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[Chronique] Avocates, inspirez-nous ! Entretien avec Julia Minkowski (9).
Parution : samedi 23 mai 2020
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"Avocates, inspirez-nous !" est une initiative de Christine Mejean et d’Isabelle-Eva Ternik qui a pour objectif le partage d’expériences professionnelles à travers des entretiens menés avec des avocates aux profils et parcours diversifiés, que le Village de la Justice a eu envie de relayer.

Pour cette nouvelle chronique [1], c’est une battante qui nous livre de façon intimiste son expérience professionnelle et sa vision de la justice pénale : Julia Minkowski, avocate pénaliste et engagée.

"Avocates, inspirez-nous" : les origines du projet.

La loi du 1er décembre 1900 a permis aux femmes d’exercer la profession d’avocat. Olga Balachowsky-Petit a été la première femme à prêter serment le 6 décembre 1900 et Jeanne Chauvin a été la première femme à plaider dans une affaire de contrefaçon de corsets en 1907.
118 ans plus tard, en 2018, les avocates sont plus de 36.000 en France et représentent plus de 55% de la profession d’avocat [2]. Cependant, seules 24,5% d’entre elles sont associées dans les 100 plus grands cabinets d’affaires et leurs revenus moyens sur l’ensemble de leur carrière sont inférieurs de plus de 50% à ceux des hommes [3].
Apprenons à les connaître ! Comment les avocates appréhendent-elles leur métier ? Quelles sont leurs clefs de succès ? Quelle(s) transformation(s) apportent-elles au sein de la profession ?


Julia Minkowski, Avocate associée en droit pénal, en droit pénal des affaires et en droit de la presse depuis 13 ans, Présidente co-fondatrice du Club des femmes pénalistes et Référente des chantiers de la Justice sur le sens et l’efficacité des peines.

(Crédits photo. : Isabelle-Eva Ternik)

Ses attentes du métier d’avocat :

"Mon travail m’habite dans ma vie personnelle sans que ce ne soit ni un poids ni un problème."

« Le métier d’avocat pénaliste, c’était vraiment une vocation. Quand j’étais petite, j’adorais les romans policiers et les films avec des procès. Mais j’ai failli passer à côté de ma vocation. Lorsque j’étais à la fac de droit dans les années 2000, c’était le boom des fusions acquisitions, et je me suis retrouvée embarquée dans une espèce de logique où l’on me disait qu’il fallait faire du droit des affaires, avoir un double cursus et faire ses études à l’étranger. J’ai fait tout ça, et heureusement, pour mon tout dernier stage EFB, je me suis dit "mais attends ce n’est pas ce que tu voulais faire en réalité" et j’ai cherché un stage en pénal.
Aujourd’hui, j’ai la plus grande chance que l’on puisse avoir : mon travail n’en est pas un, il m’habite dans ma vie personnelle sans que ce ne soit ni un poids ni un problème. »

Le sens qu’elle donne à son métier aujourd’hui :

« Défendre, c’est faire rempart pour protéger son client. Les accusateurs en rajoutent toujours. Je suis attachée à ramener systématiquement les choses à leur juste réalité, quels que soient la situation du prévenu ou de l’accusé et le dossier, et à faire appliquer les principes fondamentaux de la justice pénale. »

Sa philosophie de vie professionnelle :

"Il est fondamental que le client ait le sentiment d’avoir été défendu."

« Pour moi, il est fondamental que le client ait le sentiment d’avoir été défendu. Les personnes qui sont poursuivies au pénal subissent une telle violence ! Je veux qu’elles sentent qu’elles ne sont pas seules dans cette épreuve et que je suis leur alliée à 100%. Cela demande une vigilance de tous les instants et un véritable accompagnement humain tout au long de la procédure, qui va au-delà de la seule connaissance du dossier. »

Son engagement pour les femmes pénalistes :

« En 2013, j’ai créé l’association des femmes pénalistes en réaction aux commentaires d’un avocat dans les médias sur la candidature d’une avocate aux fonctions de bâtonnier. Selon lui, les femmes n’auraient ni la voix ni les épaules pour être pénaliste ou bâtonnière ! Avec une amie, Rachel Lindon, nous avions commencé par rédiger un article dans le Huffington Post qui s’intitulait "Une femme ténor, ça n’existe pas… et pourquoi pas ?" à la fin duquel on s’interrogeait sur la création d’une association de femmes pénalistes … pour montrer qu’elles existent !
Malheureusement, notre profession est en retard sur ce sujet, pas seulement en pénal d’ailleurs. Il n’y a pas de « Jean-Michel Darrois au féminin » ou de « Dupond Moretta » et on ne peut pas dire que c’est parce que les femmes avocates en droit des affaires ou en droit pénal ne sont pas de bonnes professionnelles. Cela n’a pas de sens. J’essaye de contribuer à mettre les femmes en lumière et que l’on sorte de la situation actuelle où le seul domaine où l’on va vous recommander une femme, c’est en droit de la famille ! »

Son engagement pour la justice pénale :

"Promouvoir effectivement les autres peines que la prison."

« J’ai participé en 2017 à la structuration du programme présidentiel pour la justice. Dans le prolongement de ce travail, je me suis occupée d’un des chantiers de la justice avec Bruno Cotte sur le sens et l’efficacité des peines, un sujet qui me tient très à cœur. Nos recommandations ont été reprises dans le projet de loi qui est entré en vigueur en mars 2020. Je souhaite encore prolonger cet engagement en accompagnant la réforme avec des actions qui permettront de promouvoir effectivement les autres peines que la prison. Si, au final, on réussit à sortir de la logique sur la peine qui est très "prison prison prison" en France, le fameux « tout carcéral », je serai très fière d’avoir participé à cela. »

Ses caractéristiques d’exercice :

« L’efficacité tant dans l’analyse du dossier que dans la plaidoirie. Lorsque je plaide, je suis dans la démonstration. L’idée c’est qu’à la fin on se dise, non pas : "qu’est-ce qu’elle a bien plaidé !", mais : "c’est elle qui a raison !". »

Sa vision de l’avenir de la justice pénale :

"Trouver une organisation pour fluidifier les relations entre les magistrats et les avocats."

« Au-delà des évolutions sur la peine qui découleront de la loi programmation justice qui est entré en vigueur en mars 2020, il me paraît essentiel de trouver une organisation qui permette de fluidifier les relations entre les magistrats et les avocats. Il y a peut-être quelque chose à revoir au niveau de la formation, peut-être que l’on se sépare trop vite. En tous cas, on ne se voit pas assez et il n’y a pas assez de mouvements entre nos professions.
Il y a également un gros problème sur la détention provisoire qui doit être traité. Il y a trop de liberté laissée à l’interprétation avec un contrôle de la cour de cassation qui est assez léger. L’ordre public est utilisé à toutes les sauces pour placer les gens en détention. Je pense que c’est une erreur.
Sur les peines, enfin, je pense qu’il y a des disparités sur le territoire qui sont assez incompréhensibles avec très peu de prévisibilité. Il faudrait que les magistrats aient des données accessibles et compréhensibles sur la récidive par exemple pour que les décisions soient un peu plus rationnelles au cas par cas ».

Ses trucs et astuces pour réalimenter le moteur au quotidien :

« Notre travail reste quand même assez solitaire, c’est vraiment la seule chose qui peut être dur parfois. Du coup, dans les moments de vie où l’on n’est pas très bien, comme nous en avons tous, la seule chose qui me permet vraiment de redémarrer, c’est l’urgence. Alors que lorsque tout va bien, je peux réfléchir aux dossiers à tout moment, sur les trajets, à la maison, ou même lorsque je couche les enfants ! »

Equilibre vie pro - vie perso :

« J’ai la chance d’être très aidée même si c’est quand même moi qui organise les choses. Mes parents emmènent mes trois enfants en vacances et s’en occupent le mercredi. J’ai aussi une super nounou et de supers enfants (rires) ! Je n’ai jamais eu de problèmes de nuits ! C’est mon mari qui accompagne les enfants à l’école.
Je suis au cabinet vers 9h30 le matin et j’essaie de rentrer le soir vers 19h30, 20h au plus tard. Du coup, j’ai des enfants qui ne se couchent pas très tôt. C’est peut-être pour cela qu’ils dorment bien (rires) ?! Je travaille très rarement le week-end. Et le soir, si besoin, de la maison, et cela, grâce aux nouvelles technologies ! »

A votre avis, être une femme est-il un atout dans l’avocature ?

« Je suis souvent la seule femme à plaider. Dans le procès Tapie qui a eu lieu en début d’année, entre les avocats de la défense et le Parquet, il y avait 12 hommes qui s’exprimaient en face de 3 magistrates. J’étais la seule femme à plaider. Dans ce cas-là, j’ai plutôt l’impression que l’on m’écoute vraiment justement. Peut-être parce que cela change : j’ai une autre voix, une autre façon de me présenter. En plus j’étais enceinte de 7 mois, donc très enceinte (rires) ! J’étais aussi la plus jeune. Là, je pense que ça devient presque un atout ! »

Avez-vous déjà été témoin d’attitudes sexistes ?

« J’ai pu vivre des attitudes déplacées auxquelles j’aimerais d’ailleurs savoir mieux réagir. Je fais mine de ne pas avoir entendu. J’ignore. Ce n’est pas très grave, lorsque l’on n’est pas dans une situation de dépendance, c’est seulement désagréable. Dans un autre registre, encore très récemment, sur un dossier médiatique de droit de la presse, une avocate pénaliste a pu me rapporter que son nom n’avait pas été repris par la presse alors qu’elle plaidait aux côtés d’un autre confrère dont le nom était, lui, cité. Ça c’est un problème. »

Ses conseils aux étudiants :

"Il faut accepter que son travail fasse partie de sa vie."

« Pour être avocat pénaliste, il faut aimer l’autonomie, faire plusieurs choses en même temps, avoir une très bonne mémoire, être très scrupuleux. En fait, je pense qu’il faut être un peu angoissé ! C’est un bon moteur pour être sûr de tout bien vérifier. Il faut accepter que son travail fasse partie de sa vie.
Quand on est avocat, on se réveille souvent le matin en pensant aux dossiers, aux délais… Il faut accepter de vivre en permanence avec cette angoisse. On ne peut pas la laisser au bureau, c’est impossible ! »
 

Ses conseils aux jeunes avocats :

"Les échecs c’est un peu comme les chagrins d’amour : rien ne peut véritablement soulager la douleur… à part le temps !"

« Je me souviens d’un procès où j’ai obtenu en appel un résultat qui était moins bon qu’en première instance pour un jeune homme que je défendais devant la Cour d’Assises. Je me suis sentie inutile. Deux jours après le procès, j’ai fait un cauchemar, j’étais sur un pont, mon fils, petit, marchait en contrebas sur le bord de la Seine et je me disais "mais il va tomber !". Il y avait un adulte derrière lui que j’essayais d’interpeller mais je n’avais plus de voix. Cette impuissance, c’était celle que j’avais ressenti pendant tout le procès notamment lorsque je voyais comment la présidente se comportait. J’étais alors prise par l’émotion et je sentais que je forçais un peu ma voix lors de mes interventions. Après ce procès, pendant deux mois, je ne reconnaissais plus ma voix, elle était comme voilée ! Ça a fini par passer. Je pense que face aux échecs, il faut vivre son expérience, il n’y a rien à faire d’autre. Rien ni personne ne peut vous réconforter. C’est un peu comme les chagrins d’amour : rien ne peut véritablement soulager la douleur… à part le temps ! »

Propos recueillis par: Christine Méjean et Isabelle-Eva Ternik, Avocates.

[2Source : www.justice.gouv.fr

[3Source : Rapport Haeri 2017.

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