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Retour sur les conditions de l’intervention forcée en cause d’appel. Par Romain Laffly, Avocat.
Parution : mercredi 19 septembre 2018
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Le placement en procédure collective de l’employeur postérieurement au jugement du conseil de prud’hommes n’autorise pas le salarié à mettre en cause la responsabilité personnelle de son dirigeant et à l’appeler en intervention forcée devant la cour d’appel.

Soc. 4 juill. 2018, FS-P+B, n° 15-17.112.

Une salariée saisit la juridiction prud’homale d’une demande de requalification de ses contrats de travail en contrat à durée indéterminée.

Par jugement du 15 mai 2012, le Conseil de prud’hommes juge que la société Pub Opéra, dirigée par Monsieur L., avait la qualité d’employeur et requalifie les contrats en contrat de travail à durée indéterminée.
La société Pub Opéra étant placée en procédure collective avec homologation d’un plan de continuation, la société, le mandataire judiciaire et le commissaire à l’exécution du plan interjettent appel du jugement du conseil de prud’hommes.
La salariée, intimée, assigne alors en intervention forcée M. L., dirigeant de la société Pub Opéra.

Par arrêt du 2 novembre 2016, la Cour d’appel de Paris (pôle 6, ch. 10) déclare irrecevable la demande dirigée contre M. L., appelé en intervention forcée.
Sur pourvoi, la salariée reprochait à la Cour d’avoir jugé irrecevable cette intervention forcée alors que l’évolution du litige impliquant la mise en cause d’un tiers devant la Cour d’appel est caractérisée par la révélation d’une circonstance de fait ou de droit, née du jugement ou postérieure à celui-ci, modifiant les données juridiques du litige et qu’en l’espèce, la procédure de redressement judiciaire, postérieure au jugement, l’autorisait à appeler en intervention forcée M. L., qui avait été son seul interlocuteur et qui avait personnellement engagé sa responsabilité vis-à-vis d’elle.
La chambre sociale rejette l’argumentation de la salariée et approuve la cour d’appel qui avait relevé que son action pour mettre en cause la responsabilité personnelle du dirigeant de la société employeur était fondée sur des circonstances connues de celle-ci lors de l’instance devant le conseil de prud’hommes et que l’ouverture de la procédure collective à l’encontre de la société Pub Opéra n’avait pas modifié les données juridiques du litige et ne constituait pas une évolution de celui-ci.

La Cour de cassation, au visa de l’article 555 du code de procédure civile, casse cependant sans renvoi l’arrêt, qui avait statué tout de même au fond à l’encontre de la partie appelée en intervention forcée, tout en jugeant la mise en cause de ce tiers irrecevable.

Voilà une nouvelle occasion pour la haute juridiction, et cette fois la chambre sociale, de rappeler les conditions qui président à une intervention forcée d’un tiers devant la Cour d’appel. La position de la Cour de cassation n’a jamais varié depuis le célèbre arrêt du 11 mars 2005 rendu en assemblée plénière [1] dont les termes mêmes de l’arrêt – bien plus que ceux de l’article 555 qui conditionnent la mise en cause d’un tiers en appel à la seule évolution du litige – sont très souvent repris in extenso, comme en l’espèce, par les cours appelées à se prononcer sur la recevabilité d’une assignation en intervention forcée.

C’est ainsi que « l’évolution du litige impliquant la mise en cause d’un tiers devant la cour d’appel, au sens de l’article 555 du nouveau code de procédure civile, n’est caractérisée que par la révélation d’une circonstance de fait ou de droit, née du jugement ou postérieure à celui-ci, modifiant les données juridiques du litige ».

L’assignation en intervention forcée n’est pas celle en appel provoqué à l’encontre d’une partie qui a, par définition, comparu en première instance [2], et la triple condition posée par la Cour de cassation s’explique par le fait que cette option procédurale revient à mettre en cause un tiers qui n’a pas comparu en première instance et donc à le priver d’un double degré de juridiction.
Très tôt, la Cour de cassation a veillé à ce que l’intervention forcée ne prive pas la partie assignée d’un véritable droit à un double degré de juridiction [3], consacré également comme principe général du droit par le Conseil d’État. Si l’on peut toujours discuter de la condition de circonstance de fait ou de droit ou d’une modification effective des données juridiques du litige, c’est en pratique « la révélation » de cette circonstance, avec le jugement ou postérieurement au jugement, qui fait trébucher la partie qui assigne en intervention forcée.

Cette dernière devra en effet être en mesure de prouver qu’elle ne pouvait avoir connaissance de l’intervenant forcé en première instance et qu’elle n’a eu cette « révélation » qu’une fois la décision rendue. Et, puisque la révélation suppose un minimum de secret, il est finalement rare qu’une partie prenne connaissance à la lecture du jugement ou en cause d’appel de l’existence du tiers qu’elle entend assigner.
Il va déjà de soi « qu’il n’y a pas d’évolution du litige de nature à faire échec au principe du double degré de juridiction lorsque l’élément modifiant les données de ce litige est intervenu au cours de la procédure devant la juridiction du premier degré » [4].

De même, une seconde expertise n’autorise pas la mise en cause de tiers pour la première fois en cause d’appel si, dès la première expertise, leur responsabilité était susceptible d’être engagée [5].

L’événement postérieur au jugement n’est pas non plus de nature à garantir la recevabilité de l’assignation en intervention forcée si le tiers était identifiable en première instance. Ainsi, le refus de garantie opposé par l’assureur du responsable après le jugement n’a pas pour effet de modifier les données juridiques du litige et ne constitue pas une évolution de celui-ci impliquant une mise en cause de cet assureur puisque ce dernier pouvait être assigné dès la première instance [6].
La deuxième chambre civile avait déjà jugé également que l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre d’une partie après le jugement la déclarant responsable du dommage ne modifie pas les données juridiques du litige et ne constitue pas une évolution de celui-ci impliquant une mise en cause du tiers, en l’espèce la compagnie d’assurances, devant la cour d’appel [7]. Principe de double degré de juridiction oblige, l’action contre le tiers devra donc être menée le plus souvent dès le stade de la première instance, quitte à présenter, selon les cas, une demande de sursis à statuer.

Dernière péripétie procédurale, la Cour de cassation est tout de même contrainte de casser, sans renvoi certes, l’arrêt de la cour d’appel qui avait, tout en déclarant la mise en cause de ce tiers irrecevable, statué tout de même au fond à l’encontre de la partie appelée en intervention forcée. Bien évidemment, la cour d’appel ne pouvait statuer au fond qu’à l’égard des parties régulièrement intimées, et certainement pas vis-à-vis de ce tiers dont elle venait de juger l’intervention forcée irrecevable.

Article paru initialement sur Dalloz Actualité.

Romain Laffly Associé chez Lexavoue Lyon

[1Cass., ass. plén., 11 mars 2005, n° 03-20.484, Bull. ass. plén., n°4, D. 2005. 2368 , note E. Fischer ; RTD civ. 2005. 455, obs. R. Perrot ; Procédures 2005, n°118, obs. R. Perrot.

[2C. pr. civ., art. 550.

[3Civ. 2e, 6 nov. 1974, n° 73-12.292.

[4Civ. 1re, 18 oct. 2017, n° 16-19.909, Dalloz jurisprudence.

[5Civ. 2e, 23 nov. 2006, n° 06-10.942, D. 2007. 231.

[6Civ. 3e, 15 déc. 2010, n° 09-68.894, RDI 2011. 171, obs. C. Dreveau.

[7Civ. 2e, 13 nov. 2014, n° 13-18.682, Dalloz jurisprudence.