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Notation des avocats : qu’en pensent les professionnels ?
Parution : jeudi 17 octobre 2019
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La notation en ligne des avocats est un sujet très sensible qui s’inscrit dans un contexte particulier où tout le monde se fait évaluer. Un constat qui hérisse le poil d’une partie de la profession d’avocats, mais est-ce une fatalité ? Peut-être serait-il plus judicieux de prendre le problème autrement... Dès lors, comment faire en sorte que l’évaluation se passe le mieux possible et bénéficie à tous ?
Et qu’en dit le CNB dans ses dernière interventions ?

Dans cette enquête, nous avons demandé à cinq professionnels du marché du droit leurs avis sur la question : Frédéric Chhum, Michèle Bauer, Bernard Lamon, Marion Couffignal (présidente de l’Union des Jeunes Avocats de Paris) tous les quatre avocats, et Charlène Gohaud, présidente d’Ermine, une plateforme d’évaluation des avocats.

Internet comme voie privilégiée d’accès au droit pour les justiciables.

Aujourd’hui, les études montrent que l’accès à la Justice est considéré comme de plus en plus difficile. Avec l’augmentation du nombre d’avocats depuis 10 ans, l’offre explose, et elle semble maintenant trop diversifiée pour une population qui ne sait pas toujours comment choisir. En effet, comme le dit Bernard Lamon : « tout le monde ne veut pas non plus le même avocat : certains le veulent local, et à l’inverse d’autres le préfèrent d’une autre ville ; issu d’un cabinet de taille moyenne ou plus importante ; avec une grande réactivité, etc ».

Pour trouver un avocat ou une information susceptible de les aider sur une problématique juridique, les français débutent en masse leur parcours sur le moteur de recherche de Google (En 2015 par exemple, Google recensait environ 70.000 recherches par mois sur des mots clés comportant le terme “avocat”, ou ”recherche avocat” ou “trouver avocat”). Pour résoudre cette difficulté d’accès au droit, les premières plateformes de notation des avocats se sont engouffrées dans la brèche au début des années 2010.

L’importance du marché des plateformes de référencement pour les avocats.

Conscientes de l’importance de la relation-client pour les avocats et des avancées technologiques remettant en question le traditionnel annuaire papier, des legaltech ont émergé pour s’occuper de ce marché de niche. Les évolutions sont lentes toutefois : la technologie doit encore être approfondie et les acteurs du monde du droit et notamment les avocats doivent adhérer au nouvel écosystème.

L’une des valeurs cardinales de nos jours pour les entreprises est la visibilité.

L’une des valeurs cardinales de nos jours pour les entreprises est la visibilité. Les avocats y sont aussi soumis en tant qu’entrepreneurs du milieu juridique, et gérer un cabinet signifie avant tout avoir des clients. Or pour les attirer, il faut se faire connaître d’eux, et c’est tout l’apport que prétendent proposer les plateformes de référencement. « Moins d’un Français sur 10 déclare faire appel à un avocat pour répondre à ses questions juridiques. Si on s’intéresse aux entreprises, 59% des dirigeants de TPE renoncent à faire appel à un avocat quand ils ont une problématique juridique » constate Philippe Wagner, co-fondateur de Captain Contrat [1]. Et cette tendance les oriente tout naturellement vers Internet.
Marion Couffignal, qui a débuté en juin dernier son mandat de présidente de l’UJA de Paris, regrette « la frilosité d’une partie de la profession » qui fait de cette question quelque chose de « terrifiant ». Elle souhaite « travailler à emmener la majorité des confrères vers la pratique des nouvelles techniques de communication ».
Elle rappelle d’ailleurs que des modules de formation sont proposés par l’UJA de Paris pour aider à la prise en main d’une stratégie digitale pour les avocats qui ne sont que 58% à utiliser un site internet pour leur cabinet (et moins de 34% le mettent à jour régulièrement).

Les legaltech se présentent ainsi comme des facilitateurs de la transition digitale des cabinets d’avocats qui touche notamment la communication et le marketing de la structure d’exercice. Parmi les critères principaux sur lesquels s’orientent les choix des consommateurs-clients du droit, figure la transparence du service, que cela concerne les tarifs de la prestation juridique, ou bien les avis publiés sur les profils des avocats référencés.

L’humain avant tout.

Un des écueils à éviter selon Michèle Bauer pour avancer au mieux dans cette révolution technologique est le libéralisme à tout va. En effet, l’avocate met en garde contre cette philosophie qui « considère qu’aucune règle ne doit entraver la liberté d’entreprendre et que l’on doit pouvoir tout noter, tout évaluer car cela sert le marché et l’économie ». Or selon elle « lorsque des innovations voient le jour, il convient de les analyser, éventuellement de les critiquer, ne pas les accepter juste parce qu’elles sont modernes ».

Les transformations qui ont cours actuellement pour l’avocat tiennent à la manière dont il va considérer la relation-client. Comme le rappelle Charlène Gohaud, « cette profession constitue un véritable pont entre la vie réelle et la vie judiciaire ». Une place essentielle, mais qui doit tout de même évoluer avec le reste de la société, qui se transforme très vite. Les habitudes et les exigences du consommateur se font plus pressantes et grandes et tout doit être réglé vite, bien et sans lui demander trop d’efforts. Plus important encore, cela peut permettre au professionnel du droit de recréer du lien avec le consommateur et de se réinventer en business partner plutôt que « sachant » stricto sensu.

Les compétences relationnelles, érigées en critères de notation sur Internet, doivent lui permettre de se distinguer des nouvelles technologies afin de « créer cette compréhension dans la relation avec le client ». Pour se démarquer des autres plateformes et notamment de Google, Ermine se revendique la seule « qui propose une évaluation conforme à l’arrêt de la Cour de cassation » et « qui atteste de la véracité des avis et permet au justiciable d’émettre un avis sur des critères précisément bordés. »

Marion Couffignal souhaite mettre en avant « le formidable outil marketing que peuvent être le système de notation pour les avocats et la transparence dans les critères de notation », tout en mettant en garde contre la chimère que cela peut représenter : « ce n’est pas parce qu’on appelle à plus de transparence que les clients vont se tourner vers des plateformes qui pratiquent celle-ci. »
Michèle Bauer est plus critique sur le concept de la notation des avocats, estimant que « ce ne sont que les clients mécontents qui notent leur avocat, comme une sorte de mesure de représailles. »

Un regret : le tabou qui règne sur la transparence des honoraires.

Bernard Lamon, avocat chez Nouveau Monde Avocats met en avant une approche proactive, expliquant que son cabinet a lui-même interrogé ses clients afin de connaître ces fameux critères : « la réactivité, l’aspect concret des réponses, l’absence d’arrogance et la transparence des honoraires ».
Sur ce dernier point, tout comme ses consœurs Michèle Bauer et Marion Couffignal, il regrette le tabou qui règne dans l’avocature. Selon lui, « il faudrait donner des exemples de missions types avec les tarifs pour informer les potentiels clients ». En effet, mieux vaut « envoyer une offre avant, et forfaitiser dès que l’on peut ». Michèle Bauer regrette, elle, la rareté de la pratique des honoraires « peu importants pour les premières consultations », car cela repousse dans les bras des sites de notation les futurs clients qui « lisent d’abord les avis par crainte de perdre de l’argent ». Or imposer ces honoraires à bas coût permet justement au futur client de « tester l’avocat à moindre coût, et déterminer si la confiance peut s’installer ». Marion Couffignal critique « un frein à la croissance et qui empêche d’atteindre un potentiel de développement énorme mais inexploité. Cette question ne pourra pas avancer tant que l’on aura cette image de professionnels aux tarifs illisibles et que le client n’aura pas la possibilité de les appréhender au mieux ».

Comment maîtriser sa réputation en ligne ?

Pour asseoir sa réputation via sa relation-client, l’avocat doit à la fois maîtriser sur le bout des doigts les codes d’une bonne stratégie de communication sur Internet et « savoir exploiter ses talents ». Charlène Gohaud, présidente de la plateforme d’évaluation Ermine conseille de « gérer tous les commentaires en faisant preuve d’une vraie maturité » car les justiciables qui consultent les avis en ligne prêtent surtout attention à la qualité de la réponse du professionnel.
La profusion de réseaux sociaux est un piège également, aussi « se disperser sur ces plateformes est stérile car la conversion ne fonctionne pas tout à fait pareil que pour un produit de e-commerce. »

« Il faut gérer les commentaires en faisant preuve d’une vraie maturité. »

L’avocat qui souhaite gérer au mieux sa réputation en ligne doit « être qualitativement présent sur internet » en donnant des « informations pertinentes » tout en « affichant la satisfaction et l’insatisfaction des clients », en prenant soin de bien répondre aux commentaires.
Pour Marion Couffignal, un réseau d’« influenceurs » peut constituer un relai intéressant pour « partager des contenus et toucher la cible la plus large ».

Frédéric Chhum, membre du Conseil de l’Ordre, rappelle le caractère règlementé de l’avocature qui rend l’évaluation, et notamment la réponse de l’avocat, problématique. Sur ce point Bernard Lamon va à l’opposé de ce que préconise le Conseil National des Barreaux (CNB) : « je réponds aux commentaires objectifs même si le CNB l’interdit en brandissant le secret professionnel ». Un point sur lequel « il faut avoir une réflexion » pour la présidente de l’UJA car « évidemment il faut respecter les règles déontologiques, mais pour traiter cette problématique, il faut une réponse non juridique et qui concerne des compétences de service client ». Un des leviers stratégiques pour contrer les commentaires négatifs, conseillé par Michèle Bauer est de « solliciter vos clients qui vous ont félicité, qui étaient contents de votre travail afin que ces derniers postent un bon commentaire pour faire oublier le mauvais. »

Parfois, compte tenu de l’aspect éminemment humain de la chose judiciaire et de l’anonymat qui règne sur Internet, des commentaires peuvent tourner à l’injure. Les avis sont là encore partagés, entre les partisans, comme Bernard Lamon, de « la liberté du client de mettre un commentaire négatif car il faut accepter qu’il exprime son mécontentement sur le service de l’avocat » ; et, au contraire, ceux, comme Michèle Bauer, qui estiment qu’il faut contre-attaquer et « utiliser la procédure disponible sur Internet » pour se défendre et éviter « l’effet Barbra Streisand » (attirer la curiosité et susciter la médiatisation d’une information en essayant de l’interdire). Marion Couffignal suggère de « faire une veille quotidienne sur internet » pour débusquer les commentaires pouvant salir sa réputation.

« Ce sont de véritables opportunités qui peuvent nous permettre de rester le premier recours des justiciables. »

Le bilan numérique que nous avions publié en juin dressait un tableau mitigé de la présence des avocats sur Internet et de leur utilisation des nouvelles technologies dans leurs structures, sans faire de distinction entre la nouvelle et la "vieille génération" de l’avocature. Un point relevé par Michèle Bauer, rejointe par les autres professionnels interrogés : « l’opposition entre un soi-disant vieux monde peuplé de vieux ringards et le nouveau monde tourné vers l’avenir et la modernité est très caricaturale pour ne pas dire risible ». Charlène Gohaud appuie d’ailleurs cette idée en affirmant que « la modernité réside justement dans le sens du service ». Marion Couffignal souhaite, elle, insuffler une note d’espoir dans son mandat : « Il ne faut pas être pessimiste car, en respectant nos règles et notre déontologie, ce sont de véritables opportunités qui peuvent nous permettre de rester le premier recours des justiciables ».

Sans pour autant freiner le développement du numérique, le contact humain reste primordial.

Le Conseil National des Barreaux à l’initiative...

Présente mercredi 2 octobre 2019 à l’évènement « Les matinales de l’ACPI (Association des Conseils en Propriété Industrielle) » sur les impacts du numérique et de l’intelligence artificielle sur les métiers du droit et du chiffre, Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil National des Barreaux (CNB), a abordé la question du développement des plateformes numériques.

Selon elle, « le besoin d’expliciter son cas, devant un avocat, ne peut être effacé par les plateformes numériques et leur système de notation. » Cette dimension humaine, en effet, « doit rester omniprésente » d’autant plus que le CNB a lui-même mis en place un site de mise en relation, Avocats.fr, fort de 15 000 avocats, pour donner la possibilité de consultations au premier niveau. Un message qu’elle martèle car « il faut le contact humain et la nécessité de repositionner sur le contexte » pour garantir aux justiciables le meilleur accès au droit et à la justice, « sans pour autant freiner le développement du numérique. »

L’Assemblée Générale du Conseil National des Barreaux du 11 octobre 2019, qui s’est déroulée dans la foulée du débat sur la réforme des retraites, a été l’occasion pour l’institution d’aborder cette question de nouveau. Cette fois de manière beaucoup plus formelle puisque les avocats membres de la Commission Prospective & Innovation ont présenté leur rapport relatif à la notation et aux avis sur internet. Une étude constituée de témoignages d’experts du numériques et de professionnels.

Prenant acte de cette base documentaire, le CNB a donc, par une résolution [2], créé un groupe ad hoc chargé de trois choses : tout d’abord, « initier une étude spécifique sur l’impact du numérique dans le choix d’un avocat par le client (parcours d’acquisition client) » ; ensuite, « examiner les aspects déontologiques susceptibles d’être soulevés par la notation et par l’intermédiation » ; enfin, « réfléchir sur les nouvelles évolutions et les bonnes pratiques en matière de notation pour les avocats et pour les tiers. »

...mais en retard par-rapport aux voisins belges.

Dans un article [3] publié sur le site de l’ordre des avocats belges, dans la rubrique La Tribune, le président de l’instance Xavier Van Gils a présenté une initiative sur la notation des avocats, pour « développer l’esprit critique de l’avocat en vue de l’amélioration de ses services ».

Cette opération, menée par un groupe de travail ad hoc, prend la forme d’une « fiche simple (pour qu’elle soit remplie rapidement) d’évaluation de l’avocat par le client » comprenant cinq thématiques : « ouverture du dossier », « honoraires et frais », « services », « communication » et « question ouverte ». Chaque thématique comprend un ou plusieurs critères auxquels les clients peuvent répondre par des appréciations : « mauvais », « moyen », « bien », « excellent ».

Seul le temps nous dira si cet outil pourra rendre heureuses toutes les parties et, pourquoi pas, faire des émules dans l’Hexagone. A suivre...

Simon Brenot Rédaction du Village de la Justice
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