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Droit d’action du liquidateur judiciaire : encore des délais à surveiller pour l’avocat ! Par Romain Laffly, Avocat et Pierre Martin.
Parution : jeudi 29 novembre 2018
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Qu’il assiste le mandataire judiciaire, le débiteur ou même un tiers à la procédure collective, l’avocat doit pouvoir maîtriser les deux grands obstacles au droit d’ac-tion du liquidateur judiciaire que sont la prescription et le cantonnement de l’action.

Selon l’article L. 641-4 du code de commerce, « le liquidateur procède aux opérations de li-liquidation en même temps qu’à la vérification des créances ; il peut introduire ou poursuivre les actions qui relèvent de la compétence du mandataire judiciaire ». L’article L. 622-20 dudit code précise que « le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers ». Manifestement, le droit d’agir est conféré au liquidateur judiciaire. La contrepartie de cette habilitation générale du liquidateur judiciaire est qu’il n’est pas aisé, à première vue, de savoir précisément quelles sont les actions en justice qui doivent être intentées par ce dernier. En pratique, le liquidateur judiciaire met en œuvre de multiples actions dans l’intérêt collectif des créanciers.

Les actions judiciaires permettant de faire rentrer dans le patrimoine du débiteur des sommes d’argent peuvent être scindées en deux catégories : les actions de droit commun et les actions spécifiques au droit des entreprises en difficulté. Les actions de droit commun intentées par le liquidateur judiciaire sont principalement des actions en paiement. Parfois, il est contraint d’engager, non pas une action qui tend directement au paiement d’une somme d’argent, mais une action judiciaire permettant d’obtenir ultérieurement de l’actif : il s’agit de l’action en partage judiciaire.
Plus rarement, il intente une action en inopposabilité, c’est-à-dire l’action paulienne. Pouvant être mises facilement en œuvre, les actions en nullité de période suspecte sont indiscutablement les plus intentées par le liquidateur judiciaire. L’action en responsabilité pour in-suffisance d’actif est un peu moins utilisée car elle implique la réunion et la démonstration de plusieurs éléments. S’agissant de l’action en extension de procédure ou en réunion, elle est plus rarement menée par le liquidateur judiciaire car rapporter la preuve d’une confusion de patrimoines ou d’une fictivité est souvent fort difficile.

Cependant, il existe bel et bien des limites au droit d’agir du liquidateur judiciaire. Le premier, purement matériel, est bien connu puisqu’il réside dans l’insuffisance des fonds disponibles. En effet, comment le liquidateur judiciaire peut-il engager une action judiciaire s’il n’est pas en mesure de régler les honoraires de l’avocat et de l’huissier ? Rarement, le contournement de l’in-suffisance des fonds disponibles s’effectue par le recours à une avance du Trésor public combinée avec l’octroi d’un honoraire de résultat, mais c’est indiscutablement une piste qu’avocat et mandataire judiciaire doivent avoir à l’esprit.
En revanche, et une fois la question des honoraires réglée, les obstacles juridiques sont nombreux et doivent être parfaitement appréhendés par les avocats, qu’ils agissent pour le compte du liquidateur judiciaire, du débiteur, voire d’un tiers, afin d’être anticipés. Connu, le principal obstacle juridique est le jugement de clôture de la procédure collective. Mais des limites au droit d’agir du liquidateur judiciaire dans l’intérêt collectif des créanciers existent aussi lorsque la procédure est en cours et sont plus subtiles. Il s’agit principalement de la prescription de l’action. Parfois, le cantonnement de l’action peut intervenir et ne doit donc pas être ignoré.

I. La prescription de l’action.

L’article 2229 du code civil définit la prescription extinctive comme « un mode d’extinction du droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps ». Cette notion doit être distinguée de la prescription acquisitive de l’article 2258 dudit code qui est « un moyen d’acquérir un bien ou un droit par l’effet de la possession sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi ». Consistant en une fin de non-recevoir, la prescription de l’action obéit aux règles posées par le code de procédure civile, notamment aux articles 122 et suivants, c’est-à-dire qu’elle peut être opposée en tout état de cause et sans justification d’un grief. Elle pèse d’autant plus sur l’avocat que la prescription reste la seule fin de non-recevoir visée à l’article 122 du code de procédure civile qui ne peut être relevée d’office par le juge. Qu’il soit en demande ou en défense, à lui donc de connaître le droit applicable dans une matière très spécifique qui comporte des délais propres au droit des entreprises en difficulté, soit pour intenter l’action dans le délai légal, soit pour opposer la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action.

Le législateur a prévu que l’action en report de la date de cessation des paiements et l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif doivent être intentées dans des délais bien précis, sous peine d’être jugées irrecevables.

Délai pour reporter la date de cessation des paiements : 1 an.

Le code de commerce ne précise pas le délai dans lequel l’action en nullité d’un acte accompli pendant la période suspecte doit être exercée. Il a été jugé que l’action en nullité n’était soumise à aucun délai. Bien qu’étant une nullité relative, la prescription quinquennale de l’ancien article 1304 du code civil ne lui était pas applicable. Il en est de même de la prescription des actions commerciales de l’article L. 100-4 du code de commerce. Par un arrêt du 21 septembre 2010, la chambre commerciale de la Cour de cassation a même précisé que l’action en nullité des actes accomplis pendant la période suspecte ne se prescrit pas par cinq ans ; elle peut être en¬gagée par les organes de la procédure collective tant qu’ils sont en fonction.

Mais, l’action en nullité de la période suspecte suppose que la date de cessation des paiements soit distincte de celle du jugement d’ouverture ; à défaut, il ne peut exister de période suspecte. En effet, les articles L. 641-1, IV et L. 631-8 dudit code posent une présomption, à savoir qu’en l’absence « de détermination de cette date, la cessation des paiements est réputée être intervenue à la date du jugement d’ouverture de la procédure ». Or, l’alinéa 4 de l’article précité prévoit que « la demande de modification de date doit être présentée dans le délai d’un an à compter du jugement d’ouverture de la procédure ». Il s’agit indiscutablement d’un délai préfix qui doit attirer l’attention du praticien.

Délai pour intenter une action en responsabilité pour insuffisance d’actif : 3 ans.

Une telle action a un caractère patrimonial et la charge qui en résulte est transmissible par succession. Ceci dit, l’alinéa 3 de l’article L. 651-2 du code de commerce prévoit que « l’action se prescrit par trois ans à compter du jugement qui prononce la liquidation judiciaire ».
En outre, la prescription est acquise selon l’article 2229 du code civil lorsque le dernier jour du terme est accompli. Il a été jugé que l’article 642 du code de procédure civile, qui prévoit que la prorogation des délais de procédure expirant un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé jusqu’au premier jour ouvrable suivant, ne s’applique pas au délai de prescription de l’article L. 651-2. Seule une assignation régulièrement signifiée peut interrompre la prescription. Un tel constat apparaît d’autant plus que l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif mise en œuvre dans le délai légal contre un dirigeant n’interrompt pas la prescription à l’égard des autres dirigeants, qu’ils soient de droit ou de fait.

Le liquidateur judiciaire et son avocat pourront être confrontés à une difficulté réelle tenant à la fois à la prescription triennale de l’action et à sa recevabilité, laquelle impose au juge de constater que l’insuffisance d’actif est bien certaine. Certes, il n’est pas nécessaire que les opérations de vérification des créances soient totalement achevées pour qu’une telle action soit menée, mais encore faut-il que l’in-suffisance d’actif soit certaine, au moment où le juge statue, pour que l’action soit recevable et qu’une condamnation à l’encontre du dirigeant soit prononcée. En pratique, l’avocat du mandataire liquidateur ne devra pas attendre l’issue de l’ensemble des procédures et veillera à introduire l’action dans le délai légal, quitte à solliciter, pour éviter une irrecevabilité, un sursis à statuer dans l’attente du sort de certaines créances ayant pu faire l’objet d’une procédure de contestation conduisant à une diminution du passif ou de litiges en cours permettant de recouvrer de l’actif.

Parfois, le délai pour intenter certaines actions n’est pas éteint, et pour autant celles-ci ne peuvent aboutir. Il s’agit du cantonnement de l’action.

II. Le cantonnement de l’action.

La lecture des articles du code de commerce révèle que le législateur n’a encadré qu’une seule action, à savoir l’action en report de la date de cessation des paiements. S’agissant de l’action en extension de procédure, elle a été délimitée par la jurisprudence.

L’action en report de la date de cessation des paiements.

Selon l’article L. 631-8 du code de commerce, le tribunal fixe la date de cessation des paiements après avoir sollicité les observations du débiteur. Surtout, l’alinéa 2 pose en quelque sorte des li¬mites à l’action en report de la date de cessation des paiements, qui ne peuvent être contournées même si le délai d’un an n’est pas encore écoulé. Il est ainsi prévu que la date de cessation des paiements peut être reportée une ou plusieurs fois, « sans pouvoir être antérieure de plus de dix-huit mois à la date du jugement d’ouverture de la procédure ». En outre, l’alinéa 2 énonce que, « sauf cas de fraude, elle ne peut être reportée à une date antérieure à la décision définitive ayant homologué un accord amiable en application du II de l’article L. 611-8 ». Bien conseillé, le dirigeant ne manque pas, en pratique, de solliciter une telle homologation ; en effet, la levée de plein droit de toute interdiction d’émettre des chèques, conformément à l’article L. 131-73 du code monétaire et financier, qui en résulte n’est pas souvent l’unique dessein du dirigeant.

Cette action pourra conduire l’avocat du mandataire liquidateur à agir en nullité d’actes accomplis pendant la période suspecte ou en sanction à l’égard du dirigeant, en faillite personnelle ou en interdiction de gérer. Ici, la question du cantonnement de l’action peut alors rejoindre celle de la prescription. En effet, si l’action en nullité de la période suspecte n’est soumise à aucun délai (supra), l’avocat devra se souvenir que l’action en report de la date de cessation des paiements n’est pas interruptive du délai de prescription de trois ans de l’action en sanction qui court à compter du jugement qui prononce l’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Bien plus, en cas de conversion d’un redressement en liquidation judiciaire, le délai de prescription démarre dès le jugement de redressement judiciaire...

L’action en extension de procédure qui est, quant à elle, visée aux articles L. 641-1 et L. 621-2 du code de commerce, a été encadrée par la jurisprudence.

L’action en extension de procédure.

Contrairement à l’action en report de la date de cessation des paiements, le législateur n’a prévu aucune limitation concernant l’action en extension de procédure pour confusion des patrimoines ou fictivité. D’ailleurs, il a été jugé le 6 avril 1999 que la prescription de trois ans prévue par l’article L. 651-2 du code de commerce ne concerne pas l’extension de procédure ; une telle action n’est pas sou¬mise à une prescription spéciale. Pour autant, la survenance d’un plan de redressement à l’encontre de la personne visée par l’extension est un obstacle au droit d’agir du liquidateur judiciaire. Par un arrêt du 4 janvier 2000, la chambre commerciale de la Cour de cassa¬tion a estimé qu’une procédure de liquida¬tion judiciaire peut être étendue à une autre personne morale en liquidation judiciaire ou en redressement judiciaire, sauf si un plan de redressement a été arrêté. Il est important de souligner que peu importe la modalité du plan de redressement.

Article paru initialement sur Dalloz Actualité.

Romain Laffly et Pierre Martin pour Dalloz avocat