Village de la Justice www.village-justice.com

Inopposabilité de la dimension externe du droit à l’Autodétermination dans le contexte aficain. Par Gabriel Babadi, Jurisconsulte.
Parution : vendredi 10 avril 2020
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/inopposabilite-dimension-externe-droit-autodetermination-dans-contexte-aficain,34650.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Le droit à l’autodétermination dans sa conception postcoloniale connait des aménagements. Cette période postcoloniale est caractérisée par, d’une part l’existence des Etats qui ont eu à exercer leur droit à l’autodétermination des peuples pour se libérer de la colonisation et de tout autre forme de subjugation et d’autre part la présence des groupes infra-étatiques revendiquant leur droit à l’autodétermination.
Devant cet état de chose, marqué par le concours de la clause de sauvegarde avec le droit à l’autodétermination, on peut penser assurément, comme Jean Charpentier que l’on se retrouve placé devant un dilemme qui consiste à privilégier un des deux principes antagonistes que sont le respect de l’intégrité territoriale et de l’unité politique et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

La structure politique internationale actuelle, constituée par la coexistence entre États souverains, reflète le souhait de ces derniers de mener une coexistence pacifique qui respecte leur intégrité territoriale et politique. Ce qu’on appelle le modèle politique international Westphalien [1] , qui tire ses origines de l’idée de la structure politique de l’État-Nation du Siècle des Lumières. L’État y est considéré comme un corps politique immuable dans lequel réside la totalité du pouvoir décisionnel. Il constitue la seule personne morale dotée de la personnalité internationale, donc capable de contracter des obligations valides avec ses semblables, généralement sous une forme conventionnelle [2]. La souveraineté de l’État, ainsi comprise et organisée, constituera la base du développement du droit international.

Dans le cadre de la Charte des Nations Unies, il se dégage que les Etats se conviennent de respecter les principes fondateurs de la souveraineté des États qui en sont membres et leur intégrité territoriale [3].

Le principe du respect de l’intégrité territoriale a été un élément crucial dans le processus de décolonisation et se trouve affirmer dans les instruments relatifs à la décolonisation (A). De plus, le développement normatif postérieur de ces documents n’a pas remis en cause ce principe. Toutefois son interprétation a mué au regard du nouveau contexte dans lequel il trouve son application (B).

A. L’ère de la décolonisation.

Lors de sa considération dans le cadre colonial, dans toutes les Résolutions pertinentes relatives au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la clause de sauvegarde se devait de protéger les futurs Etats contre le dépeçage de l’ancienne puissance coloniale, mais aussi de montrer que les peuples doivent être appelés à exercer leur droit d’auto-disposition dans le cadre des frontières, même arbitraires, tracées par le colonisateur [4].

Du reste, l’exercice de l’autodétermination par les territoires non autonomes ne pouvait être compris comme étant une atteinte à l’intégrité territoriale de la puissance coloniale comme l’on souligné à juste titre dans la Résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU) [5] le territoire d’une colonie ou d’un autre territoire non autonome possède, en vertu de la Charte, un statut séparé et distinct de celui du territoire de l’Etat qui l’administre. Ces territoires ne font pas partie intégrante du territoire de la "métropole". Dès lors, leur accession à l’indépendance ne constitue pas une atteinte à l’intégrité territoriale de celle-ci et ne peut être tenue pour une sécession au sens que le droit international attribue à ce mot [6].

De ce fait, le principe de l’intégrité territoriale obligerait [oblige] les Etats tiers [colonisateur] à faire de la sorte que la consistance du territoire de l’Etat [futur Etat] ne soit pas altérée du fait d’activités menées, soit depuis leur propre territoire, soit depuis un espace international, par eux-mêmes ou par des personnes relevant de leur compétence [7].

Cependant, le dilemme demeure entier pour les peuples qui réclament leur droit à l’autodétermination externe, en dehors du contexte colonial. En effet, ce ne sont pas tous les peuples qui peuvent avoir recours au droit à la sécession. En vertu de la Résolution AGNU 1514 (XV), seuls les peuples soumis à « une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères » peuvent se voir reconnaître ce droit.

B. L’ère postcoloniale.

Si le développement normatif actuel n’a pas remis en cause le principe de l’intégrité il est à noter, cependant, que sa perception a mué au regard du nouveau contexte dans lequel il trouve son application.

La clause de sauvegarde n’est plus orientée contre les puissances coloniales mais elle est dirigée vers les groupes infra-étatiques dont l’exercice du droit à l’autodétermination externe entamerait l’intégrité de l’Etat englobant. Il y ressort que l’assimilation de la clause de sauvegarde avec le droit à l’autodétermination aboutit à une conception restrictive de ce dernier quant à ses conséquences sur le plan de la création étatique [8].

La communauté des Etats, dans le souci de ne pas voir s’accroitre le nombre des unités d’une société interétatique, a assimilé la dimension externe de l’autodétermination comme étant une sécession et a trouvé que les Etats nouvellement formés de la décolonisation ne devaient pas voir leur consistance territoriale mise en danger par des mouvements centrifuges. A ce propos, Charles de Visscher avait remarqué à juste titre que « appliquée sans discernement, l’autodétermination conduirait à l’anarchie. Les Nations Unies se sont attachées avec raison à rechercher les très nombreux critères susceptibles d’en mieux fixer les contours » [9].

Cette pensée sera reprise par Cristescu, quand il estima que « mal compris, ce droit (des peuples à disposer d’eux-mêmes) pourrait aboutir à encourager des mouvements de sécession sur le territoire d’Etats indépendants, où n’importe quel groupe pourrait croire qu’il a un droit immédiat et sans réserve de créer son propre Etat. Aucun Etat ancien ou nouveau ne peut se croire à l’abri de ce danger. Les Etats les plus homogènes ethniquement peuvent faire l’objet des convoitises ou d’entreprises de dislocation » [10].

Ainsi comprise, l’intégrité territoriale d’un État, tout comme son corollaire l’intangibilité des frontières, conduit logiquement à la sacralisation du territoire et à la sainteté des frontières, concepts manifestement en contradiction avec le caractère non-figé, dynamique du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. De nombreuses Constitutions proclament ainsi l’unité de l’Etat, retenant le caractère indivisible de la Nation ou de l’Etat. Certaines proclament l’Etat, ou la Nation, un(e) et indivisible. D’autres parlent de souveraineté inaliénable et irréductible, ou d’Union indissoluble. On compte plusieurs Constitutions qui interdisent non seulement la sécession mais encore la condamnent [11]. Cela étant l’on a toujours brandi ce principe aux peuples qui veulent être indépendant, notamment les Touaregs au Mali voulant créer l’Azawad et au Sénégal avec les casamançais.

De ce fait, dès lors qu’une communauté infranationale entend se séparer de l’Etat établi, elle heurte directement le principe de l’intégrité territoriale étant donné que le droit international contemporain est celui du statu quo territorial comme le proclame fortement l’article 2, paragraphe 4, de la Charte des Nations Unies [12]. Par conséquent, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes bute contre le droit de l’Etat issu de la décolonisation à son intégrité territoriale et son unité nationale [13]. D’autant plus que le droit à l’autodétermination, dans sa dimension externe postule une solution allant à l’encontre du principe de l’intégrité territoriale.

Somme toute, l’Afrique considère le droit à l’autodétermination comme un droit à l’indépendance reconnu aux peuples colonisés et qui s’épuise avec l’accession à l’indépendance. Une fois celle-ci acquise, il ne saurait être revendiqué au sein du nouvel Etat. En 1964 les Etats africains ont adopté le principe d’intangibilité des frontières et l’on érigé en une norme impérative du droit régional. Ils ont voulu éviter le détournement du droit à l’autodétermination par les mouvements subversifs. L’on a trouvé dans le principe du respect de l’intégrité territoriale un bouclier contre toute tentative de démembrement à l’interne d’un Etat.

Gabriel BABADI, Jurisconsulte Droit de l'environnement

[1Jean-Maurice ARBOUR, Droit international public, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2006, p. 20

[2Jean COMBACAU et Serge SUR, Droit international public, Paris, Montchrestien, 2004, p. 73

[3S. J. ANAYA, Indigenous Peoples in International Law, New York, Oxford University Press, 2004, p. 51 ; Charte des Nations Unies, art. 2

[4N’guyen QUOC DINH, Patrick DAILLIER et Alain PELLET, Droit International Public, Paris, LGDJ, 2002, p. 523

[5Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, adoptée le 24 Octobre 1970 par l’Assemblée Générale des Nations Unies lors de la Vingt-cinquième session

[6A.PELLET, "Quel avenir pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ?", in Le droit international dans un monde en mutation - Liber Amicorum Jimenez de Arechaga, Fundacion de cultura universitaria, 1994, p.260

[7J. COMBACAU et S. SUR, Droit international public, Paris, Montchrestien, 2004, p.429

[8André N’KOLOMBUA, « L’ambivalence des relations entre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et l’intégrité territoriale des États en droit international contemporain », in Mélanges offerts à Charles Chaumont, Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, Paris, Pedone, 1984

[9Charles de VISSCHER, Théories et réalités en droit international public, Paris, Pedone, 4e édition 1970, p.161

[10A. PELLET, art.cit, p.260

[11Vincent ZAKANE, "la protection constitutionnelle des minorités dans les Etats africains au sud du Sahara", in Annuaire africain de droit international, 2001, p.160

[12A. PELLET, art. cit, p.262

[13R.-J. DUPUY “Evolution historique de la notion de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes”, Dialectiques du droit international, Paris, Pedone, 1999, pp. 221-222