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Le droit au remboursement des passagers en cette période inédite de Covid-19. Par Anaïs Escudié et Guilhem Della Malva, Juristes.
Parution : mardi 24 mars 2020
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La pandémie actuelle causée par la maladie nommée covid-19 a un impact significatif sur les transports en tout genre.
Les compagnies aériennes en souffrent particulièrement et ont dû annuler une proportion très significative de leurs vols afin de réduire les déplacements des individus, potentiellement infectés.
Article actualisé par ses auteurs le 31 mars 2020 suite à l’ordonnance du 25 mars 2020.
Article vérifié par l’auteur en septembre 2023.

Les clients de ces compagnies aériennes se retrouvent de leur côté dans la situation suivante : des billets ont été réservés et payés, mais les vols n’ont plus lieu. Est-il possible pour les passagers concernés d’être indemnisés ou du moins remboursés ? Quelle assistance est prévue ?

Ce point sur les droits des passagers sera effectué à l’aune du règlement européen n°261/2004 [1] Pour rappel, celui-ci peut trouver à s’appliquer dans les cas suivants :
- Départ du vol prévu depuis l’Union Européenne ;
- Départ du vol prévu depuis un État tiers à l’Union Européenne, pourvu que le vol soit opéré par une compagnie européenne.

Si le vol n’est pas couvert par le règlement, les Conventions de Montréal et de Varsovie trouveront à s’appliquer, lesquelles sont moins favorables aux passagers.

Enfin, il est important de noter que le règlement européen n’a pas vocation à couvrir la situation des passagers ayant réservé leur vol au sein d’un forfait touristique (comprenant le vol ainsi qu’une autre prestation telle qu’une nuitée dans un hôtel) ; la situation de ces passagers sera abordée plus bas.

Le remboursement du prix des billets.

Pour les passagers couverts par le règlement européen, si la compagnie a choisi d’annuler le vol, les articles 5 et 8 lus concomitamment leur offrent le choix suivant :
- Soit le remboursement des billets : il doit être payé en espèces, par virement bancaire ou par chèque. Avec l’accord signé du passager, le remboursement peut être proposé sous forme de bons de voyage et/ou d’autres services ; il faudra nécessairement l’accord du passager pour cette dernière option !
- Soit un vol de réacheminement vers la destination finale prévue, sans supplément à payer. Cependant, ce choix n’est presque plus d’actualité étant donné que la quasi-totalité des vols sont supprimés. Le remboursement semble être la seule option viable pour les passagers.

Important : le règlement européen prévoit à son article 8 (1) (a) que dans le cas d’un voyage avec escale, le passager dont le vol de correspondance est annulé peut exiger d’être réacheminé à son point de départ initial s’il se trouve à l’aéroport d’escale. Il peut également se faire rembourser l’intégralité du prix payé pour les billets d’avion, y compris pour le billet du ou des vols déjà effectué(s).

Dans le cas ou le passager souhaiterait annuler de lui-même son vol, la législation lui est moins favorable. De manière générale, il n’existe pas de droit pour les passagers qui annulent leur vol d’exiger un remboursement. C’est pourquoi les compagnies proposent parfois des billets à un tarif supérieur qui donne le droit aux passagers d’annuler leur vol (billet flexible).
Cependant, en se fondant sur l’article L224-66 du Code de la consommation, il est tout de même possible pour les passagers d’exiger le remboursement des taxes aéroportuaires qu’ils ont payées, leur montant étant répercuté dans le prix du billet d’avion qu’ils ont payé.

La situation actuelle étant exceptionnelle, certaines compagnies proposent néanmoins le remboursement des billets. Ceci reste une opportunité rare, qui n’est d’ailleurs probablement plus d’actualité, la crise se prolongeant et la trésorerie des compagnies se réduisant de façon conséquente. Il n’existe pas encore de certitude sur la manière dont les compagnies agiront. La solution appliquée par la vaste majorité des compagnies est la proposition d’un choix pour les passagers entre le report de leur voyage à une date ultérieure, ou bien l’octroi d’un avoir électronique, valable sur tous les vols de la compagnie.

L’indemnisation des passagers face à une pandémie.

Le règlement européen n°261/2004, en son article 5 (1) c), prévoit une indemnisation pour les passagers dont le vol a été annulé s’ils ont été prévenus moins de 14 jours avant la date du vol. Une limite à ce droit d’être indemnisé est posée à l’alinéa (3) de ce même article. La compagnie est exonérée de son obligation d’indemniser le passager si elle est en mesure de prouver que l’annulation du vol a été provoquée par une “circonstance extraordinaire” qui n’aurait pas pu être évitée même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) précise constamment la définition de la circonstance extraordinaire, et indique quels évènements correspondaient ou non à une telle circonstance. Dans un arrêt du 4 avril 2019, “Germanwings GmbH contre Wolfgang Pauels” [2], la CJUE rappelle les deux conditions cumulatives pour qualifier un événement de “circonstance extraordinaire” :
- Il ne peut être considéré comme inhérent à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien ;
- Il doit échapper à la maîtrise effective du transporteur aérien.

Ce premier critère signifie que l’événement ne doit pas pouvoir être imputé à une activité entreprise par la compagnie aérienne. L’interprétation de cette condition semble être relativement large. C’est ainsi que dans l’arrêt “Helga Krüsemann e.a. contre TUIfly GmbH” [3] du 17 avril 2018, les juges de la CJUE ont déterminé que la grève du personnel qui avait mené à l’annulation de plusieurs vols étaient directement liée à l’annonce d’un plan de restructuration de la compagnie aérienne.

La seconde condition s’interprète peut-être plus facilement : ainsi, la compagnie ne peut maîtriser les conditions météorologiques à destination, ni les nuées d’oiseaux qui résultent en un “bird strike” (une collision aviaire) provoquant la nécessité d’inspecter l’appareil [4].
À ce titre, il est intéressant de remarquer que l’adjectif “extraordinaire” est peut-être malvenu, car celui-ci laisse penser que seuls des événements sortant de l’ordinaire peuvent être qualifiés ainsi. Les multiples jurisprudences de la CJUE écarte très clairement cette interprétation, mais ceci n’aide pas les passagers à comprendre et accepter la réponse négative de la compagnie qui invoque une simple collision aviaire sans dommage relevé sur l’appareil.

En l’espèce, la pandémie résultant du coronavirus SARS-CoV-2 correspond clairement à la définition de la circonstance extraordinaire. Elle ne résulte pas de l’activité d’une compagnie aérienne ou de plusieurs, et ses conséquences (notamment la fermeture des frontières et le confinement des individus) ne sont absolument pas maîtrisées par les compagnies aériennes. Les passagers concernés ne pourront donc pas exiger d’être indemnisés pour l’annulation de leur vol.

La prise en charge des besoins des passagers.

Le règlement européen prévoit également la prise en charge des passagers qui sont bloqués à une destination à cause de l’annulation de leur vol, et qui sont en attente d’un vol de réacheminement. Les dispositions détaillées par la suite ne concerneront manifestement que les passagers qui sont bloqués à leur destination finale ou à une escale, et non à leur aéroport de départ.

L’article 9 du règlement détaille ainsi l’obligation de prise en charge qui incombe aux compagnies aériennes à l’égard de leurs passagers. Elles doivent prendre en charge ou rembourser les frais de restauration et de rafraîchissement des passagers, les frais de communication (deux appels téléphoniques, ou deux mails), ainsi que les frais d’hôtel et de transport entre l’hôtel et l’aéroport si les passagers ne peuvent décoller le jour initialement prévu. Ces règles s’appliquent-elles encore au vu de la situation actuelle ?

En 2010, après l’éruption du volcan islandais Eyjafjöll, la totalité des vols commerciaux avaient également été interrompus sur une longue durée. Des passagers étaient donc bloqués, en attente d’un autre vol pour rentrer chez eux, et devaient payer eux même plusieurs nuitées imprévues. Certaines compagnies ont refusé de rembourser ces frais, du fait de la nature de la circonstance extraordinaire. Or, il a été jugé le 31 janvier 2013 par la CJUE dans un arrêt “McDonagh contre Ryanair Ltd” [5] que l’obligation de prise en charge n’était assujettie à aucune limitation temporelle ou pécuniaire. Elle doit être effectuée pendant le temps “nécessaire” pour la compagnie pour réacheminer le passager à sa destination finale ou initiale. Une seule limite : la compagnie peut rembourser les frais déboursés par le passager, mais ces frais doivent être “raisonnables”. La définition de “raisonnable” est pour l’instant laissé à l’appréciation des compagnies.

La conclusion est simple, les compagnies aériennes doivent, dans l’immédiat, prendre en charge les frais de logement à l’hôtel, les frais de restauration et de rafraîchissement, deux communications, et le transport entre l’hôtel et l’aéroport si une place sur un vol de réacheminement vers la France est disponible plus tard. Des vols pour rapatrier les passagers sont toujours prévus, et les passagers concernés doivent profiter de cette prise en charge de leurs besoins en attendant ces nouveaux vols.

Le vol réservé auprès d’une agence de voyage dans le cadre d’un forfait touristique

En cas d’annulation d’un voyage dans le cadre d’un forfait (une nuit d’hôtel au moins, vol et hébergement compris dans le prix), le voyagiste a en principe l’obligation d’avertir son client dans un délai raisonnable et de lui proposer un remboursement intégral dans un délai ne pouvant excéder 14 jours après la résolution du contrat.

La survie des voyagistes étant menacée par les demandes massives de remboursement, le gouvernement leur a accordé des dérogations à cette obligation de remboursement, dans une ordonnance n° 2020-315 du 25 mars 2020. Selon Maître Germain Liccioni [6], "les principes prévus par les articles L.211-4 et R.211-10 du Code du tourisme sont temporairement modifiés. Outre la proposition de remboursement intégral, le voyagiste qui décide d’annuler peut désormais proposer un avoir dont le montant est égal « à celui de l’intégralité des paiements effectués au titre du contrat résolu ».

La proposition doit cependant respecter certaines conditions : "elle doit être formulée au plus tard dans un délai de trois mois à compter de la notification de la résolution, et l’avoir est valable pendant une durée de dix-huit mois, à l’issue de laquelle le remboursement doit avoir lieu".
Me. Liccioni indique également que la nouvelle prestation proposée doit répondre à certaines conditions cumulatives : “elle doit être identique ou équivalente à la prestation prévue par le contrat résolu ; son prix n’est pas supérieur à celui de la prestation prévue par ce contrat résolu et enfin, elle ne doit donner lieu à aucune majoration tarifaire sauf si cette majoration est prévue dans le contrat résolu". À défaut, précise Me. Liccioni, le voyagiste devra procéder au remboursement intégral, toujours prévu par le Code du tourisme.

En conclusion, les voyagistes pourront proposer à leurs clients, à la place d’un remboursement, un avoir égal au montant payé par ces derniers dans le cadre du contrat résolu, valable sur de futures prestations similaires. Si cet avoir n’est pas utilisé par le client au bout de 18 mois, ou ne satisfait pas aux conditions prévues, le client est en droit d’exiger le remboursement de la somme payée.

Anaïs Escudié, Présidente de RetardVol et Guilhem Della Malva, Juriste Expert chez RetardVol

[1Accéder à une lecture simplifiée du règlement européen n°261/2004 ici.

[2Aff. C‑501/17.

[3Aff. C-195/17.

[4CJUE, “Pešková et Pešká contre Travel Service a.s”, aff. C-315/15, 4 mai 2017.

[5Aff. C‑12/11.

[6Germain Liccioni, Avocat au barreau de Marseille, consulté par Anaïs Escudié et Guilhem Della Malva pour cet article.

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