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Les garanties du procès équitable en matière pénale. Par Ghennai Ramdane, Avocat.
Parution : mardi 21 avril 2020
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Après l’adoption du principe du double degré de juridiction en matière pénale par l’article 162 de la révision constitutionnelle du 06 mars 2016, deux nouveaux textes de loi importants ont étés promulgués le 27 mars 2017. La loi organique (LO) n° 17-06 a institué un tribunal criminel d’appel (TCA) au niveau de chaque cour, alors que la loi n° 17-07 est venue modifier et compléter le code de procédures pénales (CPP) pour répondre aux exigences de la nouvelle organisation judiciaire.

Après l’adoption du principe du double degré de juridiction en matière pénale par l’article 162 de la révision constitutionnelle du 06 mars 2016, deux nouveaux textes de loi importants ont étés promulgués le 27 mars 2017.
La loi organique (LO) n° 17-06 a institué un tribunal criminel d’appel (TCA) au niveau de chaque cour, alors que la loi n° 17-07 est venue modifier et compléter le code de procédures pénales (CPP) pour répondre aux exigences de la nouvelle organisation judiciaire.
Avant les dernières modifications du CPP, l’article premier comprenait deux alinéas relatifs exclusivement à l’action publique. Ce contenu a été complément métamorphosé. Il comprend désormais huit alinéas consacrant les principes sur lesquels est fondé dorénavant le CPP. Selon l’alinéa1 de cet article, ces principes à savoir « la légalité », le « procès équitable », et le « respect de la dignité et droits humains » ne sont pas les seules dispositions obligeant les juridictions.
Huit autres normes procédurales de valeur juridique incontestée sont également énoncées par le même article où il est spécifié textuellement que le CPP doit « notamment » prendre ces nouvelles normes en considération.
L’utilisation du terme « notamment » signifie que la prise en considération d’autres règles de procédure dont le respect garantirait l’effectivité du procès équitable n’est pas exclue.

Quelles sont ces nouvelles normes ? Permettent-elles de garantir réellement le respect de la dignité des personnes pénalement poursuivies ? Représentent-elles des garanties aptes à ce que le procès pénal serait véritablement équitable ?

Ces questions s’imposent au vue de la triste réalité vécue par beaucoup de citoyens à citer parmi lesquels des gestionnaires d’entreprise publiques et des notaires , mis en détention provisoire de longue durée, pour bénéficier de jugements d’acquittement après des années de geôle injustifiées. Il en est de même, des poursuites pénales dite anticorruption actuellement engagées.

1. Le droit pour toute personne de faire examiner sa condamnation par une juridiction supérieure.

Suite aux modifications apportées au CPP, le dernier alinéa de l’article premier stipule que « toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une juridiction supérieure ».

Le principe de double degré de juridiction en matière correctionnelle a toujours existé, mais il n’a jamais été reconnu en matière criminelle qu’à partir du 27 mars 2017 par l’effet de la LO n° 17-06. En conséquent, la loi 17-07 est venue modifier le CPP en ajoutant deux chapitres (VIII bis et VIII bis 1) relatifs successivement à l’appel des jugements rendus par le tribunal criminel de première instance et aux procédures appliquées devant le TCA.

La création du TCA est sensé mettre fin à un système judiciaire pénal archaïque, peu regardant sur les principes et garanties de procès équitable ; où la détention provisoire (DP) est érigée en règle et la mise en liberté en exception.
La DP, portant très mal son nom, est devenue une fatalité en matière criminelle et s’apparente souvent à une condamnation préalable malgré la constitutionnalisation de son caractère d’exception (art 59/2). Pourtant, l’article 123 du CPP a clairement prescrit que « l’inculpé reste libre au cours de l’information judiciaire », et que pour garantir sa représentation devant la justice « il peut être soumis aux obligations du contrôle judiciaire », et qu’ « à titre exceptionnel, et s’il s’avère que ces mesures ne sont pas suffisantes, la détention provisoire peut être ordonnée ». Mieux encore, l’ordonnance 15-02 a prévu le contrôle électronique pour rendre le contrôle judiciaire plus efficace et mieux utilisé. Malheureusement, le bracelet électronique est resté à l’état expérimental.

Entre outre, les affaires criminelles ne sont pas jugées dans des délais raisonnables. Et pis encore, les personnes condamnées ou acquittées par les tribunaux criminels ne comprenaient pas les jugements rendus à leurs égard parce qu’ils n’étaient pas motivés sous prétexte qu’ils sont fondés sur la base de l’intime conviction des juges !

Néanmoins, Il faut reconnaitre qu’en créant une juridiction dite d’appel en matière criminelle et en modifiant le CPP en conséquence, le législateur vient d’entamer un début de parcours important qui devrait permettre à la justice pénale de restituer la confiance perdue en elle, et au justiciable de recouvrer sa « dignité » et reconquérir ses « droits humains ».

Toutefois, les lois ne valent que par leurs bonnes applications. L’ineffectivité des normes juridiques, l’inapplicabilité directe de certaines règles, l’incompatibilité avérée entre certaines dispositions, le vide juridique existant et la mauvaise application des lois, enrayent fâcheusement le corpus juridique et enfantent des situations fréquentes de non droit et d’injustice.
Quoique qualifié par le législateur de juridiction d’appel, le TCA ne peut pas, selon l’article 322 bis7, statuer sur l’action publique en confirmant, en amendant ou en infirmant le jugement dont appel. Paradoxalement, l’effet dévolutif de l’instance est consacré par le même article ! Qu’importe, le TCA est avant tout une deuxième chance pour l’accusé condamné de se défendre

2- La consécration de la présomption d’innocence.

L’alinéa2 de l’article premier stipule que « toute personne est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie par jugement ayant acquis force de la chose jugée ».
Cette disposition est venue consacrer le principe de la présomption d’innocence énoncé par l’article 56 de la constitution du 06 mars 2016, qui dispose que « Toute personne est présumée innocente jusqu’à l’établissement de sa culpabilité par une juridiction régulière dans le cadre d’un procès équitable lui assurant les garanties nécessaires à sa défense ».

Il ressort clairement de la lecture des deux articles suscités que le Constituant, à la différence du législateur, ne s’est pas contenté de clamer la présomption d’innocence à preuve de culpabilité établie par une juridiction régulière ; mieux il a exigé que l’établissement de la culpabilité se fasse « dans le cadre d’un procès équitable » assurant à l’accusé « les garanties nécessaires à sa défense ».

Le contenu de la présomption d’innocence est donc absolument différent dans les deux articles. Par conséquent, il n’est pas à tort de conclure que l’article 1/2 du CPP n’est pas conforme à la Constitution de n’avoir pas respecté tous les éléments constitutifs de la présomption d’innocence tels qu’ils sont consacrés par la Constitution. Seulement, le juge pénal applique les lois et non pas la Constitution.

En réalité, la consécration de la présomption d’innocence par le nouveau CPP est venue très en retard étant donné que cette présomption est universellement reconnue en droits internes des Etats et aussi en droit international.

L’article 11 de la déclaration universelle des droits de l’Homme stipule que « Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un procès public où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées ».
De même l’article 14/2 du pacte international des droits civils et politiques dispose « Toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». Cette disposition est également contenue intégralement dans l’article 6/2 de la convention européenne de droits de l’homme

3- Le bénéfice du doute.

L’alinéa 6 de l’article 1er du CPP stipule que « le doute est interprété, dans tous les cas, dans l’intérêt de l’accusé ». Cette règle est une conséquence de la présomption d’innocence. Elle est considérée comme une des garanties fondamentales sans lesquelles le procès ne pourrait être équitable.
Profitant à l’accusé, le bénéfice du doute empêche le juge de fonder sa décision autre que sur « des preuves qui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui » (art 212/2). Même, l’aveu n’est pas un mode de preuve irréfutable, il est laissé à l’appréciation du juge.
Devant des prescriptions légales aussi claires, il est inadmissible que le prévenu soit, en l’état actuel de la procédure pénale, tenu de présenter au tribunal les preuves de son innocence. Inversement, le représentant du ministère public se décharge de présenter les preuves de culpabilité et d’étayer ses demandes tout en sollicitant l’application des peines les plus lourdes sans aucune motivation donnée. Il est aussi inadmissible que des condamnations soient prononcées par des jugements motivés exclusivement sur la base de ce que, soi-disant, s’est déroulé en audience, ou encore sur la pseudo-conviction du tribunal que le désaveu du prévenu s’explique par son intention improductive de fuir sa responsabilité et par conséquent le châtiment.

Comme les jugements, en matière criminelle, n’étaient pas motivés ; le bénéfice du doute était laissé à l’appréciation du tribunal, qui par intime conviction, condamne sans être tenu de fournir quelconques motivations sauf de répondre à la question posée sur chaque fait spécifié dans le dispositif de l’arrêt de renvoi « l’accusé est-il coupable d’avoir commis tel fait ? ».

4- L’obligation de motiver les jugements en matière criminelle.

L’entrée en vigueur des modifications apportées au CPP par la loi 17-07, particulièrement l’alinéa 7 du 1er premier, a imposé l’obligation de motiver toutes les décisions judiciaires. Il est à noter que la motivation des décisions de justice y compris les ordonnances est consacrée par un principe à valeur constitutionnelle. L’article 162 de la révision constitutionnelle dispose que « Les décisions de justice sont motivées et prononcées en audience publique. Les ordonnances judiciaires sont motivées ».

L’article 66 du statut de Rome du Tribunal pénal international est un exemple de texte réunissant à la fois la présomption d’innocence et le bénéfice du doute en une seule disposition. Il prescrit que « Toute personne est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie devant la Cour conformément au droit applicable, Il incombe au Procureur de prouver la culpabilité de l’accusé, pour condamner l’accusé, la Cour doit être convaincue de sa culpabilité au delà de tout doute raisonnable ».

Pour conclure, les garanties légales du procès équitable ne peuvent être productives que par la volonté des Hommes chargés de les appliquer. Pas d’excuses pour ne pas être appliquées étant donné que les garanties en question sont consacrées par des textes de loi applicables sans avoir besoin de textes d’application. Le caractère “self executing” de ces normes n’excuse en aucun cas l’inapplication des garanties du procès équitable que ce soit au stade de l’enquête judiciaire ou du procès au sens stricto sensu.

Ghennai Ramdane [->ramdaneghennai@gmail.com] Avocat près la Cour suprême Et le Conseil d’Etat
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