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Une vraie réforme des pratiques restrictives de concurrence. Par Xavier Henry et André Bricogne, Avocats.
Parution : mercredi 15 mai 2019
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L’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 modifie les dispositions du titre IV du livre IV du code de commerce et notamment les dispositions concernant les pratiques restrictives de concurrence. Celles-ci sont en grande partie réécrites. Présentation de ces importantes modifications.

Fortement attendue, la réforme du titre IV du livre IV du code de commerce est intervenue par ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 [1].

Cette ordonnance modifie les dispositions relatives à la transparence dans la relation commerciale (conditions générales de vente, convention unique, facturation, ….), les pratiques restrictives de concurrence (avantage consenti disproportionné, déséquilibre significatif, rupture brutale…) et les « autres pratiques prohibées » (hausse ou la baisse artificielle des prix, …).

S’agissant de l’ancien article L. 442-6 du code de commerce qui concernait les pratiques restrictives de concurrence, il ne s’agit pas d’une reforme à la marge mais bien d’une véritable refonte qui part du constat que « l’étude de la jurisprudence en la matière, les concertations qui ont eu lieu lors des EGA [2] et les consultations auprès des professionnels concernant la présente ordonnance montrent que les treize pratiques énumérées dans la liste du I de l’actuel article L. 442-6 ne sont pas pleinement utilisées par les opérateurs économiques. Certaines pratiques n’ont en effet jamais fait l’objet d’une action en justice ou alors de manière sporadique ». [3].

Ne sont ainsi conservées que la prohibition des pratiques restrictives de concurrence de l’ancien article L. 442-6 qui « concentrent l’essentiel du contentieux en la matière » [4] et qui sont réécrites, à savoir la tentative d’obtention ou l’obtention d’un avantage sans contrepartie ou disproportionné, la tentative de soumission ou la soumission à un déséquilibre significatif, la rupture brutale des relations commerciales établies, la violation de l’interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive, l’interdiction des pratiques d’avantages rétroactifs et du bénéfice automatique de conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes. Les sanctions sont également quelque peu modifiées.

D’une manière générale, l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 simplifie et clarifie les pratiques restrictives de concurrence de l’ancien article L. 442-6 qui sont désormais codifiées aux articles L. 442-1 à L. 442-4 du code de commerce. La nouvelle rédaction de ces pratiques interdites soulève néanmoins quelques interrogations auxquelles il appartiendra aux juridictions saisies de répondre. Les grands changements opérés sont repris ci-après.

1) L’obtention d’un avantage sans contrepartie ou disproportionné : une extension importante du champ d’application du texte.

L’article L. 442-I, 1° dispose désormais que « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services […] d’’obtenir ou de tenter d’obtenir de l’autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ».

La réforme étend le champ d’application du texte, de sorte qu’il a vocation à s’appliquer à des situations qui échappaient à l’ancien article L 442-6, I-1°. Les changements résident :
- dans la désignation de l’auteur de la pratique ;
- dans la désignation de la victime de la pratique ;
- dans le remplacement des termes « aucun service commercial effectivement rendu » par les termes « aucune contrepartie » ;
- dans la suppression des exemples qui étaient donnés par le texte (participation à un financement non justifié, globalisation artificielle du chiffre d’affaires, …).

S’agissant de l’auteur, il est désormais désigné comme « toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services » [5].

Il serait cependant sans doute hâtif d’en conclure que l’auteur pourrait ne pas être nécessairement un commerçant ou un artisan parce que la référence à ces qualités a été supprimée du texte nouveau et donc que l’auteur pourrait être non-commerçant (membre d’une profession libérale par exemple).

En effet, le texte précise que le fait engageant la responsabilité de l’auteur doit être commis « dans le cadre de la négociation commerciale ». Selon que ces termes seront interprétés strictement [6] ou largement [7], le champ d’application du nouveau texte sera donc plus ou moins étendu.

Quant à la victime, le nouveau texte substitue aux termes « un partenaire commercial » présents dans l’ancien article L 442-6, I, 1° ceux de « l’autre partie ». Cette modification n’est pas neutre. La cour d’appel de Paris interprétait, à propos de l’article L.442-6, I, 2° (déséquilibre significatif), les termes « un partenaire commercial » [8] de manière très, voire excessivement restrictive [9].

Le nouveau texte a–t-il pour ambition d’être d’application générale ? La réponse dépendra là encore de l’interprétation qui sera donnée des termes « dans le cadre de la négociation commerciale ». Un parallèle pourrait à cet égard être fait avec la notion de « relation commerciale » telle qu’interprétée largement par la jurisprudence en application de l’ancien article L 442-6, I, 5° relatif à la rupture brutale des relations commerciales établies. En effet, la jurisprudence appliquait le texte même lorsque la victime n’était pas commerçante [10].

S’agissant de l’avantage obtenu, il ne doit correspondre « à aucune contrepartie ou [être] manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ». La nouvelle rédaction du texte substitue le terme de « contrepartie » à celui de « service commercial » utilisé par l’ancien article L. 442-6, I, 1°. Le Rapport remis au Président de la République explique la substitution des termes par le fait que la rédaction de l’ancien article L. 442-6, I, 1° pouvait « être interprétée comme limitant le champ d’application de cette pratique aux accords de coopération commerciale du fait de la référence au « service commercial ». Or, les juridictions appliquent ce texte dans les relations commerciales en examinant à juste titre les contreparties aux avantages obtenus sans se limiter aux opérations de coopérations commerciales. La suppression des termes : « service commercial effectivement rendu » est donc pertinente ».

La modification du texte devrait cependant aller au-delà de la simple adaptation de la loi à la pratique décisionnelle. Par exemple, le texte n’exclut plus désormais qu’une réduction de prix consentie par une partie à l’autre (qui constitue un avantage) soit examinée à l’aune de la contrepartie obtenue. Or, l’examen de la validité d’une réduction du prix reviendrait à contrôler judiciairement le prix contractuellement convenu. Depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2017 [11], le juge pouvait contrôler judiciairement le prix convenu sur le fondement de l’ancien article L. 442-6, I, 2° du code de commerce qui interdisait la soumission à une clause déséquilibrée significativement. Cependant, ce contrôle se faisait aux conditions posées par ce texte et notamment il fallait démontrer « la soumission » à l’obligation déséquilibrée. Cette condition n’est pas exigée par le nouvel article L. 442-1, 1°.

La rédaction de cet article ne semble donc pas interdire de remettre en cause le prix convenu par les parties au regard des avantages consentis par l’une des parties si cet avantage n’a pas de contrepartie ou s’il est disproportionné par rapport à la valeur de la contrepartie consentie. La cour d’appel de Paris n’excluait d’ailleurs pas que certaines pratiques pouvaient relever par exemple à la fois du 1° et 2° de l’article L. 442-6, 1 du code de commerce [12].

Enfin, la suppression des exemples d’avantages prohibés donnés par l’ancien texte ne les rend évidemment pas licites. Si les illustrations sont retirées de la loi où elles n’avaient d’ailleurs pas vraiment lieu d’être, le principe de prohibition est en revanche bien réaffirmé et non limité, même implicitement, aux exemples donnés.

2) La soumission à un déséquilibre significatif entre les droits et obligation des parties : la nouvelle désignation de l’auteur et de la victime de la pratique étend le champ d’application du texte.

L’article L. 442-1, I-2° dispose désormais qu’« Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l’exécution d’un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services [de] soumettre ou de tenter de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

Les remarques précédemment faites s’agissant de l’auteur, de la victime et du champ d’application (« négociation commerciale ») concernent tout autant cette disposition (cf. supra). A cet égard, en cas d’interprétation large du nouvel article L 442-1, I-2°, c’est-à-dire si les parties à la relation pouvaient ne pas être toutes commerçantes (ou artisanes), l’intérêt de l’article 1171 du code civil, dont l’application est limitée aux clauses non négociables d’un contrat d’adhésion, pourrait être remis en cause.

En effet, le nouvel article L.442-1, I, 2° pourrait appréhender des situations qui étaient dévolues jusqu’alors à l’article 1171 du code civil parce que les conditions posées par la jurisprudence pour la mise en œuvre de l’ancien article L. 442-6, I, 2° n’étaient pas remplies.

En outre, la réforme met fin à la controverse quant à la possibilité pour la victime de demander la nullité des clauses déséquilibrées [13]. Si cette sanction était prévue par l’article 1171 [14], elle ne l’était pas par l’ancien article L 442-6, I-2°. Désormais, l’article L 442-4, I prévoit expressément que la victime peut la demander [15], ce qui fait perdre à l’article 1171 du code civil une spécificité.

Pour le reste, le texte ne change pas, de sorte que les principes dégagés par la jurisprudence pour la mise en œuvre de ce texte, c’est-à-dire ce qu’il faut comprendre par les termes « soumettre » et « déséquilibre significatif » vont continuer à s’appliquer [16]. De même, le droit du juge de contrôler le prix tel qu’énoncé par la Cour de cassation sur le fondement de l’interdiction de la soumission à un déséquilibre significatif n’est pas remis en cause [17].

3) La rupture brutale des relations commerciales établies : instauration d’un délai légal pour la durée du préavis interdisant d’engager la responsabilité de l’auteur de la rupture brutale.

L’ancien article L. 442-6, I, 5° a été modifié et devient l’article L. 442-1, II. A cette occasion, le législateur a reformulé la première phrase. Désormais, si le préavis octroyé doit être donné par écrit, il doit tenir "compte notamment [18] de l’ancienneté de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels." Ce faisant, le législateur met la loi en adéquation avec la jurisprudence [19]. Puisque dans les faits les juges tenaient compte d’autres paramètres que l’ancienneté des relations, les usages et les accords interprofessionnels pour déterminer le préavis suffisant, il est sain que la loi leur en donne expressément la possibilité.

Par ailleurs, dans une double tendance à la simplification du texte et à la réduction des délais préavis, sont supprimées les dispositions relatives au doublement du préavis pour les produits fournis sous marque du distributeur, la possibilité pour le ministre de l’économie de prendre des arrêtés pour fixer des durées minimum de préavis par catégories de produits et les dispositions propres à la rupture résultant d’une mise en concurrence par enchère à distance. La possibilité de mettre un terme à une relation commerciale sans préavis en cas d’inexécution de ses obligations par l’autre partie ou en cas de force majeure est en revanche maintenue.

La vraie nouveauté de cette réforme est la fixation d’une durée de préavis de dix-huit mois qui, si elle est respectée, interdit à la victime d’engager judiciairement la responsabilité de l’auteur de la rupture. Cette nouvelle disposition appelle plusieurs observations.
Premièrement, elle n’interdit évidemment pas la fixation conventionnelle d’un préavis supérieur.
Deuxièmement, si un préavis de dix-huit mois n’a pas été respecté, la victime de la rupture conserve son droit d’action et le nouveau texte de loi n’interdit pas expressément aux tribunaux d’accorder une réparation équivalente à plus de dix-huit mois. Par exemple, si pour des relations commerciales très anciennes de quarante ou cinquante ans, une rupture extraordinaire sans préavis est notifiée à tort par une partie, la victime pourrait-elle obtenir une indemnité équivalente à vingt-quatre mois de préavis ? Littéralement, le nouveau texte ne l’empêche pas, même si ce ne serait sans doute pas l’esprit de ce texte.

En effet, selon le Rapport remis au Président de la République, « initialement conçu pour protéger les fournisseurs contre les déréférencements abusifs des distributeurs, assortis de préavis très brefs susceptibles d’empêcher toute reconversion, le 5° du I de l’actuel article L. 442-6 a connu […] une grande expansion […] qui fait l’objet de critiques. L’interprétation jurisprudentielle du texte a conduit, selon les opérateurs économiques, à plusieurs dérives ». Le Rapport cite ainsi le fait que des préavis trop longs obligeaient à rester en relation avec des opérateurs qui n’étaient pas suffisamment concurrentiels, que le risque d’indemnités en cas de préavis insuffisant n’incitait pas à faire jouer la concurrence ou encore que la rupture pouvait avoir un effet d’aubaine pour la victime.

La limitation de la durée des préavis était attendue depuis longtemps par de nombreuses entreprises. S’il est indispensable de permettre à la victime d’une rupture de relations commerciale établie de bénéficier d’un délai de reconversion, les durées de préavis parfois excessives pouvaient être contreproductives. La concurrence et le dynamisme économique supposent que, lorsqu’ils sont innovants ou économiquement mieux-disants, les nouveaux partenaires potentiels puissent avoir accès aux fournisseurs ou aux distributeurs sans que cet accès soit bloqué pendant des années par des partenaires installés dont le principal argument n’est pas la performance commerciale mais l’ancienneté. Sans doute était-il temps que le législateur s’en préoccupât.

L’on peut encore faire remarquer que le délai de préavis de dix-huit mois retenu par le législateur n’est pas particulièrement court [20] et correspond plutôt à la limite haute constatée en jurisprudence. Si la jurisprudence avait eu d’abord tendance a augmenté la durée des préavis, cela n’était plus aussi vrai depuis quelques années [21]. Des durées de préavis élevées étaient de moins en moins souvent prononcées. Au regard de cette évolution jurisprudentielle, le délai de préavis de dix-huit mois fixé par la loi ne paraît pas léser les victimes d’une rupture brutale. Ce nouvel alinéa s’inscrit aussi dans une stratégie législative destinée à réduire les possibilités d’actions judiciaires afin de désengorger les juridictions.

Un point très controversé en tout état de cause reste à l’écart de cette réforme législative, celui de l’évaluation du préjudice. La jurisprudence considère en effet que le préjudice doit être fixé « en fonction de la durée du préavis jugée nécessaire » [22], sans tenir compte de la reconversion éventuelle de la victime de la rupture qui aurait pour conséquence de réduire, voire de rendre inexistant préjudice subi.

Cette forfaitisation du préjudice avait fait l’objet de critiques [23] et le législateur aurait pu intervenir pour rappeler les règles de la détermination d’un préjudice. Tel n’est pas le cas. Par ailleurs, si la jurisprudence tente progressivement depuis des années de définir les éléments comptables à retenir pour évaluer les dommages et intérêts (« marge brute », « marge sur coûts variables »,…), force est de constater que faute de définition comptable exacte de ces notions, l’aléa judiciaire a encore de beaux jours devant lui.

4) Les autres pratiques restrictives conservées : la participation à la violation de l’interdiction de revente hors réseau et l’interdiction des remises rétroactives et de l’alignement automatique des conditions plus favorables.

Selon l’article L. 442-2, « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de participer directement ou indirectement à la violation de l’interdiction de revente hors réseau faite au distributeur lié par un accord de distribution sélective ou exclusive exempté au titre des règles applicables du droit de la concurrence ».

A l’exception de la désignation de l’auteur de la pratique qui est la même que celle retenue pour l’article L 442-1, la rédaction de l’ancien article L 442-6, I-6° est repris. L’on pouvait s’interroger sur la nécessité de conserver cette disposition spécifique dans la mesure où la participation par un tiers au réseau à la violation de l’interdiction de vente hors réseau qui pèse sur les membres d’un réseau de distribution sélective ou exclusive peut être sanctionnée par le biais du droit commun de la responsabilité civile délictuelle (article 1240 du code civil). Par ailleurs, une action du ministre ou du parquet sur le fondement de l’ancien article L 442-6, I-6° était inexistante.

Néanmoins, « Le maintien de cette pratique illicite dans le code de commerce, qui avait initialement été supprimée du projet d’ordonnance, a été unanimement souhaité par les professionnels consultés par le gouvernement. Elle exerce un effet dissuasif à l’encontre d’une pratique qui tend à fragiliser les réseaux de distribution sélective » [24].

Sous réserve une nouvelle fois de la désignation de l’auteur de la pratique qui reste la même que pour les articles précédents, l’article L.442-3 du code de commerce reprend deux des pratiques restrictives de l‘ancien article L. 442-6, II a) et d). Le nouvel article L.442-3 dispose donc désormais que :
« Sont nuls les clauses ou contrats prévoyant pour toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services, la possibilité de bénéficier :
a) Rétroactivement de remises, de ristournes ou d’accords de coopération commerciale ;
b) Automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant
 ».

5) Les pratiques restrictives non conservées par le texte mais qui ne sont pas pour autant autorisées.

Comme indiqué précédemment, l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 procède à la suppression de nombreuses pratiques contenues dans l’ancien article L. 442-6, I du code de commerce. Est ainsi supprimé le fait :
- d’obtenir ou de tenter d’obtenir un avantage, condition préalable à la passation de commandes, sans l’assortir d’un engagement écrit sur un volume d’achat proportionné et, le cas échéant, d’un service demandé par le fournisseur et ayant fait l’objet d’un accord écrit (ancien article L. 442-6, I, 3°).

- d’obtenir ou de tenter d’obtenir, sous la menace d’une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d’achat et de vente (ancien article L. 442-6, I, 4°).

- d’imposer une clause de révision du prix, en application du cinquième alinéa du I de l’article L. 441-7 (ancien) ou de l’avant-dernier alinéa de l’article L. 441-7-1 (ancien), ou une clause de renégociation du prix, en application de l’article L. 441-8 (ancien), par référence à un ou plusieurs indices publics sans rapport direct avec les produits ou les prestations de services qui sont l’objet de la convention (ancien article L. 442-6, I, 7°).

- de procéder au refus ou retour de marchandises ou de déduire d’office du montant de la facture établie par le fournisseur les pénalités ou rabais correspondant au non-respect d’une date de livraison ou à la non-conformité des marchandises, lorsque la dette n’est pas certaine, liquide et exigible, sans même que le fournisseur n’ait été en mesure de contrôler la réalité du grief correspondant (ancien article L. 442-6, I, 8°).

- de ne pas communiquer ses conditions générales de vente, dans les conditions prévues à l’article L. 441-6 (ancien), à tout acheteur de produits ou tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour l’exercice d’une activité professionnelle (ancien article L. 442-6, I, 9°).

- de refuser de mentionner sur l’étiquetage d’un produit vendu sous marque de distributeur le nom et l’adresse du fabricant si celui-ci en a fait la demande conformément à l’article L. 112-6 du code de la consommation (ancien article L. 442-6, I, 10°).

- d’annoncer des prix hors des lieux de vente, pour un fruit ou légume frais, sans respecter les règles définies au code de commerce (ancien article L. 442-6, I, 11°).

- de passer, de régler ou de facturer une commande de produits ou de prestations de services à un prix différent du prix convenu résultant de l’application du barème des prix unitaires mentionné dans les conditions générales de vente, lorsque celles-ci ont été acceptées sans négociation par l’acheteur, ou du prix convenu à l’issue de la négociation commerciale faisant l’objet de la convention prévue à l’article L. 441-7, modifiée le cas échéant par avenant, ou de la renégociation prévue à l’article L. 441-8 (ancien article L. 442-6, I, 12°).

- de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des pénalités pour retard de livraison en cas de force majeure (ancien article L. 442-6, I, 13°).

L’explication de cet important élagage est donnée par le Rapport remis au Président de la République : « ces fondements juridiques étaient très peu utilisés devant les juridictions commerciales. Par ailleurs, les comportements illicites qu’elles visent à réprimer pourront être poursuivis sur le fondement du déséquilibre significatif (1° du nouvel article L. 442-1) ou de l’avantage sans contrepartie (2° du nouvel article L. 442-1) dont le champ d’application a été élargi dans cette optique. Ainsi, cette simplification n’a pas pour objet de rendre les pratiques et clauses actuellement prohibées licites. Il s’agit de recentrer les pratiques restrictives de concurrence sur des notions générales qui permettent d’englober les nombreuses clauses et pratiques énumérées dans l’actuel L. 442-6 du code de commerce » [25].

Ne sont pas non plus reprises dans l’article L. 442-3, les pratiques des points b) et c) de l’ancien article L. 442-6, II consistant à « obtenir le paiement d’un droit d’accès au référencement préalablement à la passation de toute commande » ou à « interdire au cocontractant la cession à des tiers des créances qu’il détient sur lui ».

6) Les sanctions et l’affirmation du droit de la victime de demander la nullité des clauses ou contrats illicites.

L’article L. 442-4 du code de commerce clarifie les sanctions possibles des pratiques restrictives. Ainsi, toute personne qui « justifiant d’un intérêt » peut demander leur cessation ainsi que la réparation du préjudice subi. Cependant, seuls la victime, le ministère public et le ministre de l’économie peuvent demander la nullité des clauses ou des contrats illicites et la restitution des avantages indus [26]. L’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 met un terme à la question de savoir si la victime de la pratique restrictive peut demander la nullité des clauses et contrats illicites [27].

La réponse est affirmative. L’on soulignera que les termes « toute personne justifiant d’un intérêt » ne sont en revanche pas très clairs. Ces termes sont issus de l’ancienne rédaction de l’article L. 442-6, III, termes qui se comprenaient dès lors que celui de « victime » n’apparaissait pas. Désormais, celle-ci est visée par le nouveau texte. Il sera intéressant de voir quelles personnes non victimes, fut-ce par ricochet ou simplement moralement, pourront se voir reconnaitre un intérêt à agir (autres que le ministère public ou le ministre).

S’agissant de l’amende civile, le fait que seuls le ministère public et le ministre de l’économie puissent demander qu’elle soit infligée, et les montants de l’amende ne sont pas nouveaux. En revanche, la fixation de cette amende est simplifiée. Désormais, elle ne peut excéder le plus élevé des trois montants suivants : cinq millions d’euros, le triple du montant des avantages indument perçus ou obtenus, 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France par l’auteur de la pratique.

S’agissant de la publication systématique des décisions, (article L442-4-II), cette mesure figurait déjà dans l’article L. 442-6, III. Cependant, c’est l‘occasion de s‘interroger sur l’intérêt de cette mesure qui ne paraît pas être expressément limitée par le texte aux seules décisions rendues dans les procédures engagées par le ministère public ou le ministre. Notamment pour les décisions rendues en application des dispositions de l’article L442-1-II (rupture brutale des relations), l’insuffisance de préavis accordé par une partie à une autre est-elle à ce point d’intérêt public qu’il faille la publier ? [28]

7) L’entrée en vigueur des nouveaux textes : une application immédiate pour les nouveaux contrats ?

L‘ordonnance ne prévoit pas de dispositions transitoires s’agissant des pratiques restrictives (article 5). Les dispositions transitoires ne concernent que les conventions écrites (article L. 441-3 à L. 441-7 du code de commerce) [29]. Retenir une application pour les contrats conclus postérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance paraît logique. Resterait la question des avenants relatifs à un contrat en cours, question qui avait déjà donné lieu à des discussions au moment l’introduction de l’interdiction de soumettre une partie à un déséquilibre significatif [30].

Cette réforme du droit des pratiques restrictives est bien plus qu’un simple toilettage. Le législateur a pris conscience que le droit des pratiques restrictives pouvait avoir un effet néfaste sur la concurrence. Pour autant, la loi ne renonce pas à protéger la partie faible dans une relation commerciale. Elle tente donc de trouver un équilibre entre la protection de la concurrence et la protection des opérateurs. La fixation d’un plafond au délai de préavis au-delà duquel la responsabilité du partenaire ne peut plus être recherchée en est une bonne illustration.

De même, en supprimant le doublement du préavis pour les produits fournis sous marque de distributeur, la loi enlève une contrainte qui pesait sur la grande distribution ce qui est suffisamment rare pour être remarqué, la tendance des trente dernières années ayant plutôt été un encadrement toujours plus strict. Dans le même temps, s’agissant de la soumission à un déséquilibre significatif et l’obtention d’un avantage sans contrepartie ou disproportionné, la nouvelle rédaction de la loi, en se concentrant aussi sur les principes sans multiplier les exemples, devrait permettre d’étendre les possibilités de contrôle afin de mieux protéger la victime de ces pratiques. Enfin, le législateur a inversé sa tendance à empiler les infractions pour ne conserver que celles qui présentent une efficacité. Cela dénote un réel pragmatisme qui doit être salué.

Une vraie réforme des pratiques restrictives de concurrence.

Xavier Henry et André Bricogne Avocats à la Cour avocats-h.com

[1L’ordonnance 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du Code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées a été adoptée en application de l’article 17, 6° de la loi 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine durable et accessible à tous (loi Egalim).

[2Etats généraux de l’alimentation

[3Rapport remis au Président de la République relatif à l ordonnance 2019-359 du 24 avril 2019, JORF n° 0097 du 25 avril 2019

[4Rapport remis au Président de la République relatif à l ordonnance 2019-359 du 24 avril 2019, précité.

[5Cette modification vaut pour l’ensemble du nouvel article L 442-1 et notamment pour la responsabilité en cas de rupture brutale des relations commerciales établies.

[6Ces termes impliqueraient que les parties à la relation doivent être commerçantes (ou artisanes)

[7Il ne s’agirait pas de termes juridiques, ceux-ci désignant plus globalement la discussion des termes du contrat

[8Voir par exemple, Paris, pôle 5, ch. 4, 27 sept. 2017 n°16/00671 : un « partenaire se définit comme le professionnel avec lequel une entreprise commerciale entretient des relations commerciales […], ce qui suppose une volonté commune et réciproque d’effectuer de concert des actes ensemble dans des activités de production, de distribution ou de services, par opposition à la notion plus large d’agent économique ou plus étroite de cocontractant […]. Le contrat de partenariat formalise, entre autres, la volonté des parties de construire une relation suivie »

[9Voir X. Henry, Clauses abusives dans les contrats commerciaux : état des lieux dix ans après, AJ Contrat, août-septembre 2018, p. 372, n° 10 et s.. Voir également le constat fait par Rapport remis au Président de la République, précité

[10Cass. com. 6 févr. 2007, n° 03-20.463 : l’article L. 442-6, I, 5° "peut être mis en œuvre quel que soit le statut juridique de la victime […]". Voir également sur cette question X. Henry, Les principes jurisprudentiels mal établis de la rupture brutale de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, RTDCom, avril-juin 2018, p. 530, n° 26 et s.

[11Cass. com. 25 janv. 2017 n° 15-23.547. Ce contrôle a été déclaré par la suite conforme à la constitution par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 30 nov. 2018 n° 2018)

[12Paris, pôle 5, ch. 4, 16 mai 2018, n° 17/11187

[13Les différentes formations de la Cour d’appel de Paris n’étaient pas d’accord entre elles, Voir par exemple, pour : Paris, pôle 5, ch. 4, 7 nov. 2018, n° 16/14312 et contre : Paris, 28 févr. 2019, n° 17/16475

[14Plus exactement, l’article 1171 prévoit que la clause qui crée un déséquilibre significatif est réputée non écrite

[15Article L. 442-4, I du code de commerce

[16Voir X. Henry, Clauses abusives dans les contrats commerciaux : état des lieux dix ans après, AJ Contrat, août-septembre 2018, p. 370

[17Sur cette question, voir X. Henry, Le contrôle du prix par le juge fondé sur l’interdiction par le Code de commerce de la soumission à un déséquilibre significatif : beaucoup de bruit pour rien ?, RJDA, juin 2019 (à paraître).

[18Le terme « notamment » a été ajouté par l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019.

[19Voir par exemple, Paris, pôle 5, ch. 5, 2 mars 2017, n° 15/10786 ; Paris, pôle 5, ch. 4, 8 mars 2017, n° 14/17164. Paris, pôle 5, ch. 4, 19 avr. 2017, n° 16/02308.

[20Le projet d’ordonnance soumis à l’examen des professionnels en janvier 2019 envisageait de fixer le délai de préavis à 12 mois.

[21Voir X. Henry, Les principes jurisprudentiels mal établis de la rupture brutale de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, RTDCom, avril-juin 2018, p. 538, n° 53 et s.

[22Com. 9 juill. 2013, n° 12-20.468.

[23Voir par exemple M. Chagny, RTD com. 2016. 719.

[24Rapport remis au Président de la République relatif à l’ordonnance 2019-359 du 24 avril 2019, précité.

[25Rapport remis au Président de la République relatif à l ordonnance 2019-359 du 24 avril 2019, précité.

[26Le texte précise que lorsque l’action est exercée par le ministre de l’économie ou le ministère public, « les victimes de ces pratiques sont informées, par tous moyens, de l’introduction de cette action en justice ». Le texte reprend sur ce point le principe dégagé par le Conseil constitutionnel et par la Cour de cassation (Cons. const. 13 mai 2011, n° 2011-126 QPC, Com. 10 sept. 2013, n° 12-21.804 ; Com. 25 janv. 2017, n° 15-23.547)

[27Un tel droit n’était pas spécifié par l’ancien article L. 442-6, III pour la victime. Il n’était prévu que pour le ministère public ou le ministre de l’économie.

[28Sauf à des fins statistiques pour améliorer la prévisibilité des décisions.

[29Selon le Rapport remis au Président de la République, ce serait l’ensemble des nouvelles règles qui serait applicable aux contrats et avenants conclus postérieurement à l’entrée en vigueur de l’ordonnance, « même si l’avenant se rapporte à une convention conclue antérieurement ». Mais ce rapport n’a pas de valeur normative.

[30Paris, pôle 5, ch. 5, 27 mars 2014, n° 12/04409 ; Paris, pôle 1, ch. 8, 30 juin 2017, n° 16/08818.