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L’article 1780 du Code civil, providentiel bastion de résistance à la « barémisation » des licenciements ? Par David Masson, Avocat.
Parution : vendredi 13 décembre 2019
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Je vous avais informés précédemment de notre avis sur la non-conformité de la réforme Macron de 2017 vis-à-vis de la convention de l’OIT (organisation internationale du travail, comme de la Charte européenne des droits sociaux (norme supra législative en matière de travail, dans les pays membres du conseil de l’Europe).
A présent, je souhaiterais informer les salariés qu’en matière de licenciement (au-delà du constat juridique posé précédemment), ceux-ci disposent d’un texte, toujours effectif, qui posa dès 1890, la réparation intégrale de leurs préjudices, nés à l’occasion de la rupture de leurs contrats de travail : ce texte c’est l’article 1780 du code civil, lequel dispose (au sujet de l’ancêtre du contrat de travail, le contrat de louage de service).

Nous ne cesserons jamais de nous battre contre l’arbitraire de ces incessantes réformes, trop souvent brutales et dépourvues de tout effet positif.

Je vous avais informés précédemment de notre avis sur la non-conformité de la réforme Macron de 2017 vis-à-vis de la convention de l’OIT (organisation internationale du travail, comme de la Charte européenne des droits sociaux (norme supra législative en matière de travail, dans les pays membres du conseil de l’Europe).

A présent, je souhaiterais informer les salariés qu’en matière de licenciement (au-delà du constat juridique posé précédemment), ceux-ci disposent d’un texte, toujours effectif, qui posa dès 1890, la réparation intégrale de leurs préjudices, nés à l’occasion de la rupture de leurs contrats de travail : ce texte c’est l’article 1780 du code civil, lequel dispose (au sujet de l’ancêtre du contrat de travail, le contrat de louage de service) :

« On ne peut engager ses services qu’à temps, ou pour une entreprise déterminée.
Le louage de service, fait sans détermination de durée, peut toujours cesser par la volonté d’une des parties contractantes.
Néanmoins, la résiliation du contrat par la volonté d’un seul des contractants peut donner lieu à des dommages-intérêts.
Pour la fixation de l’indemnité à allouer, le cas échéant, il est tenu compte des usages, de la nature des services engagés, du temps écoulé, des retenues opérées et des versements effectués en vue d’une pension de retraite, et, en général, de toutes les circonstances qui peuvent justifier l’existence et déterminer l’étendue du préjudice causé.
Les parties ne peuvent renoncer à l’avance au droit éventuel de demander des dommages-intérêts en vertu des dispositions ci-dessus.
Les contestations auxquelles pourra donner lieu l’application des paragraphes précédents, lorsqu’elles seront portées devant les tribunaux civils et devant les cours d’appel, seront instruites comme affaires sommaires et jugées d’urgence.
 »

Et dans cette optique, il y a fort à parier que la pratique professionnelle du droit du travail (re) découvre un article du code civil, ancien, quelque peu égaré depuis 1973, dans certains recoins peu lus du code civil, certes d’un autre temps mais non-abrogé et, d’une actualité remarquable, propre à lui conférer une nouvelle jeunesse.

Dans un premier temps, je vous propose de vous expliquer d’où provient cet article du Code civil et quels sont ses sens et portée. (I)
Dans un second temps, je vous propose de vous expliquer en quoi l’utilisation systématique de cet article est fondamentale, face à cette réforme du droit du travail (instaurant prétendument le droit d’afficher « un prix sur le front des personnes que le chef d’entreprise souhaite licencier). » (II)

I) Brièvement, un peu d’histoire du droit du travail, pour localiser l’apparition mais surtout les sens et portée initiales de l’article 1780 du Code civil.

Nombre de praticiens en droit du travail voient souvent d’un œil surpris, voire circonspect, l’utilisation de textes issus du droit civil classique, en droit du travail.
Pourtant, le droit du travail constitue une branche du droit des obligations. Dès cette étape, réaffirmons que la grammaire du droit des obligations, qui se trouve inscrite dans les pages de notre code civil, lui est entièrement applicable.
A une époque ou il n’existait pas encore de code du travail (ni de droit du travail ainsi désigné), les conflits qui éclataient à l’occasion d’un « contrat de louage de service », se solutionnaient par l’application du droit classique des contrats.
Pour autant, le progrès social amenant une exigence évidente de sécurité pour les travailleurs (lesquels, bien souvent, succombaient sous le poids d’une une précarité dramatique), la loi du 27 décembre 1890, marquait la modification substantielle de l’article 1780 civil.
Et, cet article 1780 du Code civil (outre proscrire depuis 1804 les engagements perpétuels), affirmerait toujours la possibilité pour les parties à un contrat de louage de service, de s’en libérer, par le biais de la résiliation unilatérale.
Mais surtout, la réforme de 1890 précisait qu’en cas de résiliation abusive par l’une ou l’autre des parties, des dommages intérêts seraient versés par le fautif et que, ceux-ci devraient être fixés par le juge, compte tenu de « toutes les circonstances pouvant justifier l’existence et déterminer l’étendue du préjudice causé. »

Cette précision est essentielle car le barème Macron ne prend en compte que :
- Ancienneté du salarié,
- Effectif de l’entreprise.

Ainsi en 1890, le législateur conférait la pleine compétence au juge judiciaire, pour apprécier l’étendue des préjudices subis par la partie lésée d’un contrat de louage de service (de travail), victime de la résiliation dudit contrat (intempestive, injustifiée, brutale, déloyale etc) commise par son cocontractant.

A cette époque, on ne parlait pas de l’exigence de causes réelle et sérieuse à un licenciement, celles-ci naîtront en tant que telles, des termes de la loi du 18 juillet 1973.

Durant trois quarts de siècle, on restera là. Bien sûr, on sait bien que le marché du travail était tout à fait différent jusqu’alors et que la notion de chômage de masse était inconnue. Les contentieux demeuraient donc bien moins importants qu’ils ne le deviendraient.
A l’occasion de l’avènement de la loi du 18 juillet 1973, l’article 1780 du code civil tomba progressivement dans l’oubli, sans disparaître pour autant…

II). En pratique, l’article 1780 du code civil, providentiel bastion de résistance, pour restaurer un principe fondamental de réparation intégrale des préjudices, souverainement appréciés par le juge judiciaire.

C’est ainsi que jusqu’en 1973, la réparation des préjudices liés à un licenciement « contestable » s’effectuait sur la base de la notion bien connue d’abus de droit, notion d’ailleurs appréciée bien plus largement à l’époque, car englobant toute la sphère de contestation de ce contentieux (absence de motifs, déloyauté, abus divers et variés…).

Et ne nous y trompons pas, s’il est incontestable que les notions de licenciement sans cause réelle et sérieuse et, de licenciement abusif, sont tout à fait différentes (dans leurs acceptions respectives depuis plus de quarante ans), il serait restrictif et erroné de s’obliger à penser que l’on peut cantonner la lettre primordiale de la Cour de cassation posée en 1900).

Le texte ne précise d’ailleurs pas un tel cantonnement alors, là ou la loi de distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer.

En réalité, cet article 1780 du code civil, pose un régime juridique absolument orthodoxe.
Qu’il s’agisse de la sphère de la réparation des préjudices découlant de la résiliation d’un contrat, comme de celle de l’office du juge judiciaire, au sein de l’estimation de ladite indemnisation.
Et cette orthodoxie sécurisante (et nécessaire), pour la partie faible du contrat, se heurte frontalement à la doctrine et aux réformes (empressées) du Président Macron, visant à instaurer un droit pour l’employeur, « de poser des étiquettes de prix (sur le front des salariés »), auxquelles les juges devraient, « en tant que bons comptables », s’y référer dans leur décisions éventuelles de condamnation.
Les alinéas 2,3 et 4 de cet article fondateur (1780) disposent :
« Le louage de service, fait sans détermination de durée, peut toujours cesser par la volonté d’une des parties contractantes.
Néanmoins, la résiliation du contrat par la volonté d’un seul des contractants peut donner lieu à des dommages-intérêts.
Pour la fixation de l’indemnité à allouer, le cas échéant, il est tenu compte des usages, de la nature des services engagés, du temps écoulé, des retenues opérées et des versements effectués en vue d’une pension de retraite, et, en général, de toutes les circonstances qui peuvent justifier l’existence et déterminer l’étendue du préjudice causé.
 »

Le sens et la portée de cet article de 1890 du code civil, non abrogé, s’opposent viscéralement à la réforme portée par le Président Macron, qui elle tend à instaurer une réparation des préjudices des salariés, de manière robotique, sur l’obligation pour le juge judiciaire de ne prendre en compte que deux critères d’appréciation :
- L’ancienneté,
- La taille de l’entreprise (micro entreprise et entreprise de plus de 11 salariés).

Une telle vision des choses est antinomique de l’idée de justice, de droit et même d’équité.

On crée une dichotomie de régime entre ceux qui auraient donc la chance de travailler dans une entreprise de 11 salariés et les autres.

A ancienneté égale, on crée encore une autre dichotomie de régime entre ceux, qui sont licenciés jeunes, sans situation familiale impérieuse, sans crédits…, qui peuvent rebondir vite et, les autres. C’est-à-dire par exemple, ceux qui ont plus de 50 ans, qui auront toutes les peines à rebondir, qui ont une famille nombreuse à charge, des crédits importants… et pour lesquels un licenciement injustifié, comme abusif, peut signifier au-delà de leur ancienneté, un malheur odieux et intolérable.

Il est intéressant aussi de relever les termes choisis par les rédacteurs des ordonnances Macron, qui ne visent au travers de leurs « barèmes », que la réparation du préjudice de perte d’emploi et, fixée que sur ce seul critère d’ancienneté.

Il en est forcément ainsi, car si l’âge, le degré de formation, le nombre d’enfants à charge, les crédits en cours etc avaient été pris en compte, ceux-ci les auraient nécessairement intégrés à leurs tableaux sinistrement comptables.

Et tel n’est pas le cas, sans l’ombre d’un doute.

On précisera encore qu’affirmer que « les planchers et plafond visent une indemnisation globale des salariés », revient à faire dire aux textes ce qu’eux-mêmes n’affirment pas.

Et c’est là ou l’article 1780 du code civil doit servir à délimiter la portée exacte des ordonnances du Président Macron.

Les planchers et plafonds ne peuvent pas organiser une indemnisation restrictive des préjudices des salariés.

Non en aucun cas.

Puisque ces dispositions ne précisent qu’un seul critère d’estimation de préjudice : l’ancienneté. (L’autre critère lié à la taille étant par nature invraisemblable, puisque correspondant à une approche non personnalisée et extérieure au salarié et d’ailleurs jugée inconstitutionnelle par le Conseil Constitutionnel en 2015.)

Pourraient se préciser ainsi, les contours de futures jurisprudences distinguant deux cas de figure, au sein de la réparation des préjudices liés à la perte injustifiée de l’emploi :
- Le cas ou le salarié ne démontre aucun préjudice autre que celui d’avoir perdu son emploi, l’exemple type d’une personne jeune et ayant vite rebondi.
- Le cas ou le salarié licencié, démontre, abstraction faite de son ancienneté, qu’il subit des préjudices non-pris en compte par les dispositions desdites ordonnances : son âge, ses difficultés à se faire réembaucher, la durée du chômage vécu, les enfants à charge, la situation financière, les crédits en cours.

Et, bien entendu, on laisse de côté, la sphère qui concerne les préjudices distincts de la perte injustifiée de l’emploi tels que : les circonstances vexatoires, l’abus de droit, la déloyauté, les préjudices moraux etc.

Ces préjudices distincts sont réparés de manière autonome et les ordonnances n’ont pas modifié la possibilité pour les salariés de les établir (ceux-ci sont reconnus de longue date, comme établissant un licenciement abusif, fondamentalement différent d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse).

C’est là tout le sens et la portée, nouveaux, que pourrait revêtir l’article 1780 du code civil, c’est-à-dire, restaurer l’office du juge judiciaire dans la prise en compte (abstraction faite des planchers et plafonds) de l’intégralité des préjudicies subis par les salariés, licenciés sans juste motif.

Il y a fort à parier que cet article revienne sur le devant de la scène, mais ne nous y trompons pas, on ne peut se réjouir du fait que des protections datant de 1890 soient plus efficientes que celles jaillissant de notre « nouveau monde ».

David MASSON Avocat au barreau de GRASSE Associé-Gérant de la SELARL DMA www.davidmasson-avocat.fr
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