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Divorce, quelques rappels pratiques. Par Brigitte Bogucki, Avocat.
Parution : samedi 30 juin 2018
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L’objet de cet article est donc, de façon non exhaustive, de faire un petit catalogue des difficultés pratiques, revers du droit, auxquelles risque de se heurter les divorçants.

Il y a, chacun de nous le sait, des différences considérables entre la théorie et la pratique. Cela vaut aussi pour le rapport au droit et à la Loi.

Entre Internet et les réseaux sociaux, la première action du futur divorçant est de tenter de trouver des renseignements. Outre le problème de la fiabilité des informations, il arrive fréquemment que la lecture de la Loi soit la première cause d’incompréhension car si parfois le texte paraît clair (c’est loin d’être toujours le cas), deux écueils attendent le non-spécialiste : corréler le texte particulier avec le corpus juridique en son entier et voir comment en réalité il s’applique. Et c’est souvent là que le bât blesse car même les avocats, s’ils ne sont pas spécialisés en la matière peuvent se laisser prendre aux ors d’un texte qui promet plus qu’il ne peut faire en réalité.

Il est devenu difficile aujourd’hui, pour ne pas dire quasi-impossible, d’être réellement avocat généraliste tant les contentieux se sont spécialisés, notamment celui du droit de la famille qui a connu ces dernières années un nombre considérable de réformes directes et indirectes.
Pour avoir un conseil cohérent, il faut donc confier son dossier soit à un spécialiste reconnu, titulaire de la mention de spécialisation en droit de la famille, soit à un avocat qui pratique la matière de façon régulière et en a fait son domaine de compétence privilégié car si le travail de l’avocat est de défendre son client, de l’assister dans ses procédures, de l’informer de ses droits c’est aussi, et cela manque parfois cruellement, de l’informer de la réalité pratique.
Il faut pour cela être didactique mais aussi pragmatique et avoir l’humilité de reconnaître la limite effective des solutions juridiques. Ainsi le client parfaitement éclairé pourra faire les choix les plus adapté à sa situation.

L’objet de cet article est donc, de façon non exhaustive, de faire un petit catalogue des difficultés pratiques, revers du droit, auxquelles risque de se heurter les divorçants.

L’entre-deux : ça y est, la décision est prise, vous divorcez. Vous engagez la procédure. Mais en attendant l’audience et la première décision, que se passe-t-il pour l’argent, les enfants, le logement, les crédits… Tant qu’une décision de justice n’a pas été rendue, il n’y a rien de prévu et vous avez, vous et votre conjoint, exactement les mêmes droits sur vos enfants communs, sur votre argent commun, sur le domicile conjugal (même s’il appartient à l’un de vous seul), les voitures… et vos engagements restent identiques envers les organismes prêteurs … A vous donc de trouver un accord tous les deux.
Si vous avez un problème grave et urgent, il faut demander à votre avocat de faire une procédure parallèle pour obtenir une décision (par exemple pour avoir une participation financière de votre conjoint).

La durée : L’aléa principal de toutes les procédures en France. La Justice est pauvre, le nombre de juges et de greffiers insuffisant, les délais sont donc longs, parfois très longs (cela peut quasiment aller jusqu’à un an dans certains tribunaux sinistrés), entre le moment où vous déposez une demande en divorce et celle où le juge vous reçoit pour régler au moins provisoirement les problèmes quotidiens.

Les objets personnels : Dans l’ordonnance de non-conciliation, il est décidé de la jouissance du domicile conjugal et rappelé que l’époux qui le quitte récupère ses objets personnels. Il n’existe pas de liste exhaustive de ce que l’on appelle objets personnels, ce sont ceux qui sont rattachés à votre personne, intimement, vos vêtements, médicaments, papiers personnels, bijoux, matériel de santé. Quid du reste ? Une cliente me demandait récemment si son oreiller entre dans ce cadre… Bonne question, je n’ai pas de réponse absolue. Pragmatiquement je vois mal que cela puisse poser problème, mais juridiquement je n’ai pas de réponse.

Les meubles du ménage : Lorsque la jouissance du domicile conjugal est octroyée à l’un des époux, la plupart du temps la jouissance des meubles du ménage y est adjointe. Dans ce cas, l’époux qui quitte le domicile ne peut emmener avec lui aucun meuble meublant, il doit en principe partir (sauf accord avec son conjoint), seulement avec ses objets personnels.
Mieux vaut le savoir avant pour ne pas avoir de mauvaise surprise. Sachez aussi que cela n’est aucunement une fatalité. Il est possible de demander la jouissance de certains meubles ou le partage. Demandez-le à votre avocat pour qu’il le prévoit dans ses demandes.

La jouissance onéreuse du domicile conjugal : l’ordonnance de non-conciliation décide de celui des époux qui va conserver la jouissance du domicile conjugal et, si le bien appartient aux époux, elle précise si cette jouissance sera gratuite ou onéreuse. Chouette se dit l’époux qui part, je vais donc toucher un loyer qui va me permettre de mettre du beurre dans mes épinards. Que nenni ! Quelle erreur. Occupation payante certes, mais pas maintenant. En effet, c’est au moment de la liquidation du régime matrimonial et du partage des biens que le calcul sera fait et que les sommes seront fixées puis payées. Précision, il est possible si la décision de divorce ne tranche pas la question, de faire une demande en fixation du montant de l’indemnité d’occupation dès que le divorce est définitif, puis il faudra une fois par an faire la réclamation… tout cela via son avocat.

Les dépenses quotidiennes des époux séparés en biens : les époux qui ont choisi un régime matrimonial de séparation des biens ont, en principe, reçu du notaire rédacteur de ce document une explication sur son fonctionnement.
Toutefois nombre d’époux séparés en biens ignorent totalement la réalité de ce contrat et le découvrent, douloureusement, au moment du divorce. « Maître, j’ai tout payé au quotidien, je faisais les courses, habillait les enfants et mon mari, les vacances… lui il payait les charges et achetait les meubles. Aujourd’hui il m’annonce que tous les meubles sont à lui, il a les factures, et qu’il les prend sinon je dois les lui rembourser… C’est injuste. » Injuste certainement mais juridiquement imparable. Vous êtes en séparation des biens, ce qui est à votre nom est à vous…

L’argent de la communauté : ah la communauté… le serpent à plume des procédures de divorce, le régime matrimonial le plus courant en France, celui octroyé par défaut aux époux qui ne font pas de choix spécifique à ce sujet… Ne sachant rien de ce régime matrimonial, les époux vivent au quotidien comme bon leur semble, sans bien comprendre ce qu’il implique. Puis vient la séparation, le divorce et donc le partage. Et là… patatras… « mais Maître, j’ai payé avec mon salaire, il/elle n’a rien payé du tout, c’est toujours moi qui ait tout payé et je vais encore devoir partager ??? » eh oui… parce qu’en régime de communauté tous les revenus depuis le mariage (même ceux issus de bien personnels antérieurs), toutes les économies faites sont considérés comme commun sans que la preuve contraire puisse même être alléguée. Donc quand la fourmi se marie avec la cigale, lorsque vient le divorce la fourmi va devoir partager ce qu’elle a engrangé…

Appel de l’ordonnance de non conciliation et poursuite du divorce : Bien souvent les époux sont persuadés (j’ignore pourquoi) que si un appel est en cours sur l’ordonnance de non conciliation, la procédure de divorce est comme suspendue, qu’il n’est pas possible de continuer. C’est tout à fait faux et même dangereux car le divorce est enserré dans des délais très strict et si la seconde partie de la procédure (l’assignation en divorce) n’est pas engagée dans les 30 mois de l’ordonnance de non conciliation (et peu importe qu’il y ait ou non appel) alors tout devient caduque… Donc je le dis et le répète, rien n’empêche de commencer la seconde phase de la procédure pendant l’appel de la première.

L’autorité parentale conjointe : Au titre de la Loi, l’autorité parentale est commune de principe, s’il doit en aller autrement, le juge doit expliquer pourquoi et c’est une décision relativement rare. La plupart des décisions rappellent la nécessité dans le cadre de l’autorité parentale conjointe de prendre en commun les décisions importantes de la vie des enfants et de partager les informations.

Force est cependant de constater que dans nombre de cas, le parent chez lequel réside les enfants se croit autoriser à décider seul et ne transmets que peu d’informations. La Loi ne prévoit malheureusement aucune sanction pour le non-respect de l’autorité parentale conjointe. Ce peut être un argument (et rien de plus) quand on demande le transfert de la résidence des enfants (devant un juge)… pour le reste, il y a peu de chose à faire, c’est la triste réalité.

La prestation compensatoire : Les époux sont parfois (souvent ?) surpris d’apprendre qu’ils vont devoir payer une prestation compensatoire si leur revenu/patrimoine est clairement supérieur à celui de leur conjoint et que si le montant est discutable, le principe ne l’est pas. Vient alors la question : combien ? Il n’y a ni barème légal, ni modalités de calcul, chaque juge a sa propre martingale et les avocats se font aussi la leur, avec l’expérience.

Impératif à ne pas oublier : la prestation compensatoire en capital est due dès que le divorce est définitif donc il n’est pas possible de lier le paiement à la vente des biens communs/indivis… La punition peut être sévère (délit pénal d’abandon de famille, saisies). Pour éviter cet écueil, en parler avec son avocat et proposer un capital renté ou un abandon partiel de bien.

Les frais de procédure : L’article 700 du code de procédure civile permet aux parties de demander au juge de condamner l’autre à rembourser les frais de la procédure (avocats, recherches…). Quelle belle idée. Mais très, très loin de la réalité. Non seulement en matière familiale la quasi-totalité des décisions rejette toute demande au titre de cet article considérant que s’agissant d’un contentieux familial il n’y a pas lieu, sans doute parce que dans ce type d’affaire il est difficile d’envisager un gagnant.

Me Brigitte BOGUCKI, spécialiste en droit de la famille, des personnes et de leur patrimoine, Professionnel collaboratif Avocat à Paris et Lille http://www.adr-avocats.com
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