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Veille de jurisprudence éolienne (janvier 2020) : précisions sur l’appréciation de l’insertion paysagère et de l’impact sur l’avifaune. Par Théodore Catry, Avocat.
Parution : vendredi 28 février 2020
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Entre subtilités procédurales et impératifs d’insertion, le contentieux des autorisations et refus de projets éoliens évolue sensiblement vers une méthodologie commune entre les huit juridictions administratives chargées d’en connaître.
Le mois de janvier 2020 est l’occasion d’importants rappels et d’intéressants développements relatifs à l’appréciation de l’insertion paysagère et de la protection de l’avifaune.

L’article R. 311-5 du code de justice administrative prévoit, depuis le 2 décembre 2018, la compétence de premier ressort des cours administratives d’appel pour connaître notamment des litiges portant sur les autorisations ou refus liés aux installations éoliennes.

Cette mesure, pensée dans une logique économique pour éviter le ralentissement des projets par leur contestation devant la justice, a toutefois le mérite de permettre de mieux cerner jurisprudence en la matière puisque ce sont ces huit juridictions — bientôt neuf avec la future Cour de Toulouse — qui sont chargées de traiter ce contentieux sur l’ensemble du territoire national et dont les décisions ne sont désormais susceptibles que d’un pourvoi au Conseil d’État.

L’occasion est donnée de tirer profit de cette lisibilité et d’examiner l’essentiel, chaque mois, des décisions importantes rendues en la matière.

Nantes, 10 janvier 2020 : annulation sur la forme mais rejet au fond au nom de l’intérêt modéré du paysage impacté.

Dans cette affaire où était contesté le projet d’une ferme de quatre éoliennes près de la forêt de Sillé-le-Guillaume, dans la Sarthe, le Tribunal administratif avait premièrement rejeté le recours contre l’autorisation préfectorale (le recours avait été introduit avant la réforme mentionnée plus haut).

Le jugement est annulé sur la forme : un incident d’instruction a conduit au raccourcissement d’un délai pour produire des mémoires qui a conduit la juridiction à refuser des écritures qui, pour la Cour, aurait dû être prises en compte.

Cependant, en cas d’annulation de jugement pour irrégularité, la Cour doit évoquer l’affaire, autrement dit statuer à nouveau sur le fond du dossier.

Le recours sera malgré tout rejeté au fond. Parmi les motifs de la décision, on relèvera l’idée que l’on retrouvera dans bien d’autres décisions et qui veut que l’impact paysager soit apprécié avec une certaine latitude dans la mesure où le paysage concerné n’aurait qu’un intérêt modéré — marqué, en l’occurrence, par l’artificialisation agricole. S’ajoutant à cela un impact visuel faible depuis les sites remarquables des alentours (notamment depuis certains manoirs et depuis les Alpes Mancelles), la juridiction en conclut que le permis est conforme aux exigences du code de l’urbanisme relatives à l’insertion paysagère [1].

Référence de la décision : CAA Nantes, 10 janvier 2020, 18NT03778.

Douai, 14 janvier 2020 : précision sur l’éventail des actes faisant grief.

L’intérêt de l’arrêt est procédural. La Cour juge que le refus, par une autorité, de donner un accord préalable à la délivrance d’une autorisation administrative, n’est susceptible d’aucun recours, même si cet accord s’impose à l’autorité chargée d’autoriser ou de refuser le projet.

Référence de la décision : CAA Douai, 14 janvier 2020, 18DA00159.

Nantes, 17 janvier 2020 : autorisation d’un projet plus ou moins temporaire sur l’Île de Sein malgré d’évidentes violations des règles d’urbanisme.

Il s’est agi, en somme, de valider un permis accordé à titre temporaire au prix de violations évidentes mais tolérables de la loi Littoral. Le considérant de principe de l’arrêt justifie ce type de projet sur la base d’un intérêt économique qui permettrait de concéder des écarts de règlementation pour autant qu’ils ne soient pas disproportionnés :

« l’objet d’un permis de construire précaire est d’autoriser, à titre exceptionnel, des constructions temporaires qui, sans respecter l’ensemble de la règlementation d’urbanisme applicable, répondent à une nécessité caractérisée, tenant notamment à des motifs d’ordre économique, social, culturel ou d’aménagement, et ne dérogent pas de manière disproportionnée aux règles d’urbanisme applicables eu égard aux caractéristiques du terrain d’assiette, à la nature de la construction et aux motifs rendant nécessaire le projet. » [2]

Référence de la décision : CAA Nantes, 17 janvier 2020, 19NT01506.

Marseille, 20 janvier 2020 : un rappel utile des dangers de la procédure.

Comme évoqué en propos introductifs, le contentieux éolien obéit dans une certaine mesure à une logique économique. Cet impératif est à l’origine de plusieurs pièges dont celui de la cristallisation des moyens.

Lorsque l’on introduit un recours demandant l’annulation d’une décision, les arguments que l’on entend produire sont regroupés en deux grandes familles de moyens, dites « causes juridiques » : les moyens relevant de la légalité externe de la décision (c’est-à-dire tout ce qui concerne la façon dont la décision est prise) et ceux qui relèvent de la légalité interne de la décision (c’est-à-dire le bien-fondé de la décision sur le fond).

En procédure administrative, il est impératif d’avancer, dès l’introduction de la requête au tribunal, au moins un moyen de légalité externe et un moyen de légalité interne. Si l’une de ces « causes juridiques » n’est pas abordée, elle ne pourra plus l’être à partir de la fin du deuxième mois qui suit l’introduction du recours. C’est ce que la Cour a rappelé dans cette affaire.

Depuis la réforme de 2018, le fonctionnement est encore plus sévère pour le contentieux éolien : l’article R611-7-2 du code de justice administrative prévoit désormais qu’il n’est plus possible d’invoquer de nouveaux moyens (même si les deux causes juridiques ont été abordées) passé un délai de deux mois à compter de la communication du premier mémoire en défense.

La vigilance doit donc être maximale et on ne saurait que trop recommander une préparation du recours qui soit la plus exhaustive possible déjà en amont. S’il reste possible d’étayer les moyens par de nouvelles preuves et études en cours d’instruction, il faut en effet être sûr que tous les moyens possibles soient déjà développés dès le départ, même a minima.

Référence de la décision : CAA Marseille, 20 janvier 2020, 18MA01664.

Nantes, 24 janvier 2020 : comment aborder l’insuffisance de l’étude d’impact ?

Cet arrêt rappelle la jurisprudence consacrée par le Conseil d’État dans son arrêt Société Ocréal [3], qui reprenait lui-même un principe développé par la cour administrative d’appel de Nancy en assemblée plénière [4].
Il énonce :

« Les inexactitudes, omissions ou insuffisances d’une étude d’impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ».

Dans cette affaire contre l’autorisation d’un projet éolien près des îles d’Yeu et de Noirmoutier, les requérants estimaient notamment que l’étude d’impact était marquée d’insuffisances qui ont privé le public et l’administration de la garantie d’être informés de manière complète et ont pu influer sur le sens de la décision prise par le préfet.

La Cour s’est alors livrée à une analyse approfondie de l’étude sur les expertises et inventaires préalables, l’avifaune, les conséquences sur le milieu naturel lors des différentes phases de déploiement du projet, les impacts cumulés avec d’autres projets, les chiroptères, les mammifères marins et le puffin des Baléares, oiseau marin le plus menacé d’Europe mais jugé épargné par le projet qui ne se situe que sur une zone de transit.

Référence de la décision : CAA Nantes, 24 janvier 2020, 19NT00916.

Marseille, 24 janvier 2020 : impact d’un projet sur un site aux « enjeux paysagers modérés ».

Dans cette affaire était contesté un projet de cinq éoliennes sur un plateau granitique de Lozère proche du Signal de Salassous.

Comme à Nantes quelques jours plus tôt [5], l’impact du projet est relativisé au nom des « enjeux paysagers modérés » : ici, malgré un paysage spectaculaire et une visibilité depuis de nombreux sites [6], la Cour relève la présence de hangars agricoles, de lignes électriques et de larges pistes forestières qui la conduisent à tempérer son appréciation.

Cette jurisprudence est dangereuse et les acteurs du patrimoine ont tout intérêt à la combattre : l’esprit du principe est qu’un site paysager peut être altéré encore plus parce qu’il l’a déjà été. En d’autres termes, les lieux déjà affectés par l’activité humaine seraient voués à l’être encore davantage, puisqu’ils y ont déjà été partiellement sacrifiés, et ce au risque de phénomènes de saturation et d’encerclement. C’est, en somme, encourager une sorte d’effet poubelle.

L’arrêt apporte, outre cette problématique, d’intéressants enseignements sur l’appréciation des risques induits sur l’avifaune et des mesures de protection prises pour y remédier.

Référence de la décision : CAA Marseille, 24 janvier 2020, 19MA00617.

Marseille, 24 janvier 2020 : l’intérêt supérieur de l’aigle royal.

Dans cette affaire, le Préfet de l’Hérault avait initialement refusé un projet de cinq éoliennes de 110 mètres de haut dans une zone où nichait un couple d’aigle royal du massif de l’Escandorgue.

Le rejet a été annulé par le Tribunal, ce qui a conduit le ministre chargé de l’Environnement à faire appel du jugement.

La Cour se livre à une appréciation de l’impact du projet sur la zone de reproduction des aigles qui sont l’unique couple de cette race dans toute la région. Comme pour le tribunal, elle estime que si le préfet avait initialement refusé le projet, il n’apparaissait pas de façon assez probante que le parc éolien remettrait en cause la capacité reproductrice du couple pas plus qu’il ne risquerait une perte d’habitat et de fragmentation des territoires de chasse.

Les raisons : les aigles nichent à plus de dix kilomètres au nord du projet, qui ne couvre qu’une portion faible et secondaire de leur domaine vital.

La Cour s’appuie en outre sur une étude comparative menée dans un territoire voisin. Quant au risque de collision, elle valide l’étude d’impact qui affirme que les aigles semblent adopter un comportement d’évitement en choisissant de contourner ou survoler à hauteur respectable les éoliennes déjà existantes. La méthodologie semble bien anthropomorphique, l’étude d’impact prêtant à des oiseaux une rationalité aussi aiguisée que celle d’un être humain alors que l’actualité enseigne régulièrement [7] que ce n’est pas le cas, et l’avait d’ailleurs déjà enseigné par le décès d’un aigle royal dans la même zone [8] malgré la présence de dispositifs d’avertissement anticollision sur les éoliennes à l’origine de l’accident.

L’arrêt de la Cour indique en outre que les classements de zones et sous-zones de sensibilité par un parc naturel régional ne peut avoir d’incidence juridique sur la décision d’autorisation d’un projet éolien. En l’espèce, le Préfet s’était estimé lié, à tort pour la juridiction d’appel, au classement de la zone d’assiette du projet en « zone de sensibilité maximale ».

Référence de la décision : CAA Marseille, 24 janvier 2020, 17MA04684.

Théodore Catry Avocat en Droit de l\'Environnement et de l\'Urbanisme

[2Cette affaire très particulière est traitée dans le détail ici.

[3CE, 14 octobre 2011}, n° 323257.

[4CAA Nancy, 4 novembre 1993, 92NC00611.

[5Voir décision du 10 janvier 2020.

[6Notamment depuis l’emblématique Truc de Balduc.

[7Lire en ce sens.

[8Article à lire sur le site de France 3 Régions.