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Coronavirus : comment assurer la continuité de l’enseignement du droit ?
Parution : lundi 30 mars 2020
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NDLR : Durant la crise sanitaire traversée par la France (2019-2021), les universités ont su s’adapter et proposer l’"hybridation pédagogique".
L’article qui suit a donc été conservé afin de témoigner de ce qui a été mis en place durant cette période (et continuer à s’en inspirer ?).

L’épidémie de coronavirus en France a bouleversé nos habitudes de travail et de vie en poussant les autorités à adopter des mesures de confinement drastiques sur tout le territoire. Tout le monde est impacté, en pleine période scolaire et universitaire, ce qui interroge sur la continuité pédagogique. Comment les professeurs de l’enseignement supérieur réagissent-ils ? Quelles sont les initiatives proposées pour permettre aux étudiants de continuer à recevoir le savoir juridique ?

Comment poursuivre un enseignement alors que le confinement est désormais total ? C’est la question à laquelle ont dû répondre certains professeurs d’université lorsqu’ils se sont décidés à mettre en place des cours à distance. Parmi eux, Bruno Dondero, professeur de droit privé à l’Ecole de droit de la Sorbonne et avocat associé dans le cabinet CMS Francis Lefebvre, Mustapha Mekki, professeur à l’Université Paris 13 et directeur de l’Institut National des Formations Notariales (INFN), ou encore Stéphane Baller, co-directeur du DU Transformation Digitale du Droit et Legaltech à Paris 2 et avocat, ont décidé de faire d’internet un atout dans leurs enseignements.

Cette situation est un défi pour les enseignants et les étudiants.

La brutalité de l’application des mesures de confinement a poussé les enseignants et les départements d’étude à très vite se plonger dans l’extension de l’enseignement via le numérique afin d’assurer la continuité pédagogique. Une configuration bien loin des amphithéâtres et de l’interaction physique, mais qui porte une autre manière d’envisager la transmission de savoirs et le contenu pédagogique.

Bruno Dondero, professeur de droit privé à l’Ecole de droit de la Sorbonne et avocat associé dans le cabinet CMS Francis Lefebvre

Cet exercice s’avère stimulant pour les enseignants qui doivent alors adapter le contenu de leurs cours et la manière d’appréhender le public. Car entre l’université et le numérique, l’exigence est toute autre, et l’enseignant doit être plus alerte encore sur l’humeur des étudiants afin d’adapter son discours. Généralement, c’est l’ennui qui se lit sur le visage de l’autre qui inquiète le pédagogue : « voir des visages réagir à vos propos dans une classe ou un amphithéâtre, en connaître certains, peut permettre de se rassurer et d’immédiatement intervenir pour identifier les moments d’échappement » rappelle Stéphane Baller. C’est sur ce point selon lui que l’enseignement à distance fait peur actuellement car comment orienter au mieux son cours en direct en n’étant « guidé que par quelques soupirs voire même l’absence de réponse aux questions que vous posez ? » Or, par l’intermédiaire d’une caméra, le lien entre l’étudiant et le professeur se fait plus individuel et permet de « véritablement voir les expressions individuelles.Cela nous oblige à nous intéresser à chacun des participants, en oubliant la dynamique de groupe habituelle. » Une réponse positive de l’ensemble de l’audience, « y compris les timides », est alors plus gratifiante encore.

Le e-learning peut maintenir le lien.

Côté étudiants, pour Mustapha Mekki, directeur de l’INFN, les attentes diffèrent entre les impératifs administratifs et pédagogiques : « Dans un premier temps, les étudiants sont surtout focalisés sur le côté administratif avec tout ce qui se rapporte aux dates butoirs. A l’INFN nous avons des diplômes très différents. Certains étudiants sont en BTS avec des stages, d’autres en contrats de professionnalisation. Dans un second temps, leur priorité tient à ne pas perdre le rythme pédagogique. Ils demandent ainsi beaucoup de supports écrits, de la visio, ce qui leur permet de maintenir un lien. »

Stéphane Baller, co-directeur du DU Transformation Digitale du Droit et Legaltech à Paris 2 et avocat

Stéphane Baller, lui, souligne le fait que « d’autres, comme les élèves-avocats, sont curieux d’une nouvelle expérience qui peut mieux les préparer à leur avenir professionnel et leur permettra de mieux maîtriser de nouvelles techniques de communication auxquelles ils n’ont pas été préparés. »

Bruno Dondero rappelle la nécessité de « ne pas faire semblant de ne pas voir la détresse des étudiants lors des séances ou bien via les messages qu’ils pourraient vous envoyer. Car ils sont eux aussi sensibles au climat anxiogène qui existe depuis le début de l’épidémie, avec les annonces de contaminations et de décès. »

Une des principales difficultés tient aux problématiques techniques que peuvent rencontrer tant les enseignants que les étudiants. Elles existent évidemment, notamment lorsque l’on n’a jamais fait de classe virtuelle. Il peut y avoir des décalages entre la voix et le son ou des soucis de connexion. D’autres contraintes reposent sur l’accès à internet, à un réseau performant, au matériel adéquat. La fracture numérique créée de fait une inégalité entre les étudiants.

"L’enseignement à distance va forcément nous faire progresser".

Pour autant, Bruno Dondero y croit : « l’enseignement à distance va forcément nous faire progresser. Il est important d’avoir accès à des formations intégralement numériques. Il est utile de rappeler que la technologie du cours à distance ne demande pas d’être un ingénieur accompli. Il faut simplement se dire que la situation exige de s’y mettre tout de suite. » Un point sur lequel Stéphane Baller insiste également, car il lui semble limpide que « l’usage combiné du présentiel et du virtuel pour proposer une expérience d’enseignement qui ait de l’impact à des étudiants, des élèves avocats comme à des professionnels plus avancés » est l’avenir de l’enseignement supérieur.

Mustapha Mekki, professeur à l’Université Paris 13 et directeur de l’Institut National des Formations Notariales (INFN)

Mustapha Mekki met aussi en garde contre les potentielles futures politiques d’économies qui « peuvent être mises en place à l’université par les autorités, lesquelles pourront s’appuyer sur cette situation où l’on généralise les cours en e-learning. »

Pour parvenir à cet enseignement à distance, plusieurs outils sont disponibles. Bruno Dondero a fait partie des premiers à utiliser Facebook Live il y a quatre ans, suivi plus tard par Mustapha Mekki. Bruno Dondero possède également un blog [1] qui lui sert à faire le relai de ses cours et TD. Il y a mis en ligne un cours dédié à l’apprentissage du droit des contrats en 20 leçons, à destination des juristes comme des non-juristes pour s’« occuper utilement l’esprit en pensant à autre chose qu’à la situation présente, et de ne pas perdre le temps passé chez soi. » Le directeur de l’INFN utilise de son côté Go to meeting, pour les groupes restreints, ainsi qu’une chaîne Youtube pour le notariat. Stéphane Baller a lui opté pour l’application Zoom. Plus tôt, il a utilisé notamment Skype business « pour former à distance des collaborateurs et des clients. »

Cette situation exceptionnelle va-t-elle finir par définitivement imposer le numérique dans l’enseignement ? Bien que contraints, les établissements universitaires pourraient voir dans ce nouveau contexte une occasion de réaliser cette transition vers l’hybridation de l’enseignement. Les universitaires et les étudiants devront probablement tous se former pour utiliser les outils disponibles au mieux. Reste à voir comment les autorités étatiques accompagneront ce processus global.

Rédaction du Village de la Justice