourci par la mise en application des dispositions de l’article 5 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020, permettant la prolongation du délai dont dispose le bailleur pour délivrer son congé ».

Le bailleur ne pourra donc prétendre à la reprise effective de son logement que six mois après la réception du congé par le locataire.

Dans notre exemple, le bail d’habitation arrive à son terme le 15 octobre 2020. Le bailleur n’a pas été en mesure de délivrer son congé avant le 15 avril et le fera délivrer le 10 juillet 2020.

Ce congé sera régulièrement délivré en application de l’article 5 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 précitée et empêchera la tacite reconduction du bail.

En revanche, le locataire disposera d’un délai de six mois avant que les effets de ce congé ne deviennent effectifs et qu’il soit tenu de quitter les lieux [1].

La période s’étendant entre le 15 octobre 2020 (date d’échéance du bail) et le 10 janvier 2021 pourra être considérée comme une « période exceptionnelle de prorogation temporaire du contrat de bail » selon les termes employés par le Ministère de la justice.

L’échéance du bail ne change pas mais le locataire, qui est resté dans les lieux après le terme contractuel, devra continuer à régler une indemnité d’occupation équivalente au loyer.

Romain ROSSI-LANDI Avocat à la Cour www.rossi-landiavocat.fr

[1Article 15 de la loi n°89-462.

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